Rejetée mais Liée
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Chapitre 3 Chapitre 3

La salle du conseil résonnait d'un silence lourd, ponctué seulement par le crépitement des torches fixées aux murs de pierre. Les anciens étaient assis en demi-cercle, leurs visages sévères tournés vers le trône où Draven dominait la pièce. À ses pieds, gardée par deux guerriers, Elara se tenait immobile, le regard bas, ses doigts crispés sur le tissu usé de sa robe. Son cœur battait à une allure effrénée, chaque pulsation martelant dans son crâne l'évidence de ce qui allait se produire.

Draven ne la regardait pas. Ses yeux, d'ordinaire vifs et impitoyables, s'étaient assombris, voilés par une détermination glacée. Pourtant, elle pouvait sentir son trouble. Depuis cette nuit dans la clairière, le lien entre eux avait ouvert un passage invisible. Même s'il tournait le visage, même s'il feignait l'indifférence, Elara percevait les remous dans son âme : colère, regret, une pointe de peur qu'il dissimulait avec soin.

L'un des anciens toussa pour rappeler l'enjeu.

- Sire, dit-il d'une voix ferme, vous savez que votre geste a des conséquences. Vous avez marqué une paria. C'est une souillure pour le trône. La meute attend une décision claire.

Des murmures approbateurs parcoururent la salle. D'autres restaient muets, attendant la sentence. Elara sentit ses jambes trembler. Ses yeux cherchèrent malgré elle la silhouette imposante de Draven. Une partie d'elle espérait encore qu'il la protégerait, qu'il défierait l'assemblée en affirmant son choix. Mais l'autre partie, plus lucide, savait déjà.

Le roi se leva lentement. Sa cape sombre glissa de ses épaules dans un froissement de tissu lourd. Sa voix s'éleva, grave, autoritaire, sans appel.

- Ce qui s'est produit n'aurait jamais dû avoir lieu.

Chaque mot était une lame qui s'enfonçait dans la poitrine d'Elara. Ses poings se serrèrent davantage, ses ongles entaillant sa paume. Draven marqua une pause, scrutant les anciens un à un, comme pour leur donner le temps de peser ses mots.

- Je n'ai pas choisi cette femme. Ce n'était qu'un accident. Un instant de faiblesse que je ne laisserai pas ternir ma couronne.

Un grondement approbateur s'éleva dans la salle. Elara sentit ses oreilles bourdonner. Ses yeux s'emplirent de larmes, mais elle refusa de les laisser couler. Si elle pleurait, ils gagneraient. Ils la verraient faible, pitoyable, et ce serait leur justification pour la chasser, ou pire.

Draven tourna enfin le visage vers elle. Leur regard se croisa. Il y eut une seconde de silence absolu, une fraction de temps suspendue où elle crut percevoir dans ses yeux une lutte intérieure, une hésitation. Mais elle disparut aussitôt, remplacée par une froideur implacable.

- Je rejette ce lien.

Ces mots claquèrent dans l'air comme un coup de tonnerre. Elara eut à peine le temps de comprendre qu'une douleur foudroyante s'abattit sur elle. Elle porta les mains à sa poitrine en criant, pliée en deux comme si une lame invisible l'avait transpercée. Son souffle se bloqua, ses poumons refusaient l'air. Ses veines brûlaient, son sang semblait vouloir jaillir hors de son corps.

Mais ce n'était pas seulement elle.

Un rugissement sauvage s'échappa de Draven. Sa main vint instinctivement se plaquer contre sa propre poitrine, ses genoux fléchirent. La douleur le frappa avec la même intensité. Ses traits se crispèrent, déformés par l'effort de rester debout. Son regard flamboyant se tourna vers elle, incrédule. Il ne s'était pas attendu à cela.

- Qu'est-ce que...? souffla-t-il, les dents serrées.

Elara, haletante, sentit des images la traverser de plein fouet : des éclairs de colère, une solitude déchirante, et un abîme de honte. Tout cela venait de lui. À travers le lien, ses émotions la transperçaient. Mais elle aussi lui envoyait les siennes, malgré elle : sa douleur, son rejet, son désespoir.

