Depuis la veille, depuis le message étrange laissé par l'émissaire de Blackwell, une seule pensée occupait son esprit : qui était cet homme, et pourquoi s'intéressait-il à elle au moment même où tout le monde la fuyait ?
Elle aurait voulu déchirer l'enveloppe, la brûler, faire comme si elle n'existait pas. Mais elle l'avait gardée, posée sur la table basse comme une tentation silencieuse. Et, ce matin-là, elle l'avait ouverte, incapable de lutter davantage. À l'intérieur, une carte, noire, sans logo, seulement une adresse et une heure. Pas de mots. Pas de signature. Juste ce rendez-vous imposé.
À présent, elle se trouvait devant l'immeuble indiqué. Une tour de verre qui s'élevait si haut qu'elle semblait déchirer les nuages. L'entrée, gardée par des hommes en costume, dégageait une aura intimidante. Amaya inspira profondément. Elle aurait dû tourner les talons, mais une force étrange la poussait à entrer, comme si ses pas étaient dirigés par une volonté plus forte qu'elle.
Le hall était vaste, silencieux, baigné de marbre blanc et d'acier brillant. Une réceptionniste lui adressa un sourire professionnel, mais ses yeux analysaient chaque détail, comme pour mesurer si Amaya était digne de franchir ces portes. Sans un mot, elle lui tendit un badge.
- Trente-cinquième étage. Monsieur Blackwell vous attend.
La voix était polie, mais glaciale.
Amaya serra le badge entre ses doigts et se dirigea vers l'ascenseur. Chaque étage qu'elle traversait semblait alourdir son souffle. Quand les portes s'ouvrirent enfin, elle découvrit un couloir tapissé de bois sombre, éclairé par une lumière douce. Deux hommes attendaient, raides comme des statues. L'un d'eux ouvrit une porte, et elle entra.
Le bureau était immense, presque irréel. Les baies vitrées offraient une vue vertigineuse sur la ville, réduite à un amas de lumières tremblantes sous la pluie. Au centre, un bureau massif en ébène, mais ce n'était pas le mobilier qui attirait le regard. C'était lui.
Damian Blackwell.
Il se tenait debout, près de la fenêtre, les mains croisées dans le dos. Grand, la carrure taillée pour inspirer le respect, il semblait taillé dans la nuit elle-même. Quand il se retourna, son regard la frappa de plein fouet. Des yeux noirs, profonds, hypnotiques, qui donnaient l'impression de tout voir, de tout deviner.
Amaya eut un léger recul, comme si ce simple regard avait traversé toutes ses défenses. Elle aurait voulu détourner les yeux, mais il y avait dans son magnétisme quelque chose de dangereux et d'inévitable, comme la flamme attire la nuit.
- Mademoiselle Valmont, dit-il d'une voix grave, mesurée, au timbre qui vibrait jusque dans sa poitrine.
Elle déglutit avec difficulté.
- Monsieur Blackwell, je... je ne comprends pas pourquoi je suis ici.
Il fit quelques pas vers elle. Chaque mouvement semblait calculé, empreint d'une assurance glaciale.
- Vous êtes ici parce que votre vie s'effondre. Parce que votre père est en prison. Parce que vos amis vous abandonnent. Parce que le monde entier se repaît de votre chute. Et parce que moi, Amaya... je peux inverser tout cela.
Sa voix, bien que posée, avait la fermeté d'une sentence. Elle serra ses mains moites, partagée entre colère et curiosité.
- Et pourquoi ? Pourquoi vous intéresser à moi ? Je ne suis rien pour vous.
Un éclat mystérieux passa dans ses yeux.
- Vous êtes bien plus que ce que vous croyez.
Le silence pesa un instant, troublé seulement par le bruit de la pluie qui martelait les vitres. Puis il posa une enveloppe sur la table et la fit glisser vers elle.
- Voici un contrat. Simple. Clair. Un mois. Vous m'appartenez, sans condition, sans contestation. En échange, je m'occupe de votre père, de vos dettes, de votre réputation.
