La Mondaine et le Clochard
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Chapitre 2

Adrien ne parvenait pas à chasser cette image. Les yeux de la femme. Le tatouage. Il était assis dans son bureau penthouse, la ville s'étalant sous lui comme une couverture de diamants, mais tout ce qu'il voyait, c'était la crasse de cette ruelle.

« Retrouvez-la », dit-il à son assistant, Marc, le lendemain matin.

« Monsieur ? Retrouver qui ? »

« La femme d'hier soir. La sans-abri. »

Marc parut confus. « Pourquoi ? Je lui ai donné de l'argent. Elle est partie. »

« Je veux savoir qui elle est. Je veux savoir d'où elle vient. Il y avait quelque chose... de familier chez elle. » Il ne pouvait se résoudre à prononcer le nom. Éloïse.

Marc, toujours efficace, ne posa plus de questions. « Je m'en occupe, monsieur. »

Il fallut moins d'une journée à Marc. Il utilisa les enregistrements de sécurité du bâtiment, un logiciel de reconnaissance faciale et un réseau de contacts que l'argent pouvait acheter. Il la trouva dans un petit foyer municipal près de la Porte de la Chapelle.

Quand la voiture privée d'Adrien arriva, le personnel fut intimidé. Marc s'en chargea, expliquant que M. Delacroix était un philanthrope s'intéressant au problème des sans-abri de la ville. C'était un mensonge plausible.

Ils la trouvèrent sur un lit étroit dans une pièce bondée et bruyante. Elle dormait, ou était inconsciente. Elle ne bougea pas quand ils s'approchèrent. En la regardant de près, sans les ombres de la ruelle, Marc sentit un nœud de pitié et de dégoût dans son estomac. Ses blessures étaient pires qu'il ne l'avait réalisé.

Adrien avait envoyé un médecin privé avec eux. Un professionnel discret qui travaillait pour la famille. Le médecin, un homme nommé Renaud, s'agenouilla près du lit.

« Nous devons la transférer dans un établissement privé », dit le Dr Renaud à voix basse, le visage sombre. « Je ne peux pas l'examiner correctement ici. »

Le transfert fut organisé rapidement et discrètement. Ils l'emmenèrent dans une clinique privée de Neuilly-sur-Seine, un endroit qui valorisait la discrétion par-dessus tout. Dans une chambre propre et blanche, le médecin commença son examen. Éloïse était réveillée maintenant, mais passive, ses yeux vides tandis qu'on la déshabillait et l'allongeait sur la table d'examen.

« Mon Dieu », murmura le Dr Renaud en nettoyant la crasse de son visage. L'étendue de la cicatrice était horrifiante. Ce n'était pas juste une coupure ; la peau était fondue, brillante et tendue. « C'était de l'acide. Un corrosif puissant. »

Marc se sentit mal. Il avait vu beaucoup de choses en travaillant pour Adrien Delacroix, mais c'était différent. C'était barbare.

Le médecin passa à sa main gauche. Il sonda doucement la forme mutilée. « Les os... ils ne sont pas seulement cassés, ils ont été méthodiquement écrasés. Un par un. Cela a été fait délibérément, avec une force extrême. La main est inutilisable. Elle ne fonctionnera plus jamais. »

Éloïse restait immobile, sans tressaillir. C'était comme si elle observait l'examen du corps de quelqu'un d'autre. Elle ressentit un étrange et amer sentiment de justification. Vous voyez ? Vous voyez ce qu'on m'a fait ?

Le médecin continua son travail, son expression devenant plus troublée à chaque découverte. Il utilisa une petite lumière pour regarder dans sa gorge.

« Je ne comprends pas », murmura-t-il. Il essaya de nouveau. « Ses cordes vocales... elles ont été sectionnées. Presque chirurgicalement. Ce n'est pas une blessure d'accident. Quelqu'un lui a fait ça. »

Il regarda Marc, les yeux écarquillés de choc. « Qui ferait ça à un autre être humain ? C'est de la torture. »

Marc ne put répondre. Il ne pouvait que fixer la femme brisée sur la table.

