L'aube. Le ciel s'éveillait, illuminé par les premiers rayons du soleil, comme une toile sur laquelle l'on peignait une multitude de couleurs. Et moi, j'attendais là. Cachée dans un abri en carton depuis plusieurs heures déjà. Je m'étais sentie vulnérable dès lors que le soleil s'était couché, comme si un malheur pouvait m'arriver, si je restais à découvert la nuit.
Je m'étais réveillée dans un lit de neige, seule, portant une simple robe étrange qui me couvrait à peine. Je ne me souvenais de rien, ni de qui j'étais, encore moins de la raison de ma présence ici. Et chaque fois que je tentai de me souvenir, j'étais prise d'une migraine.
Je frissonnai tandis que le vent glacial caressait mon visage et emportait les flocons de neige qui n'avaient cessé de tomber depuis mon réveil. Une pluie de pétales pures qui recouvrait ce désert citadin.
Je tendis la main vers la lumière, la sentir parcourir ma peau me détendit, cela me donnait l'impression d'être vivante et me rassurait. Comme si je n'avais pas ressenti cette sensation depuis une éternité.
Brusquement, je décidai qu'il était temps que je m'en aille. J'avais soudain un mauvais pressentiment, je me sentais en danger comme si le jour pouvait révéler ma présence. Je sortis de ma cachette en prenant soin de vérifier auparavant si la ruelle sordide dans laquelle je me trouvais était toujours vide.
Un miaulement. Une odeur qui me fit grimacer et des klaxons lointains. Rien d'autre. Je rasai les murs puis traversai rapidement l'avenue vers une autre. A peine tournai-je que j'entendis des bruits de moteur.
Je me raidis et m'accroupis avant de tenter un coup d'œil. Trois véhicules. Je me plaquai de nouveau contre le mur. Une moto et deux voitures. J'inspirai profondément et regardai encore.
Il y avait plusieurs hommes. Le premier était au volant du premier véhicule et fumait. Deux autres fouillaient dans le coffre d'une des voitures. Un autre était au sol, à quatre pattes, en train de renifler le carton dans lequel je me trouvais auparavant.
Et le dernier. Il balayait les alentours du regard. Je reculai sans même m'en rendre compte. Cet homme m'était familier, je ne pouvais pas dire qui il était mais je reconnaissais ses yeux qui me faisaient penser à un félin. Ils me faisaient peur, ils me terrifiaient.
Je me mis à courir. Je devais fuir, vite et loin. Je ne pouvais pas laisser ces gens me trouver, je savais que c'était moi qu'ils cherchaient. Et j'étais sûre d'une chose, s'ils me trouvaient, ils me feraient du mal, surtout le dernier.
Je pris des allées au hasard jusqu'à un pont. Je le longeai en faisant attention à ne pas tomber ni faire de bruit. Je tournai pour traverser quand je fus violemment percuté. La douleur me frappa avec une telle violence que j'en fus paralysé.
Des cris. Le choc. Des hurlements. Une désagréable sensation de chute tandis que mes yeux s'alourdissaient. Mon corps plongea dans l'eau et je commençai à couler. Je tentai de bouger, seulement mes membres me semblèrent brusquement plus lourds. Et je ne cessai de sombrer, de me noyer, loin de la lumière.
Une ombre passa subitement devant moi. Un homme. Jeune. Avec des yeux gris. Il était tombé en même temps que moi. C'était lui. Il m'avait percuté, avec une moto. Il bougeait lentement ses jambes, nageant paisiblement, pas le moins du monde paniqué par la situation, comme moi.
Au contraire, il m'observait. Ma bouche s'ouvrit par réflexe pour respirer, or je n'avalai qu'une bonne dose d'eau avant de me contrôler. Mes poumons commençaient à me faire mal, j'étais en train de suffoquer. L'inconnu me regardait toujours.
Mon attention fut attirée par une lueur. Je baissai les yeux vers mon bras et remarquai que je portais un bracelet qui s'était illuminé. Quelque chose tomba à notre suite. Je sursautai. Un autre entra aussi dans l'eau. Je me forçai à garder les yeux ouverts et vit des ombres m'approcher. Des humains qui nageaient vers moi.
Je retrouvai l'air frais quelques secondes plus tard. Deux personnes me portèrent jusqu'à un quai où je fus allongée au sol. Je clignai des yeux pour m'habituer aux lumières des lampes qu'ils braquaient sur moi.
Je me sentis soulagé d'avoir été sauvé par ces personnes. Cela ne dura pas longtemps car dès lors que je m'habituai à la luminosité, je me raidis aussitôt en reconnaissant leurs visages. C'était le chauffeur qui fumait et celui qui reniflait mon carton. Ceux qui me traquaient.
- Appelle Josh et dis-lui qu'on l'a trouvé !
