Je fais un pas en avant, consciente que je dois rester professionnelle. Pourtant, mes jambes tremblent légèrement, et un frisson parcourt mon corps. L'amulette autour de mon cou m'aide à contenir mes impulsions, et le parfum de « Brume fugueuse » masque ma propre aura de femelle Alpha, mais il n'empêche pas cette chimie d'exister, ce qui m'étonne un peu.
Il tourne la tête vers moi et, presque pour lui-même, murmure :
- Cynthia...
Je fronce les sourcils, surprise. Ce n'est pas mon nom. Je me sens un peu vexée. Me prend-il pour quelqu'un d'autre ? Peut-être une ancienne stagiaire ou une employée qu'il a déjà vue ? Et pourquoi ce ton... presque intime ?
Je respire profondément et m'efforce de garder mon calme.
- Bonjour, je suis Béatrice Jimenez, votre nouvelle assistante personnelle.
Je fais un pas en avant, tendant la main en sa direction, ma tablette dans l'autre, essayant de projeter l'assurance que je n'ai pas. Il m'observe, silencieux, le regard intense et troublant. Puis lentement, il se lève de sa place. Contourne son bureau pour venir me serrer la main.
Je dois faire des efforts surhumains pour ne pas baisser le regard quand je réponds à cette poignée de main, ce qui est en général perçu comme un signe de soumission chez les alphas. Le cou un peu raide, et le fixant lui et ses yeux bleus si parfaits, j'avance ma main. Je ressens un petit choc électrique quand je la serre. Il retire sa main en vitesse et moi aussi. Je relève les yeux vers lui. Son visage est un masque d'impassibilité. Il me désigne l'un des deux sièges confortables, devant son bureau, m'invitant à m'y asseoir.
Je détourne les yeux, mais son aura continue de m'envahir. Je sens mon corps réagir malgré moi, malgré l'amulette et le parfum.
Un mélange de frustration et de désir me serre la poitrine. Pourquoi est-ce que je me sens ainsi ? Est-ce que toutes les femelles Alpha réagissent de cette façon devant des Divins? Est-ce que tous les mâles Alpha dégagent constamment autant de phéromones?
Ce n'est qu'un premier contact... et pourtant, je suis troublée comme je ne l'ai jamais été depuis cette fameuse nuit dans un nightclub à Miami. Et cette nuit-là, j'ai perdu quelque chose de précieux. Mon innocence.
Ce Divin aussi pourrait bien me voler quelque chose...
Je dois absolument me ressaisir.
Les Alphas sont des charmeurs. C'est dans leur nature de séduire. De dominer. Je ne dois pas laisser ça m'affecter. Ni me monter à la tête!
Je m'assois rapidement sur le fauteuil, les mains légèrement moites, et je tente de me concentrer sur les dossiers devant moi. Mais je sais que ce ne sera pas simple.
Je jette un coup d'œil à Colin... et mon cœur rate un battement. Il est encore si près de moi. Bien trop! Au lieu d'aller se rasseoir derrière son bureau, il a choisi plutôt de s'installer nonchalamment dans la chaise voisine de la mienne et de la tourner vers moi.
Jesus Cristo!
Comment peut-on dégager autant de magnétisme sans bouger ? Il est là, assis devant moi, et pourtant je sens une distance étrange... comme si quelque atome dans l'air nous séparait tout en nous attirant.
- Alors, Béatrice... répète-t-il d'une voix posée, en fronçant légèrement les sourcils, visiblement perplexe.
Je serre la mâchoire. Il ne se souvient déjà plus de mon nom de famille ou quoi? Ou alors c'est qu'il me prend encore pour une ancienne stagiaire comme tout à l'heure...
- Béatrice Jimenez, je commence aujourd'hui, dis-je avec fermeté, essayant de faire résonner ma voix de confiance.
Il hoche la tête, un léger sourire passant sur ses lèvres, mais son regard reste perçant. Je sens mon sang bouillir : admiration et irritation se mélangent de manière désagréable. Pourquoi est-ce que je suis autant troublée ? Jamais je n'ai ressenti ça pour un autre homme depuis le père de Diego... et ce sentiment est à la fois effrayant et fascinant.
Je me replie légèrement sur ma chaise, tentant de me faire toute petite, mais impossible de détacher mes yeux de lui. Son aura m'intoxique, un parfum d'autorité et de puissance que je ne peux ignorer. Je sens mon souffle s'accélérer. L'amulette et le parfum de brume font leur travail : aucun alpha ne peut sentir mon odeur ni m'influencer avec leurs auras si charismatiques. Pourtant... mon corps réagit malgré tout.
- Très bien, dit-il calmement, presque comme pour lui-même. Votre cousin me disait que vous êtes des nôtres... Mais êtes-vous familière avec le Synode et les rouages de notre système?
Je me raidis. Sa voix me touche plus que je ne veux l'admettre. C'est comme une vibration que me transperce jusqu'à la moelle. Glissant cette mèche de cheveux frisotés toujours si rebelle derrière mon oreille, je lui déclare que sa mère, Annabelle Cleaver, m'a aidé à me familiariser avec le système...
La mère de maitre Cleaver était elle aussi une avocate très féroce quand elle exerçait encore.
― Maitre Annabelle Cleaver... Au bureau, c'est toujours maitre Annabelle Cleaver...
