L'air du matin me claque légèrement la peau; j'inspire et j'observe, comme un roi devant son domaine. J'en profite toujours pour admirer la vue magnifique que j'ai sur mes grands jardins et ma piscine creusée. Le jardin embaume la terre humide et l'odeur des pins, la fontaine chuchote encore ses perles d'eau - tout est à sa place. Ma demeure étant délimitée par une haute clôture, aucun voisin ne peut surprendre toutes les soirées que je donne entre amis quand je fais griller des burgers sur cet immense barbecue de ma terrasse les samedis soirs.
Vous trouvez sans doute que je me vante un peu trop... Tout en allant me brosser les dents dans mon immense salle de bain au lavabo en marbre, je vous l'admets volontiers! Mais vous devez comprendre que cette maison... ça fait depuis que j'étais gosse que je la rêvais d'y vivre! Et pour un alpha quasi immortel... je peux vous dire que l'attente fut bien plus longue que pour un humain, même si cette belle gueule qui me regarde dans le miroir a l'air de n'avoir que la trentaine! Hé! Hé!
Laissez-moi juste enfiler ma tenue de jogging avant de tout vous expliquer...
Je me dois de rester en forme.
Oui parce que, contrairement à la croyance populaire, le fait d'être un Alpha ― et un Divin s'il en est ― ne me rendait pas plus sexy que les autres quand je n'étais encore qu'un ado boutonneux. Non. Tout ces muscles et ce magnifique corps sculpté dans du granite me demandent bien des efforts!
Je fais mes étirements devant ma belle entrée de stationnement en demi-lune et la petite fontaine d'eau. À travers les grilles de l'enceinte, je peux voir la maison où j'ai grandi qui est située juste en face de celle-ci. C'est un manoir très austère que ma mère a vendu après son divorce... quand notre père s'est fait arrêter...
Ma chambre était au deuxième sur la droite... le troisième étage appartenait à mes parents et nous n'avions jamais le droit de nous y rendre pour des raisons que je désire ne pas évoquer...
Quand j'étais jeune, mon bureau d'étude était collé à la fenêtre... et, durant toutes ces longues heures où j'étais forcé d'étudier deux fois plus que les autres... Il m'arrivait souvent d'épier les voisins... les Watson. Ils avaient tellement l'air d'une famille heureuse... Un père, une mère, trois enfants, comme nous! Exception faite que nos parents deux garçons et une fille alors qu'eux ils avaient eu trois garçons très turbulents. Des humains menant une vie très simple que méprisait mon père.
Mais moi, je l'enviais, ces humains et leur petite `à vie si simple...
Bien évidemment, les enfants ont grandi et leurs parents vieillis... L'espérance de vie des humains est bien moins grande que la nôtre. Ils ne peuvent pas non plus se régénérer quand ils se blessent. Alors un jour, quand je suis revenu visiter mes parents... les Watson avaient vendu leur maison pour aller vivre dans un centre pour personnes âgées. C'est un ami de mes parents, Tony Jimenez... aujourd'hui président du Synode... qui l'avait acheté pour l'offrir à son oncle et à sa tante, des humains du côté de son paternel de sa famille...
Je m'étais bien évidemment fâché que personne ne m'ait prévenu, que la maison voisine était sur le marché avant qu'elle soit vendue!
Tout en joggant dans le quartier, je souris en moi-même. Heureusement, je suis un homme patient... En effet, éventuellement, Marissa et Juan Jimenez, qui ne sont que des humains ordinaires, n'est-ce pas... ont commencé à se faire vieux eux aussi. Et qu'est-ce qu'ils ont fait? Eh oui! Ils ont vendu la maison!
J'ai donc enfin pu la racheter en février dernier!
Ce qui fait que je peux ENFIN vivre dans la maison de mes rêves... et il ne me reste plus qu'à trouver la compagne qui m'est prédestinée pour y couler des jours heureux dans notre petit nid d'amour!
Et les enfants?
Nannnn... Je n'en veux pas! Il y a bien trop de risques qu'ils héritent des mauvais gènes de mon père! Et puis je ne suis pas du genre à partager et si j'avais des gosses, je serais obligé de partager ma compagne avec eux!
Je prends une douche en revenant de faire mon jogging.
L'eau commence par réveiller mes muscles ; elle lave la fatigue de la course et ouvre un espace où je la laisse surgir : elle, Cynthia, encore et toujours. Je me savonne tout en songeant à.... Cynthia... ma compagne prédestinée. Elle et moi n'avons eu qu'une seule aventure... une seule nuit d'amour... mais je ne pense qu'à elle depuis ce jour.
Toujours elle, comme un fil tiré dans ma chair. Même quand mon esprit est plongé dans le banal - café, horaires, dossiers - mon corps rappelle. Le lien ne s'éteint pas. Ce n'est pas seulement une obsession charnelle, c'est un rappel viscéral : quelque chose d'antique me hurle qu'elle m'appartient. L'amulette, l'absence, la mémoire brisée - tout cela n'efface pas la mémoire du corps. Les sensations restent plus nettes que les images.
Je songe à nos corps se frôlant sur la piste de danse... à la façon dont elle frottait son derrière en cœur sur ma bite... et comme je me déhanchais...
Ma main descend lentement vers ma bite et je me masturbe tout en laissant les images affluer à mon cerveau...
Moi et elle nous dévorant la bouche.
Moi et elle nous ruant vers la sortie de ce bar branché, à l'amusement du videur de l'établissement.