Les anciens observaient la scène, interloqués. Ils avaient déjà vu des rejets, mais jamais avec une telle intensité. Certains échangeaient des regards inquiets. D'autres murmuraient que c'était un mauvais présage.

- Arrête... gémit Elara, sa voix brisée. Tu me tues...

Sa supplique résonna dans l'esprit de Draven autant que dans la salle. Il tressaillit, frappé par la vérité. Il n'était pas seul à souffrir : leurs corps, leurs âmes, tout était mêlé. Le lien ne se rompait pas par une simple déclaration.

Il serra les poings, tentant de reprendre le contrôle. Sa respiration était saccadée, chaque bouffée d'air une torture. Pourtant, il ne voulait rien montrer devant les anciens. Pas de faiblesse. Jamais.

- Gardez-la loin de moi, ordonna-t-il dans un souffle rauque. Enfermez-la, bannissez-la, mais qu'elle ne paraisse plus devant moi.

Deux gardes s'approchèrent d'Elara, hésitants. Ils avaient vu la douleur du roi, ils craignaient qu'un geste brusque n'aggrave sa fureur. Elara, à genoux, tenta de se redresser. Ses yeux fixèrent Draven une dernière fois, et elle trouva la force de parler malgré la brûlure dans sa gorge.

- Tu crois pouvoir me rejeter... mais regarde-toi. Tu souffres autant que moi.

Ses mots frappèrent Draven comme un coup en plein cœur. Il détourna aussitôt le regard, le visage durci. Pourtant, au fond de lui, il savait qu'elle avait raison. La marque ne se laissait pas effacer. Leur lien était une chaîne invisible, plus solide que l'acier.

Les gardes l'attrapèrent par les bras. Elle ne résista pas. À quoi bon ? Elle était déjà condamnée aux yeux de tous. Mais alors qu'on la traînait vers la sortie, elle sentit encore une onde traverser son esprit. Une peur. La sienne, oui, mais amplifiée, répercutée par Draven.

Il avait peur. Pas d'elle. Pas de la meute. De ce qu'ils allaient devenir, tous les deux.

La porte massive de la salle du conseil se referma derrière elle dans un claquement sourd. Elara ferma les yeux, laissant une larme solitaire rouler sur sa joue. Sa poitrine la brûlait encore, et elle savait que ce supplice ne s'éteindrait pas. Chaque rejet, chaque éloignement serait une nouvelle blessure.

De l'autre côté de la porte, Draven s'était effondré dans son siège, les mains crispées sur l'accoudoir. Sa respiration haletante résonnait dans la salle silencieuse. Les anciens n'osaient pas parler. Ils savaient que quelque chose d'inédit venait de naître ce soir-là.

Et Draven, malgré son refus, malgré ses mots durs, comprit lui aussi. Rejeter Elara ne ferait pas disparaître le lien. Cela ne ferait que les déchirer un peu plus, jusqu'à ce que l'un d'eux cède.

Et il ne savait pas combien de temps il pourrait résister.

La nuit engloutissait la forteresse, ses pierres sombres résonnant encore des échos du conseil. Les lourdes portes s'étaient refermées sur Elara comme sur un verdict sans appel. Escortée par les gardes, le souffle court, elle avait cru suffoquer. La brûlure du rejet vibrait encore dans ses veines, chaque pas devenait un supplice. Mais ce n'était pas la douleur physique qui la brisait, c'était l'humiliation.

Les couloirs résonnaient du claquement de leurs bottes. À mesure qu'ils avançaient, les murmures des serviteurs montaient. Certains se détournaient avec mépris, d'autres ricanaient, murmurant à mi-voix le mot qui collait à sa peau depuis toujours : paria. Cette fois pourtant, le mot avait une saveur plus amère encore. Parce qu'elle portait la marque du roi, une marque qu'il venait de renier devant tous.

Arrivée devant les portes d'une aile reculée du château, elle sentit son cœur basculer. Elle ne pouvait pas rester ici. Pas enfermée comme une criminelle. Pas à la merci de ceux qui rêveraient de l'achever dans son sommeil. Quand les gardes ouvrirent la porte d'une petite chambre nue qui devait lui servir de geôle, elle ne réfléchit pas. Un instinct de survie, brut, la saisit. Elle repoussa de toutes ses forces le premier soldat, lui décochant un coup de genou dans l'estomac. L'homme grogna, surpris, et s'effondra à moitié.

