Toujours, elle se réveillait le cœur affolé, la peau trempée de sueur glacée, et l'écho de sa douleur vibrait jusque dans sa poitrine.
Ce qu'elle ignorait, c'est que Draven se réveillait de la même façon, seul dans la vaste chambre royale où le silence pesait plus lourd que les murailles. Ses draps froissés témoignaient de ses insomnies. Chaque fois, son souffle haletant se mêlait à une certitude qu'il refusait de nommer : leurs cauchemars étaient identiques. Le lien refusait son rejet, s'accrochait à eux comme une chaîne invisible qui ne se rompait pas, même par la volonté d'un roi.
Dans son exil improvisé, Elara avait tenté de fuir loin, de s'enfoncer dans la forêt, espérant que la distance briserait ce tourment. Mais plus elle marchait, plus elle sentait ce fil invisible tirer sur sa poitrine, la ramenant en arrière. Ses pas devenaient hésitants, ses rêves la hantaient, et chaque cri étouffé de Draven dans son sommeil résonnait au creux de son âme comme si c'était le sien.
Un soir, épuisée, elle s'écroula près d'un ruisseau. Le ciel nocturne s'étendait au-dessus d'elle, clair et impassible, mais ses pensées étaient un tumulte. Elle posa une main sur la marque de son cou, qui pulsait doucement, comme si elle respirait par elle-même.
- Pourquoi... pourquoi ne puis-je pas t'oublier ? murmura-t-elle, ses larmes se mêlant à l'eau froide qu'elle avait portée à ses lèvres.
À ce même instant, à des lieues de là, Draven, assis seul dans son bureau, sursauta. Il avait entendu ce murmure. Pas par ses oreilles, mais directement dans son esprit. Sa main se crispa sur le verre qu'il tenait, et le cristal éclata, répandant du vin rouge sur les dossiers étalés devant lui.
Il ferma les yeux un instant, sa mâchoire serrée.
- Assez... souffla-t-il entre ses dents.
Mais il savait que le lien ne se tairait pas. Plus il résistait, plus il s'imposait.
Elara finit par céder. Après des jours de lutte intérieure, elle reprit le chemin du palais. Non par volonté, mais par une force inexorable qui la ramenait toujours vers lui. Chaque pas lui coûtait, chaque souvenir la rongeait, mais elle comprit que fuir était inutile. Le lien ne se briserait pas. Elle devait l'affronter, coûte que coûte.
Ce fut en approchant des murailles qu'elle sentit le danger. L'air avait une odeur différente, métallique, un parfum de sang et de fer. Ses sens, qu'elle avait toujours crus ternes à cause de sa nature de paria, semblaient soudain en éveil, amplifiés par ce lien étrange. Ses yeux se levèrent vers les remparts, et elle vit l'ombre furtive d'un homme escaladant les pierres.
Le palais était attaqué.
Un grondement sourd monta dans son ventre, une réaction qu'elle ne se connaissait pas. Sans réfléchir, elle se précipita, ses pieds la guidant d'instinct vers le cœur du danger. Les cris éclatèrent bientôt : les sentinelles appelaient à l'alerte, les flèches sifflaient dans l'air, et les intrus, rapides et organisés, se déversaient comme une marée noire.
Draven fut l'un des premiers à sentir la menace. Le rugissement de ses soldats retentissait au-dehors, et son sang s'embrasa aussitôt. Mais à peine eut-il quitté la salle qu'une douleur étrange l'assaillit. Ce n'était pas la sienne. C'était une peur panique, suivie d'un courage inattendu, qui ne pouvaient appartenir qu'à une seule personne.
- Elara...
Il n'eut pas le temps de s'interroger davantage. Une lame siffla à son oreille, et il esquiva de justesse, son corps entier déjà tendu pour le combat. L'ennemi était bien préparé, visant directement le roi.
Alors que l'un d'eux levait son arme pour frapper, une silhouette surgit entre eux. Elara. Elle s'interposa, ses mains tremblantes mais ses yeux déterminés. La lame la frôla, entaillant légèrement son bras, mais elle tint bon, poussant de toutes ses forces pour repousser l'assassin.
- Ne le touchez pas ! cria-t-elle, la voix vibrante d'une fureur qu'elle ignorait posséder.
Draven resta figé une seconde, incapable de détourner les yeux. Pourquoi était-elle revenue ? Pourquoi risquait-elle sa vie pour lui, alors qu'il l'avait rejetée, humiliée ? Mais plus que les questions, ce fut ce qu'il ressentit qui le désarma. À travers le lien, la peur d'Elara, son courage, son instinct protecteur jaillirent en lui. Elle tremblait, mais elle se battait. Elle saignait, mais elle se dressait devant lui.
Un rugissement naquit dans sa gorge. Il abattit son adversaire d'un coup violent, puis enchaîna avec une précision redoutable. Mais son regard restait fixé sur elle, sur sa compagne marquée qui refusait de s'effondrer malgré ses blessures.
- Elara, recule ! gronda-t-il en la rejoignant, son corps se plaçant naturellement entre elle et les ennemis.
- Non ! répliqua-t-elle, haletante. Je sens ce qu'ils veulent... ils ne reculeront pas. Ils veulent ta vie.
Ses paroles frappèrent Draven de plein fouet. Comment pouvait-elle le savoir ? Mais dans ses yeux brillait une conviction qui dépassait l'instinct. Le lien lui transmettait ce que lui-même percevait à peine. Elle était devenue son prolongement, une antenne sensible qui ressentait le danger avant lui.
Ils combattirent côte à côte. Chaque mouvement semblait guidé par une force supérieure, comme si leurs corps savaient déjà où l'autre allait frapper, où l'autre allait esquiver. Ils n'étaient plus deux individus séparés, mais les deux faces d'une même arme.
Quand enfin le dernier ennemi tomba, la cour du palais était jonchée de corps. Les torches éclairaient les visages tendus des soldats, certains haletants, d'autres figés par la stupeur d'avoir vu leur roi combattre aux côtés d'une paria.
Draven se tourna vers Elara. Son bras saignait, ses traits étaient pâles, mais elle tenait encore debout, le regard accroché au sien. À travers le lien, il sentit sa douleur, mais aussi sa détermination. Elle n'avait pas cherché à fuir. Elle avait choisi de rester, de se battre. Pour lui.
Un silence s'installa entre eux, plus lourd que tous les cris de la bataille.
Draven inspira profondément, son regard d'or brûlant fixé sur elle.
- Tu es... ma faiblesse, murmura-t-il, presque pour lui-même.
Elara cligna des yeux, son souffle court. Elle s'attendait à la voir la repousser encore, à sentir le rejet se refermer sur elle comme une chaîne. Mais ce qu'elle perçut, à travers le lien, n'était pas de la haine. C'était un mélange d'effroi et de révélation.
Il venait de comprendre que cette paria qu'il voulait renier était à la fois le talon d'Achille qui pouvait le détruire... et le bouclier qui venait de lui sauver la vie.
Et dans ce constat amer, une certitude naquit : leur destin ne leur appartenait plus.