Chapitre 6 Première rencontre après le mariage

Le regard de Colin est resté accroché à l'escalier jusqu'à ce que le pan écarlate de la robe de Brinley disparaisse, laissant sa poitrine douloureusement comprimée, comme prise dans un étau.

Les souvenirs l'ont assailli : deux années de loyauté silencieuse, de douceur constante, et cette façon qu'elle avait eue de défier sa propre famille pour lui.

Et maintenant, quand leurs regards se croisaient, il ne restait que froideur et indifférence.

Qu'est-ce qui avait pu autant déraper ?

Saisissant le changement dans le regard de Colin, Milly a mordillé sa lèvre inférieure, le visage encore vêtu de sa douce façade docile. « Colin, allons nous asseoir là-bas. Il commence à y avoir bien trop de monde. »

Colin a cligné des yeux, tiré hors de la brume de ses souvenirs. Son regard a glissé du ventre arrondi de Milly à l'escalier désormais vide, avant qu'il ne détourne enfin les yeux de force. « D'accord. Fais juste attention quand tu marches. »

Mais avant qu'ils ne puissent faire un pas, les lourdes portes du hall de réception ont tremblé sous une agitation soudaine.

Les agents de sécurité se sont redressés, et tous les invités ont tourné la tête avec attente vers l'entrée.

Un mur de costumes noirs a traversé le hall en effervescence, forçant la foule à s'écarter.

En tête, marchait un homme qui dégageait une autorité écrasante, son costume sur mesure épousant parfaitement des épaules larges et une taille fine. Son visage était taillé dans la rigueur, son regard profond et inflexible, portant un poids qui s'est abattu sur la salle.

« M. Moore ? » Le murmure stupéfait s'est échappé, et tout le banquet s'est figé dans un silence si profond qu'une épingle aurait pu résonner sur le marbre.

Des murmures de reconnaissance ont traversé les invités. C'était Austin Moore, l'insaisissable et impitoyable PDG du Groupe Moore, un homme craint et respecté dans les salles de réunion.

Sa présence au gala de charité de la famille Knight était des plus inattendues.

Jamais il n'assistait à des événements aussi insignifiants. Par le passé, le Groupe Moore se contentait d'envoyer un cadre supérieur par pure formalité. Austin, lui, boudait même les plus grands sommets économiques, les jugeant inutiles.

Des exclamations étouffées et des murmures ont peu à peu repris, fébriles bien que discrets. « Mon Dieu, que fait donc M. Moore ici ? »

« Incroyable... il ne se montre jamais à ce genre de choses. »

« Se pourrait-il que ce soit sur invitation personnelle de Mme Knight ? »

Les suppositions ont enflé en une rumeur contenue. Tous les regards étaient rivés sur Austin, pleins de curiosité.

Plusieurs membres de la famille Knight se sont précipités vers lui, les sourires trop larges et empressés.

« M. Moore, quel honneur de vous avoir parmi nous ce soir ! », s'est exclamé l'un d'eux.

Austin ne leur a accordé qu'un bref regard. Ses yeux étaient fixés sur le salon VIP du deuxième étage.

Son assistant s'est penché discrètement vers lui pour murmurer : « Votre épouse est déjà à l'étage avec Mme Knight et le majordome. »

Bien que les invités proches n'aient pas perçu les paroles, ils ont vu sa mâchoire se crisper.

Un frisson d'inquiétude a parcouru la salle, et de nombreuses têtes se sont tournées vers l'étage supérieur avec une sympathie silencieuse.

La famille Knight avait donc laissé le redoutable Austin attendre dans le hall pendant qu'ils recevaient Brinley ?

Une telle offense était insensée. Tous savaient combien son tempérament était impitoyable, et les conséquences allaient être lourdes. Quant à Brinley... prise entre les deux, sa situation semblait tout aussi périlleuse.

« Ça va mal finir », a soufflé quelqu'un avec nervosité. « Se mettre M. Moore à dos, c'est quasiment un suicide. »

Des murmures ont de nouveau parcouru la foule, et les cils de Milly se sont abaissés juste assez pour cacher l'éclat de satisfaction dans son regard.

Maintenant que Brinley avait involontairement provoqué Austin, son statut élevé ne la protégerait plus : elle allait être chassée de Bleron.

