J'avais redouté ce voyage avant même de commencer à le préparer. J'avais passé toute ma vie à rêver que je quittais le palais où j'avais grandi. Un lieu magique et merveilleux dans mon enfance puis une prison sombre dès lors que les années passèrent.
J'avais imaginé une aventure pleine de surprises et de romance, comme dans les romans que je n'avais cessé de lire. Cependant, depuis mon départ de Tokyo, il ne m'arrivait que des tragédies et des mésaventures.
Pour commencer, ma famille paternelle m'en voulait de les quitter aussi soudainement, surtout mon père car j'étais passé au-dessus de lui pour obtenir l'autorisation de ma famille maternelle de voyager en Europe.
Il connaissait mes raisons mais cela ne changeait en rien le fait que je lui avais désobéis. Ma grand-mère était triste et déçue que je m'en aille ainsi. Elle m'avait tout de même accompagné à l'aéroport et obligé papa à faire de même.
- Sefora, comporte-toi bien chez la famille de ta maman ! Tu devras être une fille forte et gentille avec eux comme l'était ta mère...je sais que tu y seras heureuse !
J'acquiesçai d'une voix tremblante alors que mes yeux se remplissaient de larmes. Papa nous fusilla du regard avant d'affirmer d'une voix glaciale :
- Les Barme ne feront qu'une bouchée de toi si tu pleurniches tout le temps !
Il tourna les talons, ce qui mit fin à nos adieux à grand-mère et moi. Avec lui, ce simple geste était un ordre silencieux, il était temps pour moi d'y aller.
- Pourquoi père ne m'aime pas ? murmurai-je en regardant grand-mère.
- Parce que tu es celle qui a tué celle que j'aimais, répondit père en virevoltant vers nous, je ne veux plus de toi ici ! De toute façon, on ne m'a pas donné le choix, ton tuteur, un Barme fait pression sur tout le Japon juste pour toi ! Tu m'as déjà pris ta mère, je ne te laisserais rien me prendre d'autre ! Au revoir ! Mère, allons-y !
Grand-mère me lança un regard désolé, des larmes se mirent à couler sur ses joues. Elle me lâcha à contrecœur et suivi papa. Je ne fus même pas blessé par ses propos, j'étais désormais habituée à la haine de mon père.
Je pris ma valise, elle contenait toute ma vie. Je ne possédais pas beaucoup de choses, par choix, j'étais très minimaliste. Je fis la queue pour passer les contrôles de sécurité. Plusieurs agents de police passèrent à côté de moi et allèrent en rejoindre d'autres à l'avant.
Il y avait un attroupement autour de deux jeunes hommes portant des tenues de football. Une alarme se déclencha. Des policiers les approchèrent, l'un des deux s'exclama :
- Vous êtes bouchés ou vous le faites exprès ? Je ne me sépare jamais de mon épée !
- Monsieur Di Casso, les armes sont interdites...
- Excusez-le, soupira son compagnon en riant, il n'est pas du matin ! On a un permis !
Il fouilla dans ses poches jusqu'à sortir une feuille de papier totalement chiffonnée. Il le tendit aux policiers, le premier qui le lût devint pâle avant de le donner à son voisin. Peu à peu, ils affichèrent tous la même expression que je reconnus pour l'avoir toujours vu à ma maison : la peur du pouvoir. La suite me confirma que j'avais raison, ils se courbèrent tous devant les deux jeunes hommes.
- Jeunes maîtres...jeunes maîtres, pardonnez-nous ! Nous ne savions pas ! Bien sûr que vous pouvez passer ! Encore une fois...
Je soupirai en voyant les policiers continuer à s'excuser alors même que leurs interlocuteurs ne les écoutaient déjà plus. Celui qui avait donné le document protesta :
- Isis, pourquoi il faut toujours que tu foutes le bordel ?
- Je ne quitte jamais mon épée Dave, je ne vois pas pourquoi je devrais le faire ici ! Dépêches sinon on va être en retard !
- Je t'ai dit que je n'étais sûr...
- Je m'en fiche, s'écria le propriétaire de l'épée, je ne peux pas me calmer Dave ! Je la cherche depuis tellement longtemps...je veux la revoir, je veux revoir Néfertari...
Le voyage jusqu'en France fut plus calme, j'étais en Business Class, j'avais un siège qui pouvait aussi devenir un lit, un écran pour regarder des films parmi tant d'autres privilèges. Je ne pensais pas que les Barme feraient autant pour moi. J'avais juste imaginé voyager normalement, comme tout le monde.