- On la tue ? voulut savoir le renifleur en enlevant sa montre.
- Non, ça va attirer l'attention ! On va la ramener au Cube, marmonna son camarade en se baissant vers moi avec un sourire sadique, puis on la videra de son sang marqué avant de lui arracher le...
Il ne finit pas sa phrase que son corps tomba à côté du mien, les yeux écarquillés d'horreur, sans vie. Son collègue le suivit. Quelqu'un venait de tuer deux de mes traqueurs. Je tentai de voir ce qui venait de se passer mais mon champ de vision était limité par la paralysie de mon corps.
Quelqu'un passa à côté de moi et un voile s'abattit sur moi. J'étais toujours consciente mais quelqu'un venait de me recouvrir d'un tissu noir. Je sentis des bras me soulever et une odeur de vanille m'entoura. Le froid disparut aussitôt et avec lui ma paralysie, je commençai à me réchauffer et à reprendre le contrôle de mes membres.
Je bougeai délicatement mon épaule et fronçai les sourcils. Ma peau était caressée par quelque chose de doux. Comment était-ce possible alors que je pensais être porté par quelqu'un ?
Mes paupières bougèrent, je compris que j'avais juste les yeux fermés. Je m'étais endormie sans même m'en rendre compte. Je les ouvris donc et vis une jeune fille angoissée dont le teint pâle contrastait avec les draps noirs du lit : mon reflet.
Je fronçai les sourcils en me redressant légèrement. J'étais dans une chambre sans aucun meuble si ce n'est celui sur lequel je me trouvais et le miroir au plafond. Une voix masculine m'apostropha avec hostilité :
- Débout !
Il se trouvait à ma droite et essuyait ses cheveux bruns mouillés. Une moue de mécontentement se dessina sur ses lèvres avant qu'il ne soupire d'agacement. Et ses yeux. C'était les mêmes que ceux de l'homme qui m'observait, celui qui était tombé dans l'eau avec moi. Avait-il tué tous mes poursuivants ? Étais-je la suivante ?
Je me raidis en le voyant sortir un revolver avec une crosse en ivoire et le dissimuler à l'intérieur d'une veste qu'il enfila. Mon corps réagit instinctivement et quittai son lit car il était évident que je me trouvai dans sa chambre.
La porte d'entrée s'ouvrit sur un autre jeune homme, encore plus étrange que le premier, de nouveau une odeur de vanille chatouilla mes narines. Il tenait une boisson qu'il donna à son camarade à qui il tint la porte jusqu'à ce qu'il s'arrête à l'embrasure.
Il se tourna vers moi, j'eus l'impression qu'il voulait que je les accompagne. Je reculai, il n'était quand même pas sérieux là ? Il était hors de question que je suive des inconnus comme ça.
- Est-ce que tu vas la tuer ? demanda le nouvel arrivant.
- Si elle ne bouge pas, oui !
J'ouvris la bouche pour protester mais me ravisa face au regard déterminé que j'avais face à moi. Si je ne lui obéissais pas, il allait vraiment me tuer. Je fis donc le choix qui me sembla le plus censé à cet instant précis : rester en vie.
Celui qui avait posé la question se présenta, contrairement à son confrère. Il s'appelait N. Juste la lettre de l'alphabet N. Et ce n'était pas le plus étrange chez lui puisqu'en arrivant à l'extérieur, à la lumière du jour, je vis qu'il portait un masque. En acier mais totalement noir. Je fronçai le nez, complètement abasourdie. Non mais sérieusement qui pouvait se balader avec un masque comme ça ? Qui faisait ça ?
- Monte.
La voiture dans laquelle j'entrai était magnifique. Elle transpirait le luxe. Je me forçai à ne pas fixer N, bien que son masque me troublait vraiment. C'était vraiment bizarre de voir quelqu'un en porter un comme ça en public et être parfaitement à l'aise. Ce n'était pas un accessoire pourtant.
Le ronronnement du moteur me berça tandis que j'observais le paysage, essayant de le reconnaître. Je priai aussi intérieurement qu'ils ne soient pas en train de m'emmener afin de me livrer à mes poursuivants. La sonnerie d'un téléphone interrompit mes pensées, N soupira avant de se garer, il décrocha sur un ton qui sonnait comme blasé, malgré le masque.
- Dirigeant John, ça devient lassant tous ses appels...oui, je suis en chemin avec lui ! Il ne sait rien mais pensez-vous que c'est vraiment une bonne idée de la faire revenir ? Si vous le dites ! Oui, j'ai fait en sorte qu'il ne soit pas armé...
Il raccrocha avant de soupirer. Il prit l'autoroute et roula jusqu'à un grand domaine. Une moto se gara à côté de nous, son ami enleva son casque. Son expression morose n'avait pas quitté son visage. N m'ouvrit la portière et devant moi se dressa une gigantesque serre. Avec un grand lac situé près d'une table en verre entourée de quatre fauteuils de différentes couleurs : vert, bleu, blanc et noir.
