Rejetée mais Liée
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Chapitre 5 Chapitre 5

Le jour se leva sur le palais meurtri par l'attaque nocturne. Les pierres encore fumantes des remparts portaient les traces du combat, et le sol de la cour sentait le fer et le sang séché. Les loups de garde s'activaient, effaçant les stigmates de la bataille, mais sous cette agitation, une tension sourde persistait. Le roi avait été visé, et pourtant, c'était une paria qui s'était dressée pour le protéger.

Draven n'avait pas dormi. Ses yeux brûlaient, mais son corps refusait le repos. La vision d'Elara, fragile et ensanglantée, s'interposant entre lui et la lame d'un ennemi, revenait sans cesse. Son instinct hurlait de la repousser encore, de couper ce lien qui rongeait sa volonté. Mais le souvenir de sa chaleur, de son courage, refusait de s'effacer.

Quand les premiers rayons dorés franchirent les vitraux de la salle du trône, il prit sa décision. Les conseillers attendaient, les anciens aussi, impatients de savoir quelle place il donnerait à celle qui portait sa marque.

Draven descendit lentement les marches, sa silhouette massive se découpant dans la lumière. Sa voix s'éleva, grave et sans appel.

- Elara reste.

Un murmure parcourut l'assemblée. Certains se raidirent, d'autres échangèrent des regards incrédules. Draven leva une main pour réclamer le silence.

- Elle est marquée. Ce lien ne peut être brisé, vous le savez. Je ne permettrai pas que ma meute voie en elle une proie. Elle restera au palais, sous ma protection.

Ses mots claquèrent comme un ordre militaire. Mais dans son cœur, il savait que c'était plus complexe que cela. Elle n'était pas seulement sous sa protection... c'était lui qui avait besoin d'elle.

Elara, convoquée devant lui, sentit le poids de tous les regards. Ses jambes tremblaient, mais elle refusa de baisser les yeux. Son cou la brûlait encore, là où la marque pulsait doucement, comme pour rappeler à tous qu'elle appartenait au roi. Pourtant, loin de lui donner de la force, cette appartenance l'écrasait.

À peine sortie de la salle du trône, la rumeur se répandit. Dans les couloirs, dans les jardins, on murmurait son nom avec mépris. Les louves de la cour, toujours impeccables dans leurs robes précieuses, étaient les plus cruelles. Pour elles, être compagne marquée du roi était l'honneur suprême, l'aboutissement d'une vie de dévouement et de stratégie. Que ce privilège soit tombé sur une paria leur était insupportable.

Elles l'attendaient. Dès son premier pas dans la cour intérieure, elle sentit leurs regards s'abattre sur elle, acérés comme des lames. Un cercle se forma, silencieux, puis l'une d'elles brisa l'attente. Une louve à la chevelure rousse, au sourire cruel.

- Regardez qui voilà. La nouvelle favorite du roi.

Un éclat de rire s'éleva, sec, moqueur. Elara serra les poings, mais ne répondit pas. Elle baissa légèrement la tête, espérant passer sans heurts. Mais une autre, plus grande, lui barra le chemin. Ses yeux brillaient d'un mépris ouvert.

- Une paria, marquée comme une reine... quelle honte pour nous toutes.

Elara voulut parler, dire qu'elle n'avait rien choisi. Mais sa gorge se serra. Les mots moururent dans sa bouche.

- On dit qu'il t'a sauvée hier, ajouta une troisième, mince et élégante. Que tu t'es jetée devant lui comme une chienne qui protège son maître. Est-ce donc ta façon de t'acheter une place ici ?

Les rires redoublèrent. Elara sentit ses joues brûler. Elle recula d'un pas, mais la rousse avança, ses yeux étincelants de cruauté.

- Tu crois que tu peux t'imposer parmi nous ? Tu crois que ton sang de ratée peut se mêler au nôtre ? Tu n'es rien. Même marquée, tu resteras rien.

Elara inspira profondément, cherchant un fragment de courage. Mais chaque mot qu'elles crachaient s'enfonçait en elle comme une dague. Elle sentit le lien vibrer dans sa poitrine, et une douleur sourde se propagea. Draven. Il percevait sa honte, sa peur. Il devait être quelque part, en train de ressentir tout ce qu'elle subissait.

Cette pensée lui donna la force de relever enfin les yeux.

