Comme s'il lisait dans mes pensées, Léo ne s'arrête pas. Il continue de monter les marches, ignorant les cris anxieux de Cédric derrière lui. « Julia est encore malade ! Ne... ne lui fais rien ! »
La lourde porte de la villa claque, nous coupant du monde extérieur.
Léo me lâche brusquement. Je trébuche, mes jambes comme de la gelée, et j'arrive à peine à me rattraper contre le marbre froid du mur.
Je réalise que des larmes coulent sur mon visage. Je les essuie à la hâte avec le dos de ma main.
Je vois son front se plisser. Il détourne le regard, la mâchoire serrée, et desserre sa cravate en s'enfonçant dans la vaste maison silencieuse. Je reste figée près de la porte, ne sachant pas si je dois m'enfuir.
Quand il revient, il a enfilé un simple t-shirt gris et un pantalon sombre. Il est affalé sur un immense canapé blanc, ses longues jambes étendues, l'image même du commandement décontracté.
Son regard croise le mien, et un léger sourire entendu se dessine sur ses lèvres. « Puisque tu es encore là, assieds-toi. Parlons affaires. »
Affaires. Le mot me frappe comme une gifle. Je me souviens de leur conspiration devant ma chambre d'hôpital. Mon visage se durcit.
« Je ne discuterai pas de la démolition », dis-je, la voix froide. « Aucune somme d'argent ne me fera jamais changer d'avis. »
Le sourire de Léo s'efface. Il secoue la tête, une lueur de frustration dans les yeux. « On ne parle pas du manoir. Pas pour l'instant. » Son expression devient complexe, indéchiffrable. « Tu veux te venger de Cédric ? »
Il n'attend pas de réponse. « Lui et ta meilleure amie couchent ensemble depuis trois ans. »
Il sort son téléphone, lance quelques secondes d'une vidéo et la jette sur la table basse entre nous. « Vois par toi-même. »
Je m'approche, mes membres engourdis, déconnectés de mon corps. J'étais préparée à ça. Je les avais entendus. Mais le voir, c'est différent.
Les vidéos sont en haute définition, clairement filmées depuis l'immeuble en face de l'appartement de Viviane. Elles montrent Cédric arrivant juste après mon départ pour le travail le matin. Elles le montrent embrassant Viviane, un baiser désespéré, affamé, que je n'avais jamais reçu. Leurs vêtements sont arrachés alors qu'ils passent du canapé au lit, leurs corps un enchevêtrement de membres.
L'homme dans la vidéo est vorace, bestial. Pendant trois ans, Cédric avait été si réservé avec moi, un parfait gentleman. Je n'arrive pas à croire que c'est la même personne.
Une vague de nausée me submerge. Tout mon corps se met à trembler.
Léo se lève, comme s'il ne supportait pas de me voir m'effondrer. « Tu es prête à parler affaires maintenant ? »
Je le fixe, choquée qu'il puisse être si calme, si transactionnel, après m'avoir montré la preuve qu'il a poignardé son propre cousin dans le dos.
La colère et le désespoir m'envahissent, mais ensuite, un calme étrange s'installe. C'est ma nouvelle réalité. « À part le manoir », dis-je, la voix plate, « je ne vois pas d'autres affaires que nous ayons. »
Je traîne les pieds vers la porte, prête à sortir dans la nuit sans nulle part où aller.
« Jouons le jeu de leur erreur », dit sa voix derrière moi. « J'ai besoin d'une femme. »
Je m'arrête, stupéfaite. Il me faut un moment pour que ses mots fassent leur chemin. Une lueur de dégoût perce mon choc. « Tu veux tout prendre, n'est-ce pas ? » l'accusé-je en me retournant pour lui faire face. « Me piéger dans ce mariage, puis démolir ma maison. »
Il se frotte le front, l'air sincèrement exaspéré. « Pas de démolition. Si tu acceptes, je jure sur le nom de ma famille que je ne toucherai pas au manoir. »
Il m'explique alors. Il doit donner une réponse aux anciens de la famille. Une femme. Une femme convenable. Nous aurons un mariage, un vrai aux yeux du monde. Ce qui se passera après, dit-il, dépend de moi.
Sa proposition est si soudaine, si absurde, qu'elle me prend complètement au dépourvu. « Pourquoi moi ? » je demande.
« C'est pratique », dit-il lentement, ses yeux dans les miens. « Et tu me détestes. Donc je n'ai pas à m'inquiéter que tu t'attaches. »
J'ai le sentiment que son ton, son expression, tout cela n'est qu'une performance. Ce n'est pas la vraie raison.
Alors que j'hésite, mon téléphone vibre. Un message de Viviane.
Julia, ça va ? Tu as laissé des affaires chez moi. Je te les apporterai demain.
Mon amie de dix ans. Si pressée de se débarrasser de moi. Le peu de force qui me restait cède, et de nouvelles larmes coulent.
Je tape lentement une réponse, mes doigts tremblants. Désolée, je ne me souviens pas. Ce n'est probablement pas important. Jette-les.
Je lève les yeux vers Léo, mon calme retrouvé, mon cœur un bloc de glace.
« Je suis d'accord », dis-je. « Mais je veux d'abord un contrat. »
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