Clément est arrivé en retard, bien sûr. Il a fait son entrée avec Jeanne Breton accrochée à son bras, un sourire triomphant aux lèvres. Elle portait une robe un peu trop moulante, et les légères marques violacées sur son cou, dépassant à peine de son col, étaient une déclaration vulgaire et délibérée. La marque de sa propriété.
Quelques jeunes cadres ont ricané dans leur main. Le message était clair : Clément Valois pouvait avoir sa future fiancée et sa maîtresse dans la même pièce, et personne n'oserait le remettre en question. Il était intouchable.
Dans ma vie passée, cette scène exacte s'était déroulée. J'étais restée à cette même place, le cœur battant d'un mélange d'espoir et d'humiliation, les larmes me piquant les yeux alors qu'il affichait son infidélité. J'avais tellement voulu croire que c'était un malentendu.
Cette fois, mon cœur était un bloc de glace. Je ne ressentais qu'un détachement froid et clinique.
Clément a remarqué mon immobilité. Il s'est approché d'un pas nonchalant, laissant Jeanne bouder près de la porte. Ses yeux, couleur de whisky ambré, m'ont dévisagée. Il cherchait la blessure, la jalousie. Il s'en nourrissait.
« Tu es magnifique ce soir, Alix », a-t-il murmuré, sa voix une caresse grave qui, autrefois, aurait fait flageoler mes genoux. « Prête à officialiser tout ça ? Je te promets que ta nuit en vaudra la peine. » Son regard a glissé vers le bas de manière significative.
L'insinuation grossière flottait dans l'air entre nous.
« Clément, tu ne vas pas me chercher un verre ? », a gémi Jeanne de l'autre côté de la pièce, sa voix aiguë de jalousie.
Il lui a jeté un regard agacé avant de se retourner vers moi, son sourire revenant, lisse et étudié. « Ne fais pas attention à elle. C'est juste une enfant. C'est toi, l'événement principal. » Il s'est penché plus près, son parfum, une odeur que j'associais maintenant à la peur et à la nausée, envahissant mon espace. « C'est toi qui seras Madame Valois. »
Le visage de Jeanne s'est empourpré d'un mélange de colère et d'humiliation. Elle m'a foudroyée du regard, ses yeux promettant vengeance. La foule observait le drame avec une joie non dissimulée, leurs chuchotements un bourdonnement sourd qui remplissait la salle. Quelqu'un a laissé échapper un sifflement grave.
Je me souvenais de ce moment. Je me souvenais de la honte brûlante, du besoin désespéré de fuir et de me cacher.
J'ai fait un pas délibéré en arrière, créant un gouffre entre nous. J'avais l'intention de m'éloigner, de trouver Henri Beaumont et d'en finir.
Mais la main de Clément a jailli, ses doigts se refermant sur mon poignet comme des menottes. Sa poigne était brutale, écrasante. « Où crois-tu aller comme ça ? »
Son sourire avait disparu, remplacé par une lueur d'irritation. « Arrête tes jeux, Alix. Ce petit numéro de froideur commence à devenir lassant. Tu me veux. Tu m'as toujours voulu. »
J'ai croisé son regard, mon expression indéchiffrable. « Lâche-moi, Clément. »
Sa prise s'est resserrée. « Je te connais. Sous toute cette glace, tu es toujours la même fille pathétique qui me suivait partout comme un chiot perdu. Tu essaies juste de me donner encore plus envie de toi. Et ça marche. »
Une vague de révulsion m'a submergée. J'ai retiré mon bras d'un coup sec, la force du mouvement le surprenant. « J'ai dit, lâche-moi. »
« Tu crois que tu as le choix ? », a-t-il raillé, sa voix montant. « C'est un accord commercial. Mon père a besoin de tes actions, et tu as besoin de notre nom. C'est tout ce que c'est. »
« Non », ai-je dit, ma voix résonnant avec une finalité qui a fait taire les chuchotements voisins. « Je ne t'épouserai pas. »
Le silence qui a suivi était absolu. C'était comme si l'air avait été aspiré de la pièce. Même le quatuor à cordes dans le coin semblait s'être arrêté.
Puis, un petit rire grave a grondé dans la poitrine de Clément. Il s'est propagé à travers son entourage, une vague de ridicule entièrement dirigée contre moi.
« Ne pas m'épouser ? », a-t-il répété, les yeux écarquillés d'une fausse incrédulité. « Mes excuses, ma chérie. Je ne savais pas que tu avais d'autres options. Qui vas-tu choisir ? Mon frère ? »
La foule a éclaté de rire.
« Bastien ? », la voix de Clément dégoulinait de mépris. « Le pilleur d'entreprises ? Le boucher ? L'homme que notre père garde enfermé au service des fusions-acquisitions parce qu'il est trop impitoyable pour la bonne société ? »
Il s'est de nouveau penché, sa voix un murmure empoisonné. « On dit qu'il a tellement saigné son dernier concurrent que la famille de l'homme a tout perdu. On dit qu'il n'a pas de cœur, juste une calculatrice à la place. C'est ça que tu veux, Alix ? Un monstre ? »
Il m'a toisée de haut en bas, un rictus cruel sur ses lèvres parfaites. « Ou est-ce juste une autre tentative pathétique d'attirer mon attention ? Tu penses que menacer de choisir mon frère paria va me rendre jaloux ? »
Sa question est restée en suspens, un défi et une insulte tout à la fois.