- Je ne veux pas m'imposer. Je n'ai jamais voulu de cette marque. Mais je n'ai pas honte de ce que j'ai fait hier. J'ai protégé votre roi, quand beaucoup d'entre vous seraient restées à l'abri derrière ces murs.

Le silence tomba une seconde. Les rires cessèrent, remplacés par des regards glacés. La grande aux yeux sombres s'approcha, son visage à quelques centimètres du sien.

- Profite tant que tu le peux, paria. Le jour viendra où il se lassera de toi, et alors tu redeviendras ce que tu as toujours été : une ombre inutile.

Elles se dispersèrent en riant, leurs robes bruissant comme des ailes empoisonnées. Elara resta figée un instant, le souffle court, les yeux embués. Elle voulut tenir tête, leur montrer qu'elles ne l'avaient pas brisée. Mais dès qu'elle fut seule, ses jambes cédèrent. Elle s'assit contre un mur, son visage enfoui dans ses mains.

- Pourquoi moi ? murmura-t-elle, sa voix brisée.

À travers le lien, elle sentit un écho. Draven. Sa colère vibrait, brutale. Il avait tout entendu, tout ressenti. Son poing s'abattit sur une table dans ses appartements, éclatant le bois en deux. Mais il resta seul, prisonnier de son rôle de roi. Il ne pouvait pas descendre dans la cour pour la défendre, pas devant elles, pas devant la meute. Son silence le rongeait.

Elara essuya ses larmes d'un geste brusque. Elle se redressa, encore vacillante, mais son regard brillait d'une lueur nouvelle. Elle avait compris une chose essentielle : personne ici ne lui ferait de cadeau. Chaque sourire cacherait une morsure. Chaque regard serait une épée prête à s'abattre.

Si elle voulait survivre au palais, elle devrait apprendre à se tenir droite malgré l'humiliation, à transformer chaque blessure en armure. Parce qu'elle n'était plus seulement une paria rejetée. Elle était la compagne marquée du roi.

Et même si lui-même la rejetait encore, ce lien les liait d'une manière que personne ne pouvait comprendre.

Elle posa la main sur la brûlure de son cou et releva la tête. Les louves pouvaient l'humilier, le roi pouvait la repousser, mais une vérité restait immuable : leur destin était scellé, et aucune d'elles ne pouvait l'effacer.

Et peut-être, pensa-t-elle dans un souffle amer, que c'était là sa seule arme.

Les jours qui suivirent l'attaque et l'humiliation d'Elara au sein du palais prirent une tournure étrange, presque insoutenable. À chaque tentative de distance entre elle et Draven, quelque chose de plus fort que la volonté humaine les ramenait l'un vers l'autre. Elle l'apprit dans la douleur, dans ce feu intérieur qui s'enflammait chaque fois qu'il s'éloignait trop, dans ce poids qui lui écrasait la poitrine lorsque sa présence quittait la salle.

La première fois que cela se produisit, ce fut brutal. Draven, irrité par sa simple vision dans les couloirs du palais, s'éloigna volontairement, déterminé à s'enfermer dans ses appartements pour couper ce qu'il percevait comme une faiblesse. Elara, elle, resta dans la cour, les yeux rivés au ciel comme pour chercher un souffle qui ne venait pas. Mais à peine eut-il franchi le seuil de ses appartements qu'elle plia en deux, haletante, le cœur battant à rompre ses côtes. La douleur la traversa comme une lame invisible. Elle entendit alors, très distinctement, un rugissement intérieur qui n'était pas le sien mais le sien à lui.

De l'autre côté des murs, Draven vacilla à son tour. Ses doigts se crispèrent sur l'encadrement de la porte, ses mâchoires serrées à s'en faire saigner les gencives. Ce n'était pas seulement la douleur d'Elara qu'il ressentait, c'était la sienne, répercutée et amplifiée. Il voulut ignorer, étouffer l'écho qui battait en lui, mais chaque seconde rendait sa propre chair plus lourde, son souffle plus court.

Il dut revenir. C'était presque humiliant pour lui, roi Alpha redouté, de devoir céder à un appel invisible. Pourtant, à mesure qu'il réduisait la distance qui les séparait, la douleur s'apaisait, et lorsqu'il franchit la cour et que leurs yeux se croisèrent à nouveau, tout s'arrêta d'un coup. Comme si rien n'avait eu lieu.

