La revanche de l'héritière oubliée
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Chapitre 4 Chapitre 4

Chapitre 4

Le vieil homme sortit lentement quelque chose de la poche intérieure de son manteau. Ses mains tremblaient légèrement, que ce soit à cause de l'âge ou d'un poids invisible qui semblait le traverser. Emma suivit chacun de ses gestes, le souffle suspendu, le cœur cognant dans sa poitrine comme un tambour inquiet.

- Je crois... que ceci vous revient, dit-il d'une voix basse, presque éteinte, comme s'il craignait que les murs du café puissent entendre.

Dans sa main parcheminée, un objet apparut : une enveloppe d'un blanc jauni par le temps, fermée par un cachet de cire rouge aux contours fissurés. Emma fronça les sourcils.

- C'est... pour moi ?

- Oui. Votre père... m'a demandé de vous la remettre si, un jour, nos chemins se croisaient.

Le mot « père » résonna dans sa tête comme une cloche qu'on frapperait pour la première fois. Elle déglutit, incapable de répondre tout de suite. Ses doigts se crispèrent sur la tasse encore tiède devant elle.

- Mon père ? Je... je ne l'ai jamais connu. Vous devez faire erreur.

- Non, mademoiselle. Je n'ai aucun doute. Vous êtes bien la fille de Samuel Delorian.

Emma resta figée. Ce nom, encore lui. Celui que l'homme avait déjà prononcé quelques minutes plus tôt, et qui avait planté une graine d'inquiétude dans son esprit. Un nom qui ne lui appartenait pas, mais qui semblait pourtant murmurer quelque chose à son âme.

L'enveloppe était maintenant posée sur la table, juste entre eux. Elle la fixait comme on observe un animal inconnu, prête à bondir si nécessaire.

- Pourquoi maintenant ? demanda-t-elle enfin, sa voix un peu tremblante.

Le vieil homme esquissa un sourire triste.

- Parce que je n'ai plus beaucoup de temps. Et parce que certaines vérités ne doivent pas disparaître avec ceux qui les portent.

Elle hésita à tendre la main. Ses doigts picotaient, comme attirés par le papier, mais une peur sourde la retenait.

- Qu'est-ce qu'il y a dedans ?

- Cela, je ne peux pas vous le dire. Ce n'est pas à moi de vous l'apprendre.

Il la regarda avec une intensité qui la mit mal à l'aise.

- Mais je peux vous dire une chose, Emma. Quand vous lirez ces mots, vous ne verrez plus votre vie de la même façon.

Elle se redressa sur sa chaise, croisant les bras.

- Et si je ne veux pas la lire ?

- Alors... vous continuerez à vivre sans savoir. Parfois, c'est plus simple. Parfois... non.

Le silence tomba. Dans le fond du café, une serveuse riait à une plaisanterie d'un client. Le parfum du café chaud et de la brioche se mêlait aux odeurs plus anciennes de bois ciré. Mais pour Emma, tout cela semblait lointain. Elle n'entendait que le battement obstiné de son cœur et le froissement léger du papier lorsque le vieil homme le glissa vers elle.

Elle tendit enfin la main, du bout des doigts. Le contact du papier contre sa peau la fit frissonner. Elle s'attendait à ressentir... elle ne savait pas, peut-être une sorte d'évidence, un soulagement. Mais ce fut l'inverse : un poids invisible sembla s'accrocher à ses épaules.

- Merci... murmura-t-elle, sans trop savoir pourquoi.

- Ne me remerciez pas. Lisez-la quand vous serez prête. Et seulement à ce moment-là.

Il se leva, lentement, en s'aidant de sa canne. Emma voulut lui poser mille questions, mais sa gorge resta nouée.

- Attendez... vous ne voulez pas...

- Non, coupa-t-il doucement. Vous avez déjà assez pour aujourd'hui.

Et il partit, laissant derrière lui une chaise encore chaude, une odeur vague de tabac froid... et une enveloppe qui pesait beaucoup trop lourd pour sa taille.

Emma resta là, immobile, les yeux rivés sur ce rectangle de papier. Elle aurait pu l'ouvrir. En un geste, elle aurait pu briser le cachet et lire les mots que son père - ce fantôme de son passé - avait laissés pour elle. Mais ses mains restaient figées.

Elle glissa finalement l'enveloppe dans son sac, comme si elle craignait que quelqu'un d'autre s'en empare. Pourtant, même dissimulée, elle semblait vibrer, appeler.

En rentrant chez elle, chaque pas lui parut plus lourd. Elle marchait vite, tête baissée, comme si le monde entier pouvait deviner ce qu'elle portait. Le froid de la fin d'après-midi piquait ses joues, mais ce n'était rien comparé au tumulte qui grondait dans sa poitrine.

Une fois à l'intérieur, elle referma la porte à double tour. Son appartement était minuscule, mais il lui semblait soudain trop grand, trop silencieux. Elle posa son sac sur la table et le fixa un long moment.

Elle aurait pu l'ouvrir là, maintenant. Mais l'idée même de découvrir ce qui s'y cachait la terrifiait. Et si c'était quelque chose qu'elle n'était pas prête à entendre ? Une vérité qui changerait tout, qui briserait les quelques repères qu'elle avait ?

Elle se fit un thé, espérant que la chaleur lui apaiserait les mains tremblantes. Mais même en tenant la tasse, ses yeux revenaient sans cesse vers le sac.

- Bon sang... souffla-t-elle pour elle-même.

Elle s'assit enfin. Lentement, elle sortit l'enveloppe, la posa devant elle. Le cachet rouge brillait sous la lumière tamisée de la lampe. Elle passa le pouce dessus. La cire était sèche, craquelée par le temps. Un simple mouvement suffirait à l'ouvrir.

Mais elle ne le fit pas.

À la place, elle la glissa dans une boîte en bois, celle où elle rangeait ses quelques papiers importants. Elle la referma soigneusement, comme on enferme un secret trop dangereux.

Ce soir-là, elle dormit mal. Ses rêves étaient étranges, peuplés d'ombres et de murmures. À plusieurs reprises, elle crut entendre quelqu'un prononcer son prénom, tout près de son oreille.

Et au réveil, la boîte était toujours là, silencieuse... mais Emma savait que tôt ou tard, elle devrait affronter ce qu'elle renfermait.

L'appartement d'Emma était plongé dans une obscurité inhabituelle. D'abord, elle pensa que c'était simplement une ampoule grillée ou un court-circuit, rien d'extraordinaire dans ce quartier ancien où elle avait pris refuge. Pourtant, lorsqu'elle sortit son téléphone de sa poche, le petit écran s'éteignit brusquement, victime de la batterie déjà bien entamée, et aucun signe de lumière ne vint combattre l'obscurité envahissante.

Son cœur se serra. Elle savait, au fond d'elle, que ce n'était pas une panne anodine. Une semaine sans salaire, sans ressources, sans personne pour venir à son secours. L'humeur morose de la propriétaire de l'hôtel miteux avait fini par se traduire en un acte sans appel : couper l'électricité, faute de paiement.

Emma s'assit sur le bord du lit, ses doigts tremblants cherchant à tâtonner un peu dans l'obscurité, à trouver une lampe de poche, un briquet, quelque chose pour illuminer cet espace devenu soudainement hostile. Tout autour d'elle, le silence semblait peser, lourd et menaçant, comme une ombre qui s'étirait, prête à l'engloutir.

« Comment je vais faire ? » murmura-t-elle pour elle-même, la voix à peine audible, étouffée par l'angoisse qui montait. Elle ne pouvait pas rester là, plongée dans le noir, dans cet endroit qui lui rappelait à chaque instant sa fragilité et son isolement.

La lettre. Ce simple objet, ce petit morceau de papier qu'elle avait repoussé par peur et par orgueil, revenait alors comme une bouée jetée dans une mer agitée. Elle l'avait enfermée dans sa boîte en bois, ce soir-là, persuadée que le temps l'aiderait à rassembler assez de courage. Mais maintenant, dans cette nuit sans lumière, cette décision se transformait en nécessité.

