Les silences de Maman
img img Les silences de Maman img Chapitre 4 LA FILLE DE L'ORAGE
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Chapitre 6 LE FRÈRE DE L'OMBRE img
Chapitre 7 LES PAGES INTERDITES img
Chapitre 8 L'ÉTREINTE DU PASSÉ img
Chapitre 9 LE REFLET BRISÉ img
Chapitre 10 LE PACTE DU SILENCE img
Chapitre 11 LA NUIT DU RHÔNE img
Chapitre 12 LE MASQUE DE MATHILDE img
Chapitre 13 L'HERBE EMPOISONNÉE img
Chapitre 14 LA CHAMBRE ROUGE img
Chapitre 15 LE PIÈGE DE VELOURS img
Chapitre 16 L'HEURE DES AVEUX img
Chapitre 17 LE SANG DES INNOCENTS img
Chapitre 18 LES LARMES DE L'AUBE img
Chapitre 19 LE DERNIER ACCORD img
Chapitre 20 LES SILENCES BRISÉS img
Chapitre 21 LA CLÉ DANS LA MESURE img
Chapitre 22 LE KIOSQUE ET LA BANDE img
Chapitre 23 LA BOÎTE QUI SAIGNE img
Chapitre 24 L'ÉCHANGE img
Chapitre 25 LA BOÎTE INTERDITE img
Chapitre 26 LA CONFESSION img
Chapitre 27 L'ÂME, L'ANTIDOTE img
Chapitre 28 LA DERNIÈRE MESSE img
Chapitre 29 LES MAINS D'ENCRE ET LA CHUTE img
Chapitre 30 BRUME img
Chapitre 31 ÉPILOGUE - LA TROISIÈME GARDÉE img
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Chapitre 4 LA FILLE DE L'ORAGE

L'odeur du café se mêlait maintenant à celle du désinfectant et de la peur. Robert gisait inerte, entouré de serveurs affolés. Une infirmière du SAMU lui posait un collier cervical en hurlant des chiffres dans son talkie-walkie. *« Pression chute ! 80/50 ! »* Son visage avait la couleur des cendres.

Je m'accroupis près de lui, fouillant machinalement dans la poche intérieure de son manteau. Mes doigts rencontrèrent un carnet de cuir usé – celui où il notait toujours ses « choses importantes ». Glissée entre deux pages, une carte de visite jaunie :

Viviane Dubois Relieuse d'art

22 rue des Teinturiers Avignon

Au verso, de son écriture tremblée :

« Ne jamais oublier : le 3 novembre. » La date de la mort de Laurent.

Le brancard passa devant moi dans un froissement de nylon. La main de Robert pendait, livide. L'infirmière me regarda sévèrement :

« Vous venez à l'hôpital ? C'est votre père ? »

Est-ce qu'il l'est vraiment ?

Je hochai la tête, incapable de parler.

Le train Lyon-Avignon vibrait comme mon corps épuisé. Dans le TGV aux vitres striées de pluie, je fixai la carte de Viviane. Relieuse d'art. L'ironie me frappa : cette femme cousait les histoires des autres alors que la sienne était déchirée. Les paysages défilaient en tâches vertes et grises, noyées par l'averse. J'imaginais cette inconnue aux yeux de Laurent – parce qu'elle devait les avoir, ces yeux d'orage qu'Élise décrivait dans son journal intime.

« 15 mai 1989 : Les yeux de L. sont des tempêtes où j'aime me perdre. V. les a aussi, mais chargés de reproches quand elle me croise aux marchés. »

À l'arrivée, Avignon était un théâtre de pierres mouillées. La rue des Teinturiers sentait l'encre et la moisissure ancienne. Le numéro 22 était une boutique étroite, vitrine obstruée par des piles de livres. Une clochette grinça quand j'ouvris la porte.

L'intérieur sentait le cuir et le vieux papier. Derrière un comptoir encombré, une femme aux cheveux argentés tressait un ruban de soie sur un manuscrit médiéval. Elle leva les yeux.

Le choc me coupa le souffle.

Ses yeux. Gris-vert, striés d'or comme des coupes de malachite. Ceux de Laurent. Ceux que je voyais dans mon miroir. Elle posa délicatement son outil.

« Vous êtes en avance, madame Desmarais. Ma commande ne sera prête que demain. »

Je m'approchai, ma main serrant la photo de Laurent dans ma poche. « Je ne suis pas des Desmarais. Je suis Anaïs. La fille d'Élise. »

Le silence tomba comme une chape. Viviane recula d'un pas, heurtant un établi. Des plumes d'oie roulèrent sur le sol.

« Sortez », murmura-t-elle.

« S'il vous plaît... Je sais que Laurent était mon père. »

Un tic nerveux agita sa paupière gauche. « Vous ne savez rien. Votre mère vous a menti comