Chapitre 4

Point de vue d'Alix Lefèvre :

Hadrien est parti, sprintant vers sa voiture comme un héros se précipitant au secours d'une demoiselle en détresse. Je ne l'ai pas regardé partir. Je me suis retournée et je suis entrée dans mon bureau, le sanctuaire où j'avais bâti son royaume. L'air était frais et calme, sentant les vieux livres et l'encre fraîche. Pour la première fois depuis des heures, je pouvais respirer.

Il pensait que j'allais régler son problème. L'imbécile. Un stratège ne se contente pas de résoudre un problème ; il analyse l'ensemble du champ de bataille. Il identifie les atouts, les passifs et le chemin optimal vers la victoire. Mon objectif avait simplement changé.

Je me suis assise à mon bureau, le cuir de mon fauteuil frais contre ma peau, et j'ai ouvert les fichiers cryptés de la campagne municipale de Lambert. Mes fichiers. J'ai contourné les accès limités de Hadrien avec un mot de passe qu'il ignorait que j'avais : LEO1988. Le nom et l'année de naissance de mon frère. Un petit hommage amer.

C'était là. La société-écran, « Solutions C.M. ». L'audace était à couper le souffle. Il avait fait transiter plus de deux cent mille euros de dons illégaux d'entreprises par son intermédiaire. Et la signataire, l'unique dirigeante listée sur les documents de constitution, était Chloé Ann Martin.

Mes doigts volaient sur le clavier. Je ne couvrais pas les traces ; je les mettais en lumière, téléchargeant chaque transaction, chaque virement, chaque fausse facture. Je construisais un dossier d'accusation, pas une défense. L'architecture de sa chute devait être aussi méticuleuse que l'architecture de son ascension.

Et puis je l'ai trouvé.

Caché dans un sous-dossier intitulé « Imprévus » se trouvait un compte séparé. Un compte privé, non lié à la campagne. Il montrait une série de virements de la société-écran vers ce compte. De petites sommes au début, puis de plus grosses. Un total de cinquante mille euros. Et puis, une ébauche de contrat. Un bail pour un appartement de luxe dans le centre-ville et un document d'une page promettant une « indemnité de départ » de cent mille euros supplémentaires.

La bénéficiaire de cet arrangement ? Chloé Martin. Le contrat était daté du lendemain de l'élection.

Il ne se servait pas seulement d'elle pour blanchir de l'argent. Il la payait pour qu'elle se taise. Il avait créé une porte de sortie. Il prévoyait de la larguer à la seconde où il obtiendrait le fauteuil de maire, lui jetant un peu d'argent pour acheter son silence et la laissant seule face aux potentielles retombées judiciaires. Il trahissait sa maîtresse avec autant de désinvolture qu'il trahissait sa femme.

Un sourire froid et vicieux effleura mes lèvres. C'était parfait. C'était l'arme dont j'avais besoin. La faiblesse de Hadrien n'était pas seulement son ego ; c'était sa conviction que tout le monde était aussi jetable que lui. Il voyait les gens comme des pions. Il n'a jamais envisagé qu'un pion, correctement motivé, pouvait mettre un roi en échec et mat.

Mon téléphone a vibré. C'était un SMS d'un numéro inconnu.

« Est-ce bien Alix Lefèvre ? »

J'ai hésité un instant, puis j'ai tapé une seule lettre en retour. « O. »

« C'est David Martin. Le frère de Chloé. Elle a des ennuis, et elle m'a donné votre numéro. Elle a dit que vous étiez la seule à pouvoir l'aider. »

Mon esprit s'emballa. Chloé lui avait donné mon numéro ? Pourquoi ? Était-ce un piège ? Un appel désespéré ? Ou Hadrien, dans sa panique, lui avait-il dit de m'appeler ?

« Hadrien est en route pour le commissariat », ai-je tapé. « Il a ses avocats. »

La réponse fut presque instantanée. « Ses avocats sont pour lui, pas pour elle. Ils ne veulent même pas me parler. Ils m'ont dit de ne pas m'approcher. S'il vous plaît. Elle pense que vous pouvez arranger ça. »

Les pièces du puzzle s'emboîtèrent. Les avocats de Hadrien isolaient Chloé, la positionnant pour être le bouc émissaire désigné. Hadrien était probablement en train de lui raconter des mensonges en ce moment même, lui disant de lui faire confiance, qu'il allait tout gérer.

Et Chloé, terrifiée et naïve, avait fait un geste désespéré. Elle avait envoyé son frère vers moi. L'ennemie. Parce qu'au fond d'elle, elle savait qui détenait le vrai pouvoir. Elle savait qui construisait les choses et qui les détruisait.

C'était mon ouverture.

Je n'avais pas besoin d'un intermédiaire. J'avais une ligne directe.

Mes doigts bougeaient avec une précision froide et calculée. « Dites à Chloé ceci : Hadrien Lambert a mis son nom sur un document légal qui entraîne une peine pouvant aller jusqu'à cinq ans de prison ferme. Ses avocats travaillent pour lui, pas pour elle. Il est en train de la piéger pour qu'elle porte le chapeau. »

J'ai fait une pause, laissant le poids de cette information s'installer. Puis j'ai ajouté la touche finale.

« J'ai la preuve qu'il prévoyait de la payer pour la faire taire et de l'abandonner après l'élection. Si elle veut la voir, dites-lui d'être au café du pont Morand à 6h demain matin. Seule. »

J'ai appuyé sur envoyer.

La graine était plantée. Pas une graine de doute, mais une graine de terreur pure et sans mélange. Chloé pensait vivre une romance. J'allais lui montrer qu'elle n'était qu'une complice dans un crime qu'elle ne comprenait même pas.

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