Chapitre 4 Chapitre 4

Durant trois jours, le temps se dissout en une brume opaque où je m'enferme volontairement, cherchant à réduire mes sorties de chambre au strict minimum. Mon existence devient un huis clos où chaque minute est consacrée à préparer ma fuite. Impossible de rester ici, impossible de me résigner à devenir la putain docile et sacrifiée d'une meute. Quant à Todd, je l'efface de ma mémoire comme on arrache une page souillée d'un journal : le silence est un baume moins coûteux que n'importe quelle thérapie.

Les murs semblent se resserrer lentement, menaçants comme les mâchoires d'un piège. Mon cœur cogne, mes yeux brûlent, et rien ne vient calmer cette marée d'angoisse. Je tente de me réfugier dans les livres, mais chaque phrase est un sarcasme, chaque page une ironie qui me rappelle mon sort. J'ai laissé mes cours derrière moi - évidemment, je n'y retournerai jamais. C'est un adieu silencieux à tout ce qui me définissait.

La seule chance qui s'offre à moi, c'est de profiter du chaos du gala pour disparaître. Pendant que d'autres se griseront de champagne et d'alliances prédestinées, moi je m'enfuirai. Je prépare mon sac comme on prépare une arme : vêtements, vivres, tout l'argent que j'ai pu soutirer de mon compte. Je n'ai aucune idée de ma destination, seulement la certitude de ne plus survivre ici.

J'ai acheté un portable jetable, y ai enregistré le numéro de Lisa. Mais même écrire un simple message pourrait attirer l'attention sur elle. Alors je me tais. Comme une lâche, je lui cache tout et je pleure déjà son absence. Si ma meute venait à soupçonner notre lien, elle pourrait payer le prix fort. Il vaut mieux feindre la normalité.

Le soir du troisième jour, à table, je joue avec ma nourriture, tentant de m'effacer, quand mon père lâche la nouvelle : direction le territoire de la Meute de Lune-d'Argent, pour le gala.

Le piège se referme.

Je lutte pour garder contenance. L'impression de sentir grouiller sous ma peau un million d'insectes brûlants ne me quitte plus. Peut-être suis-je seulement devenue experte en masque d'indifférence, ou bien ma famille est trop aveugle pour voir mes fissures.

Dans deux jours, je serai plongée au milieu de métamorphes cherchant leurs âmes jumelles, tandis que je ne rêve que d'une brèche dans le mur.

Mon père s'éclaircit la gorge ; je lève les yeux, surprise par son regard planté dans le mien. « Ava », dit-il d'un ton qui se veut rassurant mais sonne comme une injonction douce. « C'est un moment crucial pour nous tous. »

« Oui, Père. »

Il poursuit, sa voix mesurée comme un couperet : « Je préférerais te laisser à la maison. Mais cela paraîtrait suspect, surtout avec Jessa présente. »

Je remarque Jessa en face, le visage fermé, et Phoenix qui m'observe avec ce détachement glacial qu'il réserve aux insectes. Sa complicité avec elle est évidente ; moi, je reste l'élément discordant.

Je me sens étrangère à leur monde.

Les doigts de mon père tambourinent sur la table. « J'attends de toi que tu restes impeccable là-bas, Ava. » Son regard effleure les marques violacées à mon cou et je frémis. Elles sont moins visibles qu'au départ, mais il faudra prier pour qu'elles disparaissent avant le gala.

Je baisse la tête, transperçant mes légumes du bout de ma fourchette. « Oui, Père. »

« Sans loup, tu ne trouveras pas d'âme sœur là-bas. Évite donc les ennuis et tiens-toi tranquille. » Il retourne à son repas. Sous la table, mon poing se serre si fort que mes ongles me marquent la paume.

Ses mots devraient me glacer ; ils ne font que m'endurcir.

Le trajet vers l'Idaho a la saveur habituelle de nos moments familiaux : le mutisme. Maman, Papa et Jessa voyagent ensemble ; moi, je suis assignée à Phoenix.

Le ronflement du moteur et la pulsation régulière des pneus sur l'asphalte m'endorment à moitié. Phoenix conduit avec l'arrogance innée des alphas : bras négligemment posé sur la portière, posture relâchée. Radio éteinte. Il a la même froideur calculée que mon père, la même distance.

Le paysage change peu à peu, collines effilochées se muant en montagnes sombres à l'horizon. Mes pensées dérivent vers Lisa : que fait-elle, me pardonnera-t-elle ma disparition ?

La voix de Phoenix brise soudain le silence, rugueuse : « Tu n'as pas l'intention de faire une bêtise au Gala lunaire, hein, Ave ? »

Je tressaille. Mon corps se raidit avant même que mon esprit ait compris. Mon regard se fixe sur son profil. Sait-il quelque chose ? « Bien sûr que non. Papa a été très clair sur ses attentes. »

Phoenix émet un son indistinct, une espèce de grognement. Si seulement je pouvais lire en eux comme ils lisent en moi...

Je reporte mon attention sur la vitre, mon reflet brouillé par les vibrations. « De toute façon, personne ne veut s'accoupler avec un défaut. » L'amertume m'a échappé malgré moi.

Il ne répond pas. Peut-être partage-t-il ce cynisme.

Puis, d'une voix neutre : « Au moins Mason te prendra sous son toit. Pas comme compagne, mais tes enfants seront reconnus et protégés. »

Le nom résonne en moi comme une gifle. Je sursaute. « Si seulement il reste des loups pour ça », murmuré-je.

Il me jette un bref coup d'œil. « D'accord. »

Non. Il n'est pas question que je serve encore ces gens.

Il le sait. Et il ose m'encourager à me montrer "reconnaissante" envers un homme qui m'a battue, année après année, et qui rêve de m'utiliser comme une femelle reproductrice.

Je soupire et laisse mon esprit cartographier l'évasion. La région autour de Shadowvale est vaste, son réseau de villes et de gares complexe. Il sera possible de brouiller les pistes, d'imaginer un faux départ.

À l'approche de Shadowvale, mon cœur se serre d'un mélange d'effroi et d'espoir. Fouler le territoire de la Meute de Lune-d'Argent, c'est entrer dans une zone où tout pourrait basculer - peut-être ma seule chance de liberté.

Je regarde Phoenix, figé dans sa concentration sur la route. Sa froideur me glace. Je pleure en silence le frère qu'il fut, puis je m'élève mentalement un mur autour de mes souvenirs d'Avant. Le temps du sentimentalisme est fini.

Mon plan reprend forme, méthodique. La peur pulse dans mes veines, mais elle se mélange à quelque chose de plus solide : la détermination.

Cette fois, je ne me contenterai pas d'y penser.

Cette fois, je m'en irai.

Et je ne reviendrai pas.