Elle se leva doucement, tâtonna jusqu'à la table de nuit et sentit la boîte sous ses doigts. Son cœur battait la chamade, une angoisse sourde mêlée à une curiosité brûlante. Elle ouvrit le couvercle, en sortit l'enveloppe cachetée au rouge passé, et la posa sur ses genoux.

Ses mains tremblaient quand elle passa le pouce sur le sceau de cire. Elle avait l'impression qu'un fil invisible la retenait, qu'ouvrir cette lettre serait comme percer un secret trop lourd à porter. Et pourtant, elle déchira lentement la cire, puis souleva le rabat de l'enveloppe.

À l'intérieur, une feuille de papier jauni, pliée en quatre. Elle la déplia avec précaution, comme si chaque pli pouvait faire jaillir une vérité trop vive. Les mots étaient écrits à la main, d'une écriture élégante, un peu tremblante par endroits, mais lisible.

« Ma chère Emma, » commença la lettre.

Déjà, elle sentit une boule se former dans sa gorge. Chaque mot semblait s'adresser directement à elle, perçant les murs qu'elle avait érigés autour de son cœur depuis si longtemps.

« Si tu lis cette lettre, c'est que le temps m'a manqué pour te parler de vive voix. Je sais que ce message te surprendra, que tu te demandes qui je suis vraiment, et pourquoi je t'écris aujourd'hui. »

Emma inspira profondément, absorbant chaque mot comme une lumière dans l'obscurité qui l'entourait.

« Je suis ton père, Samuel Delorian. »

Le nom résonna dans son esprit, lourd et sacré à la fois.

« Je ne t'ai jamais connue, pas comme un père devrait connaître sa fille. Mais sache que tu as toujours été dans mes pensées, même lorsque la vie nous a séparés. »

Les mots suivants racontaient une histoire qu'Emma n'avait jamais imaginée : une histoire de choix difficiles, de sacrifices, de secrets gardés pour la protection.

« Ta mère a voulu te protéger, tout comme moi. Il y a des vérités qui font mal, et j'ai préféré te laisser grandir sans ce poids, espérant qu'un jour tu comprendrais. »

Emma sentit une larme couler sur sa joue, froide contre sa peau chaude.

« Tu es héritière d'un nom, d'un empire bâti à la sueur de mes mains, mais surtout, tu es une femme libre, capable de choisir ta destinée. »

Elle relut ces phrases plusieurs fois, cherchant à s'imprégner de chaque nuance.

« Je ne peux que te demander pardon de ne pas avoir été là. Mais aujourd'hui, je veux que tu saches que tu n'es plus seule. Ta famille t'attend, même si elle ne ressemble pas à ce que tu imagines. »

La lettre se terminait par une invitation, une promesse d'espoir et d'un futur différent :

« Cherche-nous. Trouve la vérité. Et surtout, crois en toi.

Avec tout mon amour,

Samuel Delorian »

Emma replia la lettre, ses mains toujours tremblantes. Elle se sentit submergée par un flot d'émotions contradictoires : colère, tristesse, espoir et peur. Cette lettre, c'était un pont entre son passé douloureux et un avenir incertain, mais peut-être plus prometteur.

Elle se leva, regarda autour d'elle la chambre plongée dans le noir, puis sortit de son sac un briquet qu'elle avait acheté quelques jours plus tôt, juste au cas où. Allumant la petite flamme vacillante, elle s'assit près de la fenêtre, regardant la ville enveloppée de nuit et de silence.

Pour la première fois depuis longtemps, Emma sentit une étincelle de force. Elle savait que sa vie ne serait plus jamais la même, que cette lettre marquait un tournant. Le poids de l'ignorance venait de tomber, remplacé par une responsabilité qu'elle était prête à affronter.

Elle chuchota pour elle-même, comme une promesse : « Je vais chercher la vérité. Je vais découvrir qui je suis. »

Et dans cette pièce plongée dans l'obscurité, seule avec ses pensées et sa lettre, Emma fit le premier pas vers une nouvelle vie.

            
            

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