Les Parableutions avaient choisi ce lieu pour donner une réception fastueuse, conviant les grands noms du commerce local. Les médias, avertis depuis des jours, guettaient avec fébrilité chaque arrivée, espérant dénicher un scoop.
Aux alentours de vingt heures, une Maybach élégante fit son apparition.
- Regardez ! C'est M. Thomson ! Elliot Thomson des Parableutions ! s'exclama un reporter en se précipitant vers la voiture.
La portière s'ouvrit sur Elliot, vêtu d'un costume immaculé. Son sourire ironique s'étira devant l'avalanche de flashs. De l'autre côté descendit Lulu, splendide dans une robe de soirée sans bretelles. Il lui offrit galamment sa main et tous deux prirent la pose comme s'ils défilaient sur un tapis rouge.
À l'intérieur du véhicule, sur le siège avant, Amber serrait contre elle une mallette. Par la vitre, elle observa le couple, le cœur empli d'amertume. Qu'est-ce qui ne va pas avec lui ? songea-t-elle. Ce n'est qu'une réception, mais il fallait qu'il m'amène dans ce rôle humiliant. Quelle épreuve insensée.
Le chauffeur la tira de ses pensées :
- Mademoiselle Stone, il est temps de sortir. Vous savez que M. Thomson déteste les retards.
Elle soupira, serra encore une fois son bagage contre sa poitrine et descendit avec résignation. Elliot et Lulu avaient déjà atteint le seuil de l'hôtel, main dans la main. Amber hâta le pas, mais à peine arrivait-elle que la rumeur courut dans la foule :
- Rodney Barron ! Rodney Barron est là !
Son nom la frappa comme une décharge. Elle tourna la tête instinctivement. Une Aston Martin rutilante se gara devant l'entrée. Les gardes se précipitèrent pour ouvrir la portière avec une révérence marquée.
Rodney sortit, vêtu d'un costume sombre, aussi imposant qu'autrefois. Rien n'avait changé en trois ans : son assurance, sa prestance, son aura presque écrasante. Puis la portière opposée livra passage à Celia Black, radieuse dans une robe écarlate. Elle rayonnait de satisfaction en prenant place à son bras.
- Quel couple idéal ! chuchota-t-on.
- Un magnat et la fille d'un haut fonctionnaire, c'est une union bénie des cieux.
Amber esquissa un sourire amer. Un homme volage et sa maîtresse... en effet, un duo parfaitement assorti.
Elle détourna les yeux, écœurée, et se hâta de suivre Elliot. L'ascenseur était déjà en train de se refermer sur lui et Lulu. Elle courut, glissa sa main entre les portes et réussit à les forcer. Elliot leva un sourcil moqueur.
- Mademoiselle Stone, vous aimez faire sursauter les gens, à ce que je vois ?
- Je vous prie de m'excuser... souffla-t-elle, tête baissée.
- Faites attention. Encore une scène pareille et je vous congédie.
- Oui, monsieur. Je m'en souviendrai.
Il la jaugea un instant, puis détourna le regard, satisfait de son humilité.
L'ascenseur s'immobilisa au dix-huitième étage. Elliot s'avança vers la suite, Lulu accrochée à son bras. Amber, toujours lestée de sa mallette, leur emboîta le pas. Devant la porte, il se retourna :
- Restez dans le salon et ne bougez pas. Si je ne peux pas vous joindre, dites adieu à la moitié de votre prime.
- J'ai bien compris, M. Thomson.
Soulagée de ne plus être sous ses yeux, elle gagna le salon. C'est alors que, sur l'autre ascenseur, les portes s'ouvrirent. Rodney et Celia apparurent. Son regard parcourut le couloir et s'arrêta sur Amber qui disparaissait dans une pièce. Un trouble passa dans ses yeux.
Était-ce... elle ? pensa-t-il. Impossible. Trois ans se sont écoulés. Elle ne peut pas être ici.
- Rodney ? À quoi regardes-tu ? demanda Celia, intriguée.
- Rien du tout. Avançons. répondit-il d'une voix basse.
Pendant ce temps, Amber patientait, seule, dans le salon. Une heure passa. Son estomac criait famine tandis qu'elle imaginait Elliot savourant du vin et un banquet raffiné, Lulu nichée à son bras. Quel tyran. Lui se gave, et moi je crève de faim.
Enfin, son téléphone vibra :
- Descendez prendre un repas. Mais souvenez-vous de mes consignes : pas un pas de travers. Une fois repue, retournez directement au salon.
- Oui, monsieur.
Elle obéit, franchit la porte et gagna la salle. Le hall débordait d'élégance : robes somptueuses, conversations feutrées, rires étouffés de la haute société. Amber évita les regards, se dirigea vers le buffet, remplit une assiette et se servit un verre de jus. Mais avant qu'elle ne puisse s'installer, une voix impérieuse résonna derrière elle :
- Toi ! Apporte-moi cette assiette.