― Ah oui... pardon. dis-je, me mordillant la lèvre
Même si sa mère m'a un peu familiarisée avec le système en place, Maitre Colin sent de son devoir de me rappeler que la justice Alpha est greffée à celle des humains. Et que donc, dans ce bureau, il y a des procureurs qui s'occupent de dossiers impliquant des humains. Il est aussi leur supérieur hiérarchique à titre de procureur général de la ville d'Orlando, mais cette position ne sert qu'à masquer ses réelles fonctions de procureur assermenté par notre loge régionale, la loge de Floride, qui elle, me rappelle-t-il, est placée directement sous l'autorité du Synode des Anciens.
Ce qui veut dire que, lui se charge de poursuivre les dossiers impliquant des Alphas et uniquement ceux-là. Tous les autres, il les laisse à ses adjoints. Évidemment, les humains ignorent tout de ce système à deux justices en parallèle puisque les Alphas ont infiltré toutes les couches de la société.
―Je ne fais pas que plaider. Les Alphas commettent rarement des crimes... ou du moins, ils ont l'intelligence de ne pas s'faire prendre quand c'est l'cas. Mais quand l'un d'eux est assez stupide pour se faire prendre, c'est le juge de la loge régionale où s'est produit le crime qui entend l'affaire et un des procureurs assermentés par le Synode est automatiquement désigné. Dans la loge régionale de Floride, qui je vous le rappelle, a juridiction sur tous les États du sud-est des USA... Il n'y a que quatre procureurs... Maitre Hale, à Miami, maitre Muller à La Fayette en Louisiane, Maitre Duguay à Houston au Texas et moi-même ici à Orlando. Ce qui veut dire que je pourrais être appelé à tout moment pour aller juger une affaire dans un des états voisins qui sont aussi sous notre juridiction... Comme vous êtes mon assistante, vous devrez m'accompagner... est-ce que ça pourrait poser un problème ?
Je lui réponds que non sans même réfléchir. Mais ce n'est pas vrai!
¡Madre mía! C'est comme si mon corps et ma bouche ne désiraient que lui plaire!
Face à moi, il en est visiblement très satisfait de ma réponse et il passe à la suite de ses explications.
―Maintenant, concernant le traitement des dossiers... Nous avons bien entendu notre propre système en parallèle... il est accessible du serveur principal, mais seulement visible aux personnes qui ont la bonne accréditation...
Il tend la main vers moi et me demande de lui remettre ma tablette pour qu'il m'y donne accès. Ses doigts effleurent les miens quand il la prend et j'en ai la chair de poule. ¡Jesús! Je mouille quasiment ma culotte chaque fois qu'il me touche ou qu'il s'exprime!
Face à moi, il se penche déjà sur la tablette, allant y télécharger une application en accédant lui-même au serveur privé du bureau du procureur pour l'y installer. Tout en s'exécutant, il m'explique que cette application a été développée par Maxime Kellogg qui est un des nôtres comme je le sais...
Maxime Kellogg est un alpha qui était membre de la meute de mon cousin quand elle existait encore. On dit de lui qu'il est le nouveau Steve Job de cette génération.
Annabelle Cleaver était une des fondatrices de cette meute du Milliardaire Beach Club avec mon cousin et quelques autres. Ses deux fils et sa fille Lana en f'saient donc partie d'entrée de jeu comme tous les membres d'une même famille en général.
Hmmm... Maitre Colin agit comme si moi aussi j'étais des leurs, sans doute en raison de mon affiliation à Tony... mais je ne pas membres du Milliardaire Beach club, ça non! Je suis fauchée comme les blés! Et je ne me suis jamais sentie de la race alpha, même après ma mutation et je n'ai jamais voulu non plus m'intégrer à leur communauté locale malgré tous les efforts que Tony a fournis par le passé pour tenter de m'en convaincre. J'imagine que si j'avais accepté d'aller à ces soirées mondaines où d'autres Alphas étaient présents, aujourd'hui, je serais une des leurs, parfaitement intégrée et ce serait peut-être plus facile pour Diego.
J'ai un petit moment de culpabilité en y songeant.
Face à moi, Maitre Cleaver me rend ma tablette, me montrant comme il m'est facile maintenant, d'accéder aux dossiers en cours, des affaires surnaturelles traitées par lui... Il m'ordonne expressément de ne jamais laisser cette tablette à la traine où que ce soit. Plus tard, il demandera aussi à un des techniciens de me donner accès au serveur aussi sur mon ordinateur portable et de le sécuriser...
― Maintenant, le traitement des dossiers! Allez sur le serveur dans le dossier mauve pour que je vous montre la procédure pas à pas... J'ai mon propre système de classement...
Son propre système de classement. Pourquoi je ne suis pas surprise!
Je m'efforce de ne pas sourire et de suivre ses instructions. Il approche alors sa chaise de la mienne et se penche par-dessus mon épaule pour me montre, son odeur si virile m'enveloppant tel un cocon. Et tandis qu'il me parle de manière professionnelle, j'essaie de me concentrer sur le travail. Mais chaque mot qu'il prononce semble vibrer sous ma peau.
Je m'efforce de respirer lentement. Contrôle, Béatrice. C'est un nouveau travail, pas un jeu de séduction. Et pourtant... ce n'est pas que de la séduction. Il y a quelque chose dans son attitude qui me trouble, qui réveille des sensations que je croyais éteintes depuis longtemps.
Je glisse mon doigt sur l'écran tactile, mes doigts tremblants légèrement, tout en suivant ses instructions, et j'essaie de me convaincre que tout ceci n'est que mon imagination.
Mais au fond de moi, je sais déjà que cette journée ne sera pas facile.
Travailler pour maitre Colin en général ne sera pas facile!