Forte de cette pensée, Milly a effleuré la manche de Colin du bout des doigts, sa voix douce, teintée d'une fragilité feinte. « Colin, j'ai un peu mal au ventre... »

Le regard de Colin était resté fixé sur l'escalier, son esprit cherchant désespérément un moyen de protéger Brinley. Mais l'appel de Milly l'a ramené à la réalité, son visage s'est tendu d'inquiétude. « Que se passe-t-il ? Tu es fatiguée ? Viens, je vais t'emmener au salon pour te reposer. »

« Mh, c'est juste un peu oppressant ici... », a soupiré doucement Milly, se penchant contre lui comme si rester debout demandait un effort démesuré. Pourtant, même si elle agissait ainsi, son regard a glissé vers l'escalier, moqueur et provocateur.

Un léger sourire a effleuré ses lèvres à cette pensée. Tant qu'elle serait là, Brinley pouvait bien oublier l'idée de s'approcher à nouveau de Colin.

Elle savait pertinemment que son cœur ne s'était jamais détaché de Brinley. Mais peu importait. L'enfant qu'elle portait en elle était la chaîne qui lierait Colin à jamais.

Ces derniers mois, Colin l'avait couverte d'attentions, mais elle l'avait entendu plus d'une fois murmurer « Brinley » dans son sommeil.

Elle avait compris avec une lucidité douloureuse que si Brinley avait jadis été son substitut, c'était désormais Brinley qui possédait son cœur.

Pourtant, cela ne la troublait pas. Sa victoire reposait sur une chose : devenir l'épouse de Colin.

Colin a guidé Milly vers le salon avec une tendresse toute feinte, chacun de ses gestes respirant l'attention, comme s'il n'avait pas été l'homme brisé de tout à l'heure.

Au même instant, un invité d'âge mûr et élégamment vêtu s'est approché d'Austin, visiblement désireux de flatter tout en enfonçant Brinley.

Il a volontairement élevé la voix pour s'assurer que les convives alentour l'entendent. « M. Moore, vous ne le savez peut-être pas, mais la famille Knight s'est entièrement consacrée à Mme Shaw ce soir. Le traitement était si fastueux qu'on aurait dit une personne de rang royal... »

Le regard d'Austin a glissé vers lui, son ton lisse mais chargé de sarcasme. « Vraiment ? Oh ? Ma femme se prend donc pour quelqu'un d'important ? »

La remarque a fait tressaillir l'homme, ses traits se sont figés sous le choc.

Austin venait d'appeler Brinley son épouse !

L'homme a eu l'air de vouloir s'expliquer, mais les gardes du corps d'Austin se sont rapprochés, le visage impassible, lui montrant la sortie. « Monsieur, vous parlez trop. Veuillez nous suivre. »

L'expression de l'homme est passée de la suffisance à la pâleur. « Mais enfin, que faites-vous ? Je voulais simplement informer M. Moore... »

« Les affaires de M. Moore ne vous concernent en rien », l'a interrompu l'un des gardes, la voix plate et glaciale, sans appel.

Alors qu'il tentait de résister, deux gardes l'ont saisi fermement par les bras et l'ont entraîné, ses protestations vite englouties par la foule.

Les spectateurs se sont figés, un frisson collectif les parcourant. Plus personne n'osait prononcer le moindre mot déplacé.

Austin, quant à lui, n'a pas accordé un regard à l'homme. Ses yeux étaient restés fixés sur l'étage, son expression illisible.

Pendant ce temps, dans le salon VIP, Brinley était assise en face de Thalia, leur conversation fluide et ponctuée de sourires dans l'atmosphère feutrée.

À cet instant, un domestique a frappé légèrement au chambranle de la porte avant d'annoncer : « M. Moore est arrivé. »

Avant même que les mots n'aient dissipé l'air, Austin était déjà entré, saluant poliment Thalia d'un signe de tête.

Brinley a instinctivement relevé la tête.

De l'autre côté de la pièce, le regard d'Austin a croisé le sien, et en un instant, l'atmosphère s'est figée, alourdie.

C'était la toute première fois qu'elle le voyait depuis leur mariage.

Ces trois derniers mois, il était resté à l'étranger, absent même le jour où leur union avait été enregistrée.

Jusqu'à présent, son image se limitait aux couvertures de magazines, vantant ses traits saisissants et sa réputation impitoyable.

Et pourtant, il se tenait là, à cinq pas d'elle.

La puissance brute de sa présence l'a submergée, et sans s'en rendre compte, elle a retenu son souffle.