Assise au bord de son lit, les mains crispées contre le drap froissé, elle fixait le vide. Le silence de l'appartement était presque trop lourd, percé seulement par le battement irrégulier de son cœur. Elle se disait qu'il suffisait d'un peu de courage, qu'elle allait se relever et reconstruire, même seule. Elle s'y accrochait comme à une planche au milieu d'un océan en furie.
Puis son téléphone vibra, secouant la table de chevet. Elle hésita un instant. Un mauvais pressentiment la traversa, semblable à celui qui l'avait poussée la veille à chercher Marc. Sa main trembla lorsqu'elle attrapa l'appareil. L'écran affichait des dizaines de notifications, des messages non lus, des appels manqués.
Elle en ouvrit un, puis deux. Son souffle se coupa. Les mots s'imposaient, brutaux, noirs sur blanc.
Arrestation de Georges Valmont, financier respecté, pour fraude massive.
Un empire en ruine : la chute spectaculaire d'un père admiré.
La fille du fraudeur au centre du scandale.
Les titres défilaient, chacun plus cruel que le précédent. Amaya sentit ses jambes céder et s'effondra au sol, son téléphone glissant entre ses doigts.
- Non... murmura-t-elle, la gorge serrée. Ce n'est pas possible... pas lui...
Georges Valmont n'était pas seulement son père. Il avait été son repère, son pilier, l'homme qui lui avait appris à marcher dans la dignité, à croire en ses rêves. Qu'il soit parfait ou non, il était tout ce qu'elle avait encore. Et maintenant, on l'arrachait à elle devant le monde entier.
Une main plaquée contre sa bouche pour étouffer un cri, Amaya rampa jusqu'à la télévision accrochée au mur. Elle l'alluma d'une main tremblante. L'écran s'illumina aussitôt d'images insoutenables : son père, menotté, entouré de policiers, bousculé par une foule de journalistes qui brandissaient micros et caméras.
- Monsieur Valmont ! Avez-vous détourné des fonds ? - Est-ce vrai que vous avez manipulé des actions au détriment de vos investisseurs ? - Votre famille était-elle au courant ?
Les flashes crépitaient, les insultes fusaient, et son père, cet homme d'une droiture apparente, gardait le visage fermé, digne malgré l'humiliation.
Amaya sentit son monde basculer une deuxième fois. Elle avait cru que la trahison de Marc serait la blessure ultime, mais voilà que la honte publique venait la frapper de plein fouet. En quelques heures, elle était devenue la fille d'un paria, la cible facile d'une société avide de scandales.
Le téléphone vibra encore. Elle l'ignora d'abord, mais les notifications ne cessaient de s'accumuler. Elle finit par ouvrir un message d'une amie d'enfance : Je suis désolée, Amaya... Je ne peux plus être associée à toi. Tu comprends, non ?
Un autre suivi : Ta famille détruit des vies. Comment as-tu pu fermer les yeux ?
Les larmes dévalèrent ses joues. Elle n'avait rien fait, rien demandé, mais elle payait le prix des fautes d'un autre.
Quand elle tenta de sortir de chez elle plus tard dans la journée, une meute de journalistes l'attendait déjà devant l'immeuble. Des caméras braquées, des micros tendus, des voix acerbes qui l'agressaient sans relâche.
- Amaya ! Vous saviez pour les magouilles de votre père ?
- Avez-vous profité de son argent mal acquis ?
- Votre mariage annulé est-il lié à ce scandale ?
Les flashes l'aveuglèrent. Elle leva un bras pour protéger son visage, mais son image était déjà capturée, déformée, livrée en pâture aux réseaux sociaux. La honte la brûlait plus que le soleil qui tapait.
Elle réussit à s'engouffrer dans un taxi, haletante, les mains tremblantes. L'odeur de cuir et d'essence lui donna la nausée. Elle ferma les yeux, espérant que le cauchemar s'éteindrait au réveil. Mais non, c'était la réalité. Sa vie, telle qu'elle la connaissait, avait volé en éclats.
Le soir venu, alors qu'elle se réfugiait dans le silence de son appartement plongé dans la pénombre, quelqu'un frappa à la porte. Trois coups mesurés, presque solennels. Elle sursauta, le cœur affolé. Qui pouvait encore venir, alors que tous semblaient l'avoir abandonnée ?
Elle ouvrit avec méfiance. Un homme se tenait là, grand, vêtu d'un costume taillé sur mesure, le visage impassible. Ses yeux gris semblaient percer son âme.
- Mademoiselle Valmont ? dit-il d'une voix posée. Je viens de la part de M. Blackwell.
Elle fronça les sourcils.
- Je ne connais aucun Blackwell.
Un léger sourire étira ses lèvres, mais ses yeux restèrent froids.
- Vous apprendrez à le connaître. Il m'a demandé de vous transmettre un message... et une offre.
Amaya serra la porte contre elle, comme pour se protéger.
- Une offre ? Qu'est-ce que vous insinuez ?
L'homme sortit une enveloppe noire de sa veste et la tendit.
- Mon employeur est disposé à vous aider. À effacer certaines dettes. À protéger ce qu'il vous reste. En échange... vous accepterez de le rencontrer et d'écouter ses conditions.
Amaya hésita, son regard fixé sur l'enveloppe. La curiosité et la méfiance s'entrechoquaient en elle. Pourquoi un inconnu s'intéressait-il à elle alors qu'elle n'était plus qu'un fardeau public ?
- Et si je refuse ? souffla-t-elle.
Le messager soutint son regard, implacable.
- Alors, mademoiselle, vous perdrez tout. Votre réputation, vos biens... et peut-être même votre père.
Le silence s'installa, lourd, presque suffocant. Le nom de son père résonnait dans l'air comme une condamnation.
Amaya sentit ses jambes fléchir. Elle s'agrippa à la porte, le souffle court. Cet homme qu'elle n'avait jamais rencontré semblait connaître ses failles mieux que quiconque.
L'envie de claquer la porte, de rejeter cette intrusion, la traversa de plein fouet. Mais une autre voix, plus sourde, plus désespérée, lui soufflait qu'elle n'avait plus rien à perdre.
Ses doigts se refermèrent sur l'enveloppe. Elle ne l'ouvrit pas tout de suite, mais le simple poids du papier dans sa main semblait changer la trajectoire de sa vie.
Le messager inclina légèrement la tête, satisfait.
- M. Blackwell vous attend. Il saura quand vous serez prête.
Puis il disparut dans le couloir, laissant derrière lui un parfum discret et une promesse inquiétante.
Amaya referma la porte avec lenteur, son dos glissant contre le bois jusqu'à ce qu'elle soit assise par terre, l'enveloppe serrée contre sa poitrine. Elle avait perdu un fiancé, un père, une réputation. Et voilà qu'un nouveau joueur entrait dans la partie, un homme dont elle ne savait rien mais qui semblait tout contrôler.
Dans le silence de son appartement, elle comprit que ce jour n'était pas seulement celui de sa ruine. C'était aussi celui d'un pacte à venir. Un pacte qui allait l'enchaîner à un inconnu capable de transformer sa douleur en arme.
Et quelque part, dans l'ombre, Damian Blackwell souriait déjà.