Quand elle arriva, les enfants du centre l'assaillirent, leurs visages rayonnants d'excitation. « Kenza ! Tu es là ! »
Pour la première fois depuis des jours, un sourire sincère effleura ses lèvres. Ça, c'était réel. Ça, ça comptait.
Le gala battait son plein. Monsieur Martin monta sur scène pour faire un discours.
« Je veux remercier la personne qui a rendu tout cela possible, » dit-il, la voix remplie d'émotion. « Sa vision et son dévouement ont donné un avenir à ces enfants. Joignez-vous à moi pour remercier Mademoiselle Kenza Hédi ! »
La salle applaudit. Mais un journaliste d'un magazine à scandales notoire se leva.
« Monsieur Martin, nos dossiers indiquent que la principale donatrice de ce centre est Mademoiselle Estelle Dubois. Vous vous trompez ? »
Monsieur Martin parut confus. « Non, ce n'est pas exact. Kenza a tout fait. Elle a présenté le projet à Monsieur Dalton, elle a supervisé la construction, elle a conçu les programmes... »
Tous les yeux se tournèrent vers Hadrien. Il se tenait au premier rang, incroyablement beau dans son smoking.
Le cœur de Kenza battait la chamade. C'était le moment. Sa chance de dire la vérité. De lui accorder ce petit crédit.
Il monta sur scène, prit le micro et se tint à côté de Monsieur Martin.
Il ne regarda même pas Kenza.
« Monsieur Martin est un homme passionné, » dit Hadrien, sa voix suave et charmante. « Mais il se trompe. L'idée de ce centre, le financement, tout vient d'Estelle. Elle a un grand cœur. »
Il se tourna ensuite vers Kenza, sa main se posant sur son épaule dans un geste qui paraissait intime mais qui ressemblait à une chaîne. Sa voix baissa à un murmure qu'elle seule pouvait entendre.
« Pourquoi fais-tu ça, Kenza ? Essayer de voler le mérite d'Estelle ? Je suis tellement déçu de toi. »
La salle explosa. Les flashs des appareils photo l'aveuglèrent. Les journalistes criaient des questions.
« Mademoiselle Hédi, êtes-vous une usurpatrice ? »
« Êtes-vous l'autre femme dans la relation d'Hadrien et Estelle ? »
« Avez-vous simulé l'enlèvement pour attirer l'attention ? »
Les larmes brouillèrent la vision de Kenza. Elle regarda Hadrien, sa dernière lueur d'espoir s'effondrant. Elle lui posa une dernière question, sa voix se brisant.
« Hadrien, suis-je ta fiancée, ou juste ta maîtresse ? »
Il la fixa, son visage illisible. Il ne dit rien.
C'était sa réponse.
Dans son monde, devant les siens, elle n'était rien. Un jouet. Un secret. Une honte.
Son amour, sa dignité, toute sa vie des trois dernières années – tout s'effondra dans ce seul moment de silence.
Avec des mains tremblantes, elle plongea dans son sac et en sortit son acte de mariage. Celui qu'il lui avait fièrement présenté il y a trois ans.
Elle le brandit pour que toutes les caméras le voient.
Puis, lentement, délibérément, elle le déchira en deux. Et encore en deux.
Elle jeta les morceaux en l'air comme des confettis. Ils voltigèrent autour d'elle, petits fantômes blancs d'une vie qui n'avait jamais existé.
« C'est fini, Hadrien, » dit-elle, sa voix claire et forte.
Elle se tourna et s'éloigna, sans regarder en arrière. Elle pouvait l'entendre crier son nom, mais sa voix était noyée par le chaos de la frénésie médiatique.
Il la rattrapa dehors, lui saisissant le bras. Il la traîna jusqu'à sa voiture et la poussa à l'intérieur.
Il la ramena au penthouse et l'enferma.
« Tu as causé assez de problèmes, » dit-il, sa voix froide. « Tu resteras ici jusqu'à ce que tu te calmes. »
Il prit son téléphone, son ordinateur portable, sa connexion au monde extérieur. Il la traita non pas comme une amante éconduite, mais comme une enfant capricieuse faisant une crise.
Elle était prisonnière dans sa cage dorée. Le personnel l'ignorait. Les jours se fondaient les uns dans les autres. Elle ne pleurait pas. Elle ne criait pas. Elle existait simplement, une coquille vide de la femme qu'elle avait été.
Un jour, Estelle vint lui rendre visite, un sourire triomphant aux lèvres.
« Ça fait quoi d'être la femme la plus détestée de Paris ? » demanda-t-elle.
Kenza se contenta de sourire, un sourire vide, absent.
Ce fut Sarah, la secrétaire qui lui avait montré un instant de gentillesse, qui lui apprit la nouvelle. Elle glissa un téléphone à Kenza quand personne ne regardait.
Le titre était brutal. « Le directeur d'un centre artistique communautaire décède d'une crise cardiaque en plein scandale. »
Monsieur Martin était mort. Le stress du scandale médiatique, les accusations de fraude, avaient été trop lourds pour lui.
L'article incluait une photo. Un gâteau de « condoléances » avait été envoyé à sa famille. Dessus, avec un glaçage joyeux, étaient écrits les mots : « Désolés pour votre perte ! Une autre victime du canular ! - H & E. »
Kenza fixa la photo, tout son corps tremblant. C'était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Ils ne l'avaient pas seulement détruite ; ils avaient tué un homme innocent.
Cette nuit-là, elle cassa la tirelire où elle avait mis de l'argent de côté, une habitude secrète de ses jours plus pauvres. Elle paya une femme de chambre, et pendant qu'Hadrien et Estelle célébraient leur victoire, elle se glissa hors du penthouse et disparut dans la nuit.