Elara était agenouillée, la main crispée contre sa poitrine. Quand elle leva le regard vers lui, il lut dans ses yeux ce qu'il refusait de dire à voix haute : ils étaient prisonniers l'un de l'autre. Pas seulement marqués, pas seulement liés. Dépendants.

Elle se releva lentement, ses jambes encore tremblantes.

- C'était... toi, murmura-t-elle, la voix rauque. Ce que je ressentais... ce que tu ressentais aussi.

Draven détourna les yeux, son visage fermé.

- Ce n'est qu'un contrecoup du lien. Cela passera.

- Tu mens, souffla-t-elle, et ses mots tombèrent comme un constat douloureux.

Il ne répondit pas. Parce qu'elle avait raison.

À partir de ce moment, la dépendance ne fit que s'affirmer. La moindre séparation devenait une torture. Une réunion prolongée pour Draven, un simple détour pour Elara, et leurs corps réagissaient comme si on leur arrachait la chair. Leurs nuits se teintaient de visions partagées, de cauchemars identiques où ils se voyaient déchirés, l'un arraché à l'autre par des ombres indistinctes. Ils se réveillaient en sursaut, la gorge nouée, leurs souffles liés comme une même respiration.

Pour Elara, ce lien était à la fois un fardeau et une énigme. Plus les jours passaient, plus elle sentait qu'il y avait autre chose derrière cette marque. Quelque chose qui dépassait la simple impulsion d'un Alpha. Une force ancienne, tapie dans les racines de leur monde, qui s'était réveillée en eux.

Ce fut une nuit que la première réponse se manifesta. Le palais était silencieux, étouffé dans les ténèbres. Elara, incapable de dormir, errait dans sa chambre, ses doigts glissant sur la brûlure de sa nuque. Elle ferma les yeux, tentant d'apaiser ce flux d'énergie qui ne cessait de pulser dans ses veines.

Alors, une voix s'éleva. Pas dans la pièce. Pas à travers une porte. Dans son esprit. Douce, éthérée, comme un souffle ancien venu d'un autre temps.

« Lien sacré... lien prophétique... »

Elara sursauta, ses yeux écarquillés fouillant la chambre vide.

- Qui est là ? murmura-t-elle, le cœur affolé.

La voix poursuivit, indifférente à sa peur.

« Marqués non par hasard, mais par nécessité. Ce que tu portes n'est pas une erreur... c'est la clé. »

Elle plaqua ses mains contre ses oreilles, comme si elle pouvait faire taire un son qui ne venait de nulle part. Mais la voix vibrait en elle, plus profonde que ses propres pensées.

« Le roi, l'ombre et la paria. Ensemble ou détruits. Votre union décide du destin de la meute, du royaume... et du sang qui coulera. »

Elara sentit sa respiration se briser.

- Non... ce n'est pas possible. Ce lien... il n'en veut pas. Il veut me rejeter...

Un souffle doux, presque maternel, caressa son esprit.

« On ne rejette pas une prophétie. On la vit... ou on la subit. »

Puis le silence retomba, si lourd qu'il en devint oppressant.

Elle resta longtemps immobile, les yeux fixés sur la pénombre. Ses mains tremblaient, son corps glacé malgré la chaleur des torches. Une prophétie. Elle, la paria rejetée, serait liée au destin du royaume ? C'était insensé, impossible. Et pourtant, au fond d'elle, une part refusait de douter. Parce que ce qu'elle ressentait dans sa chair chaque fois que Draven s'éloignait, chaque vision partagée, chaque cauchemar... rien de tout cela n'était ordinaire.

Au petit matin, ses yeux cernés trahissaient l'insomnie. Quand elle croisa Draven dans le couloir, le poids de cette vérité se pressa sur sa langue, mais elle n'osa pas parler. Il aurait ri. Il aurait balayé ses mots d'un revers de main, comme il balayait tout ce qui ne cadrait pas avec son armure d'Alpha invincible.

Mais une certitude s'enracinait déjà en elle. Peu importe ses rejets, peu importe les humiliations des louves, peu importe les chaînes invisibles qui l'enserraient. Si cette voix disait vrai, leur destin à tous deux ne dépendait plus de leurs volontés.

Et peut-être... que dans cette dépendance, dans cette douleur partagée, se cachait aussi la seule chance de comprendre ce lien qu'aucun des deux n'avait choisi, mais qui, désormais, scellait plus que leur chair : l'avenir même de leur monde.

                         

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