Profitant de l'élan, elle s'élança dans le couloir. Le second garde tenta de la rattraper mais elle glissa sous son bras, ses pieds nus frappant les dalles froides à toute vitesse. Sa respiration hachée résonnait dans la nuit. Elle n'avait pas de plan, pas de destination. Seulement ce besoin viscéral de s'éloigner de ces murs, de cette meute, de lui.

Elle déboucha dans la cour, où le clair de lune baignait les pierres d'une lueur argentée. Son regard se posa sur la porte massive donnant sur la forêt. Les gardes étaient occupés ailleurs, distraits par les remous du conseil. C'était sa chance. Elle courut, le souffle brûlant sa gorge, chaque battement de son cœur cognant comme un tambour.

Quand ses doigts touchèrent enfin le bois froid de la porte, elle sentit de nouveau le lien vibrer. Un tiraillement dans sa poitrine, comme si une main invisible cherchait à la retenir. Une vague d'émotions la traversa, si forte qu'elle faillit s'effondrer. Colère. Peur. Désespoir. Ce n'étaient pas seulement les siens. C'était Draven. Même enfermé dans ses appartements, il sentait sa fuite.

- Laisse-moi, souffla-t-elle dans la nuit, comme si ses mots pouvaient franchir la distance et briser cette chaîne invisible.

Dans un effort désespéré, elle força la porte. Les gonds grinçèrent, et un souffle glacé s'engouffra. La forêt l'accueillit comme une mère impitoyable. Elara s'y engouffra sans un regard en arrière. Chaque branche qui fouettait son visage, chaque racine qui entravait son pas, semblait murmurer son nom. Elle n'était plus qu'une ombre parmi les ombres, guidée par l'instinct.

Mais elle n'était pas seule.

Dans l'ombre d'une tour, dissimulé entre les créneaux, un homme observait. Ses yeux pâles luisaient sous la lune, froids et calculateurs. Drapé dans une cape sombre, il tenait un petit carnet de cuir dans lequel il notait d'une main rapide. Ses lèvres étirées en un sourire mince trahissaient sa satisfaction.

- Intéressant... très intéressant, murmura-t-il pour lui-même.

Il avait vu la scène au conseil, entendu les cris, senti la tension vibrer jusque dans les pierres. Le roi Alpha, l'inflexible Draven, avait vacillé. La douleur partagée, le rejet qui n'en était pas un... Tout cela révélait une faille que nul ennemi n'aurait jamais osé imaginer.

Il suivit du regard la silhouette d'Elara qui disparaissait dans la forêt. Une paria marquée, rejetée, mais toujours liée. Une faiblesse vivante, palpable. Et maintenant, seule dans les bois, vulnérable à quiconque la trouverait.

Il griffonna quelques mots de plus, son écriture serrée courant sur la page. Chaque détail comptait : la pâleur du roi, le tremblement de ses mains, le cri d'Elara résonnant comme une plaie béante dans la fierté du trône. Puis il referma le carnet et glissa la plume dans sa ceinture.

- Le loup n'est plus intouchable, dit-il à voix basse, un sourire carnassier aux lèvres.

Il se détourna, disparaissant dans l'ombre, déjà prêt à transmettre son rapport à ceux qui attendaient au-delà des frontières. Les ennemis du royaume n'avaient jamais rêvé meilleure opportunité.

Dans la forêt, Elara trébuchait, ses pieds écorchés par les pierres, ses bras griffés par les branches. La douleur du rejet vibrait toujours en elle, sourde et tenace, mais ce qui la poussait en avant n'était plus la honte. C'était une détermination nouvelle, née de son humiliation.

Elle devait survivre. Non pas pour lui prouver qu'il avait tort. Mais parce que, malgré tout, ce lien qui les enchaînait était devenu sa vérité. Elle ne savait pas encore si c'était une malédiction ou une arme. Mais elle allait le découvrir.

Et dans l'obscurité des bois, loin derrière elle, le cœur du roi battait au même rythme que le sien.

            
            

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