- Pour ta propre sécurité, ne parle à personne qui ne t'ai adressé la parole en premier, m'ordonna N en me tendant son manteau. Suis le jeune maître, il n'aime pas attendre !
- Pourquoi devrais-je le suivre ?
- Parce que sinon il te tuera. Il s'appelle Narcis, reste avec lui, tu seras en sécurité...
N me lança un dernier regard puis il remonta dans sa voiture, je me retrouvai seule. Narcis avait disparu. Je soupirai, je n'avais pas vraiment envie de le chercher mais il était la seule personne que je connaissais ici. En plus, j'étais presque sûre qu'il m'avait sauvé.
- Vous devriez mettre cette veste mademoiselle...
Je me retournai et tombai nez à nez avec un jeune homme qui portait un collant de couleur foncée ainsi qu'un teeshirt blanc près du corps. Toutefois, ce n'était pas le plus troublant. Mes yeux s'embuèrent sans que je ne comprenne pourquoi. Son visage me semblait familier, pire même, il me bouleversait. Alors même que j'étais plus que certaine de ne pas le connaître.
Il me fit un sourire rassurant. Ses yeux bleu lagon m'observaient avec tellement de bienveillance que je me sentis de nouveau en sécurité. Je mis sa veste qui me tint plus chaud que la robe que je portais.
- Je m'appelle Neithanel.
- Où sommes-nous ? murmurai-je.
- Au cœur du savoir, s'exclama-t-il.
Ce fut si soudain que je sursautai. Neithanel avait joint à ses paroles une pirouette pleine de grâce. Je ne plus m'empêcher de sourire.
- A Royalty, me précisa-t-il. Une école privée qui forme l'Élite mondiale. Sa spécificité vient du fait qu'ici, ce sont les élèves qui dirigent, pas les adultes.
- Tu es sérieux ?
Je ne me souvenais pas de mon identité mais je savais très bien ce qu'était une école. Et je n'avais jamais entendu parler d'un établissement ayant ce type de fonctionnement.
- Le contraire est impossible puisque Royalty n'accueille que des futurs dirigeants, des membres de familles royales et tout le reste de la noblesse. C'est une hiérarchie inversée avec des rangs de D à A.
- Excuse-moi mais...tu es élève ici ?
J'avais hésité. Je voulais lui demander s'il me connaissait car pour moi j'avais comme l'impression que c'était le cas.
- J'ai été invité ici en tant que danseur pour un spectacle. As-tu d'autres questions ?
- Je suis arrivé avec un élève...
- Narcis. Je t'ai vu descendre de son véhicule. Tous les élèves sont dans la cafétéria. La bâtisse qui se trouve derrière toi !
- Merci beaucoup, dis-je.
- Je n'ai pas saisi ton prénom...
J'hésitai de nouveau. Devais-je mentir en m'inventant une identité quelconque ou lui avouer que je ne me rappelais pas de qui j'étais ?
- Je ne me souviens pas, avouai-je finalement.
Il avait l'air gentil. Chaleureux était le terme exact, comparé à toutes les autres personnes que j'avais croisées jusqu'à là. Son sourire s'élargit et il me dit :
- Eden. Ce prénom sied parfaitement à la merveille que tu es.
Je fus surprise par sa réponse. Il prit ma main et y fit un baisemain. Je la retirai, gênée. Cela le fit rire. Il recula puis ajouta d'un air amusé :
- Enchanté de t'avoir rencontré Eden.
Je le regardai partir, perdue. Qu'est-ce qui venait se passer ? Un inconnu venait-il vraiment de me trouver un prénom ? Je faillis éclater de rire mais un éclair gronda. Je levai les yeux vers le ciel qui commençait à s'assombrir. Comme si une catastrophe se préparait.
Un vent austère se mit à souffler. Je courus aussitôt vers ladite cafétéria. Et dans ma précipitation, en entrant, je bousculai une jeune fille qui renversa son plateau sur nous deux. Elle se frotta le front en grimaçant de douleur.
Je me relevai au moment où les portes de l'ascenseur derrière moi s'ouvrirent. Narcis, accompagné d'un autre garçon qui me rappela un peu Neithanel, se stoppa en voyant l'autre fille.
Tout à coup, les lumières s'éteignirent et le tonnerre se mit à gronder, si fort que je crus que nous allions tous mourir. Le temps avait l'air plutôt calme jusqu'à là, donc pourquoi une tempête semblait sur le point d'éclater maintenant ?
La crosse en argent du revolver de Narcis brilla tellement qu'elle attira toute mon attention. Mes sens se limitèrent subitement à la vue et je n'entendis plus rien. Ce fut un cri qui me ramena à la réalité. Et Narcis tira...