Chapitre 5 Chapitre 5

La nuit s'ouvrait sur la ville comme un rideau de velours, piqué de lumières d'or et d'argent. Assise dans la voiture de Damian Blackwell, Amaya fixait les gratte-ciel qui défilaient au-delà des vitres teintées. Chaque building semblait s'élever vers le ciel avec une arrogance tranquille, comme pour lui rappeler qu'elle n'était qu'une invitée éphémère dans un univers qui ne lui appartenait pas. Son cœur battait vite, trop vite, mais son visage demeurait impassible. Elle refusait de lui donner le plaisir de voir la peur.

Damian, assis à ses côtés, demeurait silencieux. Sa présence emplissait l'espace avec une densité presque suffocante. Il n'avait pas besoin de parler ; son simple souffle suffisait à la troubler. Elle se demanda, l'espace d'un instant, pourquoi elle l'avait suivi. Était-ce vraiment pour sauver son père ? Ou parce qu'il y avait, sous la menace et la domination, cette part d'elle qu'elle n'osait pas nommer et qui se sentait attirée par lui comme une flamme attire le papillon ?

La voiture s'arrêta devant un immeuble aux allures de forteresse de verre. L'entrée était encadrée par deux colonnes lumineuses qui montaient jusqu'au ciel. Un voiturier se précipita pour ouvrir la portière. Damian sortit en premier, puis tendit une main vers elle.

- Descends.

Ce n'était ni une demande ni un ordre crié : c'était une évidence, prononcée avec cette autorité glaciale qui ne tolérait aucune résistance. Amaya hésita une seconde, puis glissa sa main dans la sienne. Ses doigts étaient chauds, fermes, et elle eut la désagréable impression de lui appartenir déjà, rien que dans ce geste.

À l'intérieur, le hall s'ouvrait sur des plafonds démesurés, des marbres polis reflétant des lustres étincelants. Le luxe se respirait comme un parfum entêtant. Amaya marcha derrière lui, ses talons claquant sur le sol, son regard happé par les œuvres d'art et les miroirs dorés. Chaque détail semblait étudié pour impressionner, pour rappeler à celui qui entrait qu'il pénétrait dans un monde régi par la puissance et l'argent.

Ils montèrent dans un ascenseur privé. Les parois en verre offraient une vue vertigineuse de la ville. Amaya posa une main sur la rambarde, plus pour se retenir que pour admirer. Damian, lui, se tenait droit, impeccable, comme s'il dominait déjà tout ce qui s'étendait sous leurs pieds.

Lorsqu'ils atteignirent l'ultime étage, les portes s'ouvrirent sur un appartement qui ressemblait davantage à un palais moderne. De larges baies vitrées embrassaient l'horizon nocturne. Les meubles, minimalistes et élégants, respiraient la sophistication. Une cheminée de verre diffusait une lumière douce, jetant des reflets ambrés sur le parquet sombre.

Amaya avança de quelques pas, saisie malgré elle par la beauté des lieux.

- C'est... irréel, souffla-t-elle.

Damian l'observait, immobile.

- Ce n'est pas irréel. C'est ma réalité. Et désormais, c'est la tienne.

Elle se retourna brusquement.

- Non. Ce n'est pas la mienne. J'ai accepté un contrat, rien de plus.

Il s'approcha, ses pas mesurés résonnant dans l'immensité du salon.

- Tu peux le voir ainsi si ça t'aide à respirer. Mais tu comprendras vite qu'ici, rien ne t'échappe, et rien ne m'échappe.

Ses yeux sombres plongèrent dans les siens, et Amaya sentit son souffle se bloquer. Il s'arrêta si près qu'elle perçut la chaleur de son corps, l'odeur subtile de son parfum. Elle voulut reculer, mais son dos rencontra la froideur de la vitre.

- Tu poseras des questions, tu chercheras des échappatoires, reprit-il d'une voix basse. Mais chaque fois, tu reviendras là où je t'attends. Parce qu'au fond de toi, tu sais déjà que ce mois te changera à jamais.

Elle inspira profondément, rassemblant ses forces.

- Je ne suis pas ton jouet.

Un sourire à peine esquissé apparut sur son visage.

- Non, tu es bien plus que ça. Mais tu apprendras à obéir.

Il tendit la main et releva son menton du bout des doigts. Le contact était léger, mais elle se sentit prise au piège, comme si le geste scellait déjà son pouvoir sur elle. Ses yeux brillèrent un instant d'une lueur qu'elle ne sut déchiffrer.

- Première règle, dit-il. Ici, c'est moi qui décide. Tu n'as pas besoin de comprendre, seulement de suivre.

Amaya sentit la révolte monter.

- Et si je refuse ?

Son sourire s'élargit à peine.

- Alors tu découvriras ce que cela coûte. Mais tu verras que la soumission n'est pas toujours synonyme de faiblesse.

Il se détourna et s'avança vers la grande table où reposait une bouteille de vin rouge. Il servit deux verres et lui en tendit un. Amaya hésita, puis prit le verre, ses doigts frôlant les siens. Elle but une gorgée pour masquer son trouble. Le liquide corsé glissa dans sa gorge, réveillant ses sens.

Damian l'observait, chaque geste pesé, chaque regard calculé. Il ne parlait pas pour combler le silence ; il l'utilisait comme une arme. Amaya se sentit scrutée jusque dans son âme, comme si ses fragilités se reflétaient dans ses yeux.

Après un long silence, il dit :

- Tu crois être brisée, Amaya. Mais ce n'est qu'une illusion. En réalité, tu caches une force que tu ignores. Et je vais la réveiller.

Ses mots la frappèrent de plein fouet. Une part d'elle voulait rire, l'accuser de manipulation. Mais une autre, plus enfouie, frissonna d'un espoir inattendu. Et si, derrière la peur, il avait raison ?

Damian s'approcha de nouveau, ses yeux accrochés aux siens. Sa voix se fit presque douce, mais son ton demeurait ferme :

- Ce soir, tu franchis une limite. Demain, tu ne seras plus la même.

Amaya baissa les yeux, perdue dans ses contradictions. Une chaleur étrange s'éveillait en elle, mélange de révolte et d'attirance. Elle n'avait jamais ressenti pareille intensité auprès de Marc. Ici, chaque seconde devenait une bataille intérieure.

Il posa sa main sur son épaule, légère mais électrisante.

- Tu n'as encore rien vu, dit-il dans un souffle.

Amaya leva les yeux vers lui, le cœur battant à tout rompre. Dans ce regard qui la brûlait, elle comprit qu'il venait de tracer une frontière invisible. Et qu'elle venait de la franchir.

Elle ne savait pas encore si elle venait de s'éveiller... ou de se condamner.