Cette voix hautaine éveilla chez Amber une impression de déjà-vu. Lorsqu'elle pivota, elle découvrit une femme figée devant elle, son visage alourdi par des couches de fard criard. Il ne fallut qu'un instant à Amber pour la reconnaître : Zoé Harper, la confidente de Célia.
La surprise, cependant, fut réciproque. Zoé, croyant d'abord avoir affaire à une simple employée, blêmit quand ses yeux rencontrèrent ceux d'Amber Stone.
- C'est bien toi ?! s'exclama-t-elle, incrédule.
Amber, impassible, préféra tourner les talons, son plateau entre les mains. Zoé, piquée au vif par ce mépris, la retint aussitôt.
- Alors c'est vrai ? Tu sers des plats, désormais ? Quelle ironie ! lança-t-elle d'un ton railleur.
Amber s'arrêta, la voix glaciale :
- Est-ce là un sujet de plaisanterie ?
Zoé éclata d'un rire sec.
- Oh, mais parfaitement ! N'étais-tu pas insupportablement fière autrefois ? Te voilà réduite à porter un tablier. Quelle chute spectaculaire ! Allez, sois utile : rapporte-moi quelque chose à manger !
Son triomphe se lisait dans ses yeux. Elle avait toujours nourri une rancune sourde contre Amber, cette femme qu'elle jugeait trop belle, trop chanceuse, trop au-dessus des autres. La voir dépouillée de Rodney et condamnée à servir des assiettes lui offrait une occasion rêvée de se venger.
Amber, écœurée par ce venin, choisit de l'ignorer. Mais Zoé n'avait pas l'intention de la laisser filer.
- Tu crois vraiment pouvoir me tourner le dos ? Je pourrais te faire renvoyer d'un mot, cracha-t-elle.
Amber se retourna lentement, un demi-sourire au coin des lèvres.
- Quelle opinion démesurée de toi-même, Mlle Harper.
- Comment oses-tu ?! hurla Zoé, rouge de rage. Elle fulminait de ne plus trouver en Amber la femme protégée de Rodney, mais une proie vulnérable qu'elle pouvait écraser comme une fourmi.
Elle leva la voix :
- Je vais immédiatement prévenir ton responsable. Tu es finie !
Mais une voix douce interrompit cette scène violente.
- Que se passe-t-il, Zoé ?
Célia venait d'arriver. Zoé, ravie, l'accueillit comme un renfort et désigna Amber d'un geste accusateur.
Amber soutint calmement le regard de Célia. Cette dernière, d'abord stupéfaite de la croiser, masqua son trouble sous un sourire feint.
- Ma chère sœur ! lança-t-elle, comme si rien n'était arrivé.
- Vous vous trompez de personne, répondit Amber d'un ton glacial.
- Oh, Amber... tu m'en veux encore. Mais tu sais très bien que ce n'est pas ma faute si Rodney m'a choisie.
À ces mots, un frisson de douleur traversa Amber. Trois années avaient passé, et pourtant le souvenir restait une plaie vive. Elle préféra tourner les talons plutôt que de ressasser ce cauchemar devant elles.
Voyant Célia à ses côtés, Zoé redoubla d'audace. Elle se jeta brusquement sur Amber, la poussant. Le plateau bascula, éclaboussant de jus la robe d'Amber - et un peu celle de Zoé, qui s'empressa de feindre l'indignation.
- Regarde ce que tu as fait ! cria-t-elle, les yeux brillants d'un plaisir cruel.
Amber comprit aussitôt le piège : elles voulaient provoquer une faute qui justifierait son licenciement. Elle serra les poings, prête à gifler Zoé, mais se contint. Elle n'était plus la femme de Rodney Barron, intouchable et chérie. Elle ravala sa rage et tenta de s'éloigner.
Zoé ne le supporta pas. Elle échangea un signe complice avec Célia, agrippa Amber par les cheveux et vida d'un geste sec un verre de vin rouge sur son cou. Le liquide glacé glissa le long de sa peau, imbibant son uniforme. Célia, feignant l'accident, renversa à son tour un verre sur son visage.
L'acidité du vin lui brûla les yeux. Amber, jusque-là résolue à céder le pas, sentit la colère éclater. Puisqu'elles voulaient l'humilier encore et encore, pourquoi resterait-elle docile ?
Elle souleva brusquement l'assiette qu'elle tenait et l'écrasa sur la tête de Zoé.
Un hurlement retentit. La sauce brûlante, saturée d'épices, dégoulina dans les cheveux et jusque dans les yeux de Zoé, qui recula en se tordant de douleur. Sa poigne se relâcha aussitôt.
Amber profita de l'instant pour gifler Célia, dont le visage se figea de stupeur. Puis, sans ciller, elle lança le reste de la sauce sur la somptueuse robe de sa rivale, un modèle signé d'un grand créateur.
Le tissu se tacha aussitôt. Célia, paniquée, oublia toute dignité et cria à pleins poumons :
- À l'aide ! Qu'on vienne immédiatement !