Dans son esprit, il revit la scène qui avait conduit à l'exil d'Éloïse Delacroix. Il n'était qu'un assistant junior à l'époque, mais il s'en souvenait clairement. La réunion de famille dans le bureau d'Antoine Delacroix.

Ève Mathews, la fille perdue de vue et fraîchement découverte, pleurait, le bras en écharpe.

« Elle m'a poussée », avait sangloté Ève. « Elle a dit que j'étais une imposture, une usurpatrice. Elle a essayé d'ouvrir le coffre-fort principal. Quand j'ai essayé de l'arrêter, elle m'a poussée dans les escaliers. »

Le visage d'Antoine Delacroix était un orage. Alicia Valero, la mère d'Adrien, s'était précipitée pour réconforter Ève, lançant des regards assassins à Éloïse.

Éloïse s'était tenue là, provocante et fière. « Elle ment. Tout est faux. Le coffre était déjà ouvert quand je suis arrivée. Elle me tend un piège. »

Adrien était resté silencieux, déchiré. Il avait aimé Éloïse, mais Ève était maintenant l'héritière biologique, confirmée par un test ADN. Sa loyauté était en train de basculer.

« Et l'argent ? » avait rugi Antoine. « Deux millions d'euros en obligations au porteur, disparus du coffre. Où sont-ils, Éloïse ? »

« Je ne sais pas ! Je ne les ai pas pris ! »

Personne ne l'avait crue. Les preuves semblaient accablantes. Ève, la douce et innocente jeune fille, avait été attaquée. Éloïse, l'héritière fière et parfois difficile, avait un mobile. Elle avait perdu sa position, son héritage.

La famille l'avait bannie. Ils avaient raconté au monde qu'elle était partie en Suisse pour se calmer, une histoire qui couvrait leur honte. Ils n'avaient jamais signalé le vol à la police, pour éviter un scandale.

Maintenant, en regardant la femme sur la table, Marc sentit une terreur froide. L'histoire ne tenait pas debout. L'Éloïse qu'il se rappelait se serait battue. Elle aurait hurlé son innocence sur tous les toits. Elle ne se serait jamais laissée devenir... ça.

Le médecin prélevait un échantillon de sang. « Nous allons faire un bilan complet. Vérifier les maladies, les toxines... et un test ADN. »

« Un test ADN ? » demanda Marc, surpris.

« Procédure standard pour les patients non identifiés avec un traumatisme important », dit le médecin, bien que ses yeux suggèrent une autre raison. Il avait vu le tatouage sur son poignet. Il avait entendu les rumeurs sur la famille Delacroix. Il était méticuleux. « Nous devrions avoir les résultats d'ici vingt-quatre heures. »

Il lui administra un sédatif, et ses yeux se fermèrent enfin.

Marc sortit de la pièce et appela Adrien.

« Monsieur, nous l'avons. Elle est... elle est en très mauvais état. » Il décrivit les conclusions du médecin d'une voix basse et tremblante. L'acide. La main écrasée. Les cordes vocales sectionnées.

Il y eut un long silence à l'autre bout du fil.

« C'est elle ? » La voix d'Adrien était tendue, crispée.

« Je... je ne sais pas, monsieur. Elle est méconnaissable. Mais le médecin fait un test ADN. Nous saurons avec certitude demain. »

Un autre silence. Puis, « Gardez-la là-bas. Ne laissez personne entrer ou sortir. Et Marc... découvrez qui lui a fait ça. »

« Oui, monsieur. »

Marc raccrocha. Il regarda à travers la vitre la forme endormie d'Éloïse. Une vague de pitié, si forte qu'elle faillit lui couper les jambes, le submergea. Il pensa au billet de vingt euros qu'il avait essayé de lui donner. Il pensa au renvoi glacial d'Adrien.

Foutez-la dehors. Je ne veux pas voir cette souillure sur la propriété de l'entreprise.

Si cette femme était bien celle qu'il pensait, ils avaient fait plus que la bannir. Ils l'avaient jetée aux loups.

            
            

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