Moi et elle interpellant un taxi.
Moi et elle nous roulant de pelles et nous tripatouillant sur la banquette arrière alors que je presse le chauffeur de nous conduire dans cet hotel miteux...
Moi, lui arrachant violemment ses vêtements sur le corps pour l'entrainer vers le lit de cet endroit si minable qui l'espace d'une nuit, était le paradis pour moi.
Ou plutôt elle était mon paradis!
Moi et Cynthia dans ce lit confortable, ses énormes seins me remplissant les mains et la bouche.
Cynthia... oh Cynthia...!
Et enfin, moi la pénétrant et la baisant comme une bête sauvage toute la bloody nuit!
Blimey!
L'orgasme me frappe avec la même brutalité que toujours ; je jouis, violent, et ma semence s'écrase, tachant le mur de la douche. C'est mécanique, nécessaire, mais insuffisant. Quand je reprends mon souffle, je reste appuyé une seconde, la main sur le carrelage humide, et la frustration revient, toujours plus lourde : ce n'est jamais elle. Ce n'est jamais la chaleur réelle d'avoir Cynthia dans mes bras.
Une fois l'orgasme passé sous le jet d'eau, une main sur le mur, je pousse un profond soupir de frustration. Ce ne sera jamais aussi satisfaisant que d'avoir Cynthia entre mes bras!
Je ferme le robinet et j'ouvre avec brusquerie la porte de la douche pour en sortir.
Si seulement je n'avais pas fait ce choix si stupide de partir en douce... le lendemain matin!
Comme chaque matin depuis presque douze ans, je me frappe la tête et je me rappelle comme je suis le plus parfait des idiots!
Je tenais la compagne qui m'est prédestinée. Elle était dans mes bras... elle s'y lovait si parfaitement avec ses formes généreuses et sa petite taille... mais moi, je l'ai laissée me filer entre les doigts!
Tout ça pour quoi?
Parce que j'ai paniqué. La peur me paralysait.
Peur des conséquences.
Peur que mon ignoble père le découvre... et qu'il fasse du mal à une autre personne innocente: ma compagne prédestinée. Mon unique faiblesse.
Mais plus que tout : La peur de ne pas en être digne.
Parce qu'à l'époque, le jeune insécure que j'étais ne se jugeait pas suffisamment méritant pour une femme aussi parfaite!
Je ferme les yeux tout en me séchant les cheveux, ma serviette autour de la taille.
Une seule minute!
Une toute petite minute d'apitoiement par jour.
C'est tout ce que je m'autorise!
Je ne peux pleurnicher sur mon sort plus longtemps.
Je suis un Alpha Divin.
Maitre Colin Fucking Cleaver!
Le meilleur des avocats criminologues de ma génération et le futur juge en chef de la loge de Floride!
Je vais vers mon dressing d'un pas résolu tout en me répétant ses paroles jusqu'à y croire.
Mon objectif est devant moi et non derrière! Et je suis déterminé à l'atteindre!
Je choisi un de mes complets parmi les moins couteux ce matin, comme c'est un jour de boulot comme les autres. Mais quand je dois plaider à la cour, c'est une autre affaire!
Ensuite je prends une cravate coordonnée puis j'ouvre un des tiroirs... pour les boutons de manchettes... et un autre pour la montre... J'ai commencé à en faire collection la première fois que je suis allée à l'uni... Harvard à l'époque. Ma sœur cadette, Lana, m'avait offert une montre Philip Patek. Puis c'est mon frère qui m'en a offert une autre, une Rolex cette fois, à mon anniversaire en novembre de la même année... Maintenant, c'est devenu une tradition ou plutôt un gag entre eux et j'en ai toute une collection, des montres les plus hideuses en passant par les plus antiques.
L'an dernier, mon frère et ma sœur m'ont même offert une montre de Bob l'éponge! Parce que je suis bien trop coincé et que j'ai besoin de rire un peu, disaient-ils. Je souris furtivement ma main s'attardant un moment en passant au-dessus de la montre en question. Je me demande bien ce que diraient mes employés au bureau du procureur si j'arrivais au boulot avec une montre comme celle-là!
Ils me demanderaient sans doute si je n'aurais pas été enlevé par des extraterrestres au beau milieu de la nuit et remplacé par un clone, parce que ça ne cadre tellement pas avec moi!
Je termine de me vêtir en vitesse, laçant mes chaussures, et je descends me servir un café frais de la cafetière qui est munie d'une minuterie. Le café coule précisément tous les matins à huit heures tapante. Le temps de manger une pomme et je suis prêt à partir pour le boulot dès huit heures trente.
Ce qui est l'heure idéale pour appeler mon frère en Angleterre et l'embêter.
C'est pourquoi aussitôt que je me mets au volant de ma Ferrari, j'installe immédiatement mon smartphone sur le petit support prévu à cet effet et j'appuie sur le nom de « Bro » qui s'affiche sur l'écran tactile de la voiture, pour lui passer un coup de fil en main libre avant d'embrayer la marche arrière.
Mon frère met du temps à répondre – sans doute parce qu'il ne veut pas me parler – mais je laisse tout de même sonner indéfiniment, patientant l'ouverture électrique des grilles du portail de mon domaine pour m'engager sur la route.
Je viens tout juste de passer la première quand mon frère Jake prend enfin l'appel et que sa voix très calme et très pausée se fait entendre:
―Non.