J'étais assise près d'un jeune homme enveloppé de la tête aux pieds. On ne voyait même pas son visage. Il écoutait de la musique classique. Et parmi les chansons de son répertoire, beaucoup étaient mes préférées, j'avais longuement dansé dessus. Cela m'endormit.
Je me réveillai à Lyon. J'allai récupérer ma valise et me dirigeai vers la sortie. Je regardai autour de moi, à la recherche de Lee. Je soupirai en me rendant compte qu'il était en retard. Encore une fois. C'était très agaçant d'être ainsi abandonné dans un pays inconnu.
Lee savait que je n'étais jamais venue en France, je n'avais même jamais quitté le Japon. J'avais pris l'avion plusieurs fois avec père mais nous n'étions jamais sortis du pays. Lee m'avait donc promis qu'il serait à l'aéroport afin que je ne sois pas perdue. Mais ce n'était pas le cas. Une autre promesse qu'il ne tenait pas.
Heureusement, je parlais couramment français, ce qui me permit de trouver la sortie seule. Je tentai pour la énième fois de contacter Lee mais il ne répondit pas à mes appels, je tombais sans cesse sur son répondeur.
Je vis quelqu'un qui portait une pancarte avec mon patronyme écrit dessus : Sefora Enora Daheen Lin Choi. Un nom bien long pour une jeune fille de quatorze ans.
Je me dirigeai vers l'inconnu dont le regard me fit rougir. C'était très étrange mais guère étonnant car je n'avais pas côtoyé des personnes du sexe opposé jusqu'aujourd'hui. Le palais étant fermé au public, je ne voyais que ma famille. Tous les serviteurs n'étaient que des femmes ou des moines.
- Konnichiwa votre altesse. Je m'appelle Neith, j'ai été chargé de venir vous chercher et de m'occuper de vous ! Votre voyage s'est-il bien passé ?
- Oui, le vol était calme avec peu de voyageurs.
- Je dois vous accompagner à votre établissement, souhaitez-vous prendre un petit-déjeuner avant ?
J'hochai la tête avant de le suivre. Il conduisait une voiture noire semblable à celle qu'utilisait toujours père. Je montai à l'arrière et attachai ma ceinture. Je profitai du trajet pour observer mon nouveau chauffeur. Il me semblait bien jeune pour faire ce travail ou même être un majordome. En général, ils avaient toujours la trentaine au moins. Or lui, il semblait avoir deux ou trois ans de plus que moi.
- Vous ne m'emmenez pas voir les dirigeants Barme ?
- Il a été décidé que pour le moment, vous resterez dans votre nouvelle école jusqu'à la fin de l'année civile. Votre rencontre avec la dirigeante Jordence Barme sera organisée par la suite...
- La dirigeante Jordence Barme ? voulus-je savoir.
Je ne savais pas grand-chose de ma famille maternelle car les informations liées aux Barme étaient confidentielles. Il y avait des suppositions et des spéculations mais grand-mère m'avait assuré que ce n'était que des rumeurs. Je ne devais surtout pas me fier à ce que les médias écrivaient ou disaient sur eux.
- La dirigeante Jordence Di Casso Barme est la femme du dirigeant Luciano Cornwall Barme, elle le seconde dans la direction du Clan Barme, m'expliqua le chauffeur.
- Bien, merci.
Lorsque j'avais pris l'initiative d'écrire une lettre à la famille de ma mère, je m'étais promise que s'ils acceptaient ne serait-ce que de m'autoriser à étudier dans une école normale en Europe afin que j'y passe mon baccalauréat, je ne me plaindrais pas et accepterais mon sort.
- Ah oui, j'allais oublier, voici vos nouveaux effets personnels pour votre école.
Il me tendit un grand paquet emballé. Je l'ouvris avec précaution. C'était la première fois que je recevais quelque chose de la part de la famille de maman. La boîte contenait ma nouvelle carte étudiante portant mon nom actuel : Sefora Lin.
Daheen était le prénom que grand-mère m'avait donné, elle avait vécu la moitié de sa vie en Corée du sud. Je préférai cependant Sefora Enora, pour leur signification et aussi car c'était le choix de ma mère. Une des dernières choses qu'elle avait faite pour moi avant de mourir.
Il y avait aussi des clés, sûrement celles de ma chambre, un téléphone portable, un ordinateur et un bracelet portant mon nom ainsi que les sigles de ma nouvelle école : Royalty.
- Pourquoi ma carte étudiante... ?
- Il a été décidé que pour le moment, vous ne porterez pas le nom Barme, les dirigeants doivent tout d'abord vous rencontrer !
J'hochai la tête avant de soupirer. Je savais qu'étant donné que les Barme étaient désormais le Clan qui contrôlait le monde, ils étaient considérés comme tout-puissants. Et même si maman en était une, pour eux, je supposai que ça ne justifiait pas le fait qu'ils allaient m'accueillir les bras ouverts. Je devais faire mes preuves.
- Y a-t-il des Barme au sein de l'école ?
- Oui, plusieurs héritiers.
J'attendis qu'il m'en dise un peu plus mais il ne fit pas. J'étais très curieuse au sujet des Barme, j'avais lu tout ce que les serviteurs de père avaient pu trouver sur eux. Il n'y avait pas beaucoup d'informations mais cela m'avait donné envie d'en savoir plus. J'avais même convaincu Hanna, ma dame de compagnie de mes dix à douze ans, de me procurer des documents sur maman.
- Vous travaillez pour les Barme depuis longtemps ?
- Depuis ma naissance, le service aux Clans est un héritage dans ma famille.
- Pourquoi est-ce vous qui avez été envoyé ? demandai-je en fronçant légèrement les sourcils. Je pensais avoir...
- Une fille ? Je comprends, m'assura-t-il en s'arrêtant à un feu rouge, j'étais le plus disponible et le plus...fiable, on va dire !
- Fiable ? Tous les majordomes ne sont-ils pas fiables ?
- Ça dépend de beaucoup de facteurs ! Et puis, je suis en vacances pour le moment, mon patron est en déplacement donc ça tombait plutôt bien...
- Vous êtes déjà au service d'un autre Barme ? Il est de ma famille ?
- Tous les Barme sont votre famille, affirma-t-il démarrant de nouveau.
Il demeura de nouveau silencieux. Je compris qu'il ne me donnerait pas plus de détails. Je remarquai aussi que ses réponses étaient aussi simples que vagues.
- Est-ce que c'est un proche parent ? insistai-je.
- Oui, murmura-t-il en coupant le moteur. Nous sommes arrivés, la table est déjà prête pour vous ! Prenez votre temps, je patiente...
J'entrai dans le restaurant. Il était totalement vide. Une table avait été préparée et il n'y avait que mes plats préférés. Cela me perturba. Comment les employés des Barme avaient-ils pris connaissance d'autant d'informations privées sur moi ? Comment savaient-ils aussi précisément ce que j'aimais manger ?
Je levai les yeux sur Neith qui s'était adossé contre la portière de la voiture et parlait au téléphone. Il dû sentir mon regard sur lui car il se tourna vers moi. Je me concentrai aussitôt sur mon repas, gênée.
Je n'avais pas l'habitude des interactions sociales avec des inconnus, surtout du sexe opposé. Mais ce majordome en particulier me mettait mal à l'aise sans que je ne sache pourquoi.
Je pris mon ancien téléphone, que je m'étais acheté en cachette car père refusait que j'en ai un, il était très vieux et tombait en ruine. Je n'avais pas d'argent, j'avais donc dansé et grand-mère m'avait donné un billet de 100€ pour mes quatorze ans.
Avec le reste de l'argent que j'avais gardé, eût par elle aussi à chaque anniversaire, j'avais réussi à trouver un téléphone sur internet à 250€ que grand-mère avait récupéré secrètement pour moi puisque je n'avais le droit de sortir.
Je composai le numéro de Lee. Un début de sourire se dessina sur mes lèvres dès que j'entendis que ça sonnait. Il disparut aussi rapidement qu'il était venu lorsque je tombai sur son répondeur. Encore.
Lee était ma bouée de secours, mon plan de sauvetage. Celui sur qui je pouvais toujours compter. Il était d'ailleurs la seule personne que je connaissais ici en Europe. Enfin presque.
- Bonjour Lee, c'est Sefora. Je suis bien arrivée. Rappelle-moi afin que l'on puisse se voir, je t'enverrais mon nouveau numéro !
Je raccrochai et décidai de profiter de mon petit-déjeuner. Surtout qu'il était rare que je mange ces plats. Père décidait de tout me concernant, même de mon alimentation. C'était donc comme un festin pour moi ce repas.
Et je n'étais pas venue en Europe pour m'apitoyer sur mon sort. Si j'avais décidé de tout quitter, c'était pour des raisons précises, j'avais des objectifs et j'étais prête à tout pour réussir. A tout.
Je m'apprêtai à ranger mon téléphone quand il se mit à vibrer. Je fus surprise car je n'avais beaucoup de personnes dans mon entourage pouvant m'appeler. Je fronçai les sourcils en voyant que c'était un numéro inconnu et me raidis en lisant le message qui me fit froid dans le dos " Si tu intègres Royalty, tu vas mourir ".