Amaya resta figée, le souffle coupé. Les mots résonnaient comme un écho irréel.
- Un mois... à vous appartenir ? répéta-t-elle, presque incapable de croire ce qu'elle entendait.
Il s'assit dans son fauteuil, son regard rivé sur elle.
- Exactement. Vous me devez votre temps, votre loyauté, votre corps si je le décide.
Elle eut un sursaut, indignée.
- C'est insensé ! Vous me demandez de vendre mon âme pour sauver mon père ?
- Je ne vous demande rien, répondit-il calmement. Je vous offre une porte de sortie. Libre à vous de refuser et de sombrer.
Sa sérénité glaçait le sang. Il ne haussait pas le ton, il ne menaçait pas. Et c'était cela, le plus terrifiant : il parlait comme un homme qui savait déjà qu'elle finirait par accepter.
Amaya sentit une colère monter en elle, mais aussi une peur sourde.
- Pourquoi moi ? Vous pourriez avoir n'importe quelle femme, n'importe quelle proie.
Un sourire imperceptible effleura ses lèvres.
- Justement. Je ne veux pas "n'importe qui". Je veux vous.
Ces mots la frappèrent comme un coup au cœur. Elle ne comprenait pas, mais dans ses yeux brûlait une intensité qui lui donnait le vertige. Elle chercha à se détourner, à reprendre son souffle.
- Vous êtes malade, murmura-t-elle, la voix brisée.
Il se leva brusquement, franchissant la distance entre eux en quelques pas. Elle recula d'instinct, mais il s'arrêta à quelques centimètres d'elle, assez près pour qu'elle sente la chaleur de son corps. Son parfum boisé et sombre l'enveloppa, troublant ses sens.
- Non, Amaya, dit-il, le ton bas et ferme. Je suis un homme qui obtient toujours ce qu'il veut.
Elle le fixa, déchirée entre l'envie de le gifler et celle de plonger dans ce regard abyssal. Ses mains tremblaient, mais elle ne pouvait nier l'électricité qui vibrait entre eux, cette tension insupportable qui l'attirait malgré elle.
- Et si je refuse ? demanda-t-elle enfin, la voix étranglée.
Il inclina légèrement la tête, son expression indéchiffrable.
- Alors je vous laisserai affronter seule la tempête. Et croyez-moi... elle vous engloutira.
Le silence s'abattit à nouveau, lourd, suffocant. Amaya sentit son cœur tambouriner dans sa poitrine, sa respiration saccadée. Chaque fibre d'elle criait de fuir, mais une autre voix, plus profonde, murmurait qu'elle était déjà prise dans ses filets.
Damian recula d'un pas, comme s'il lui laissait une illusion de liberté.
- Prenez le temps de réfléchir. Mais ne tardez pas.
Il retourna vers la fenêtre, lui tournant presque le dos, comme si la décision lui appartenait désormais.
Amaya, les mains serrées contre elle, fixa l'enveloppe sur la table. Tout son être hurlait que c'était une folie, un piège, une condamnation. Et pourtant... une part d'elle brûlait d'une curiosité insensée, fascinée par cet homme qui semblait déjà avoir pénétré son âme.
Elle fit un pas vers la porte, ses jambes vacillantes. Mais avant de sortir, elle s'arrêta, incapable d'ignorer la question qui la déchirait.
- Pourquoi moi ? répéta-t-elle d'une voix presque inaudible.
Sans se retourner, Damian répondit, sa voix grave emplissant la pièce.
- Parce que vous êtes celle qui n'a plus rien à perdre... et peut-être celle qui peut encore me surprendre.
Elle sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale. Puis elle sortit, le souffle court, l'esprit en tumulte.
Dans le couloir, ses pas résonnaient comme une fuite, mais son cœur savait déjà la vérité : ce n'était pas seulement une décision. C'était un dilemme, un choix qui allait redessiner toute sa vie.
Et, dans l'ombre de son bureau, Damian Blackwell souriait, certain que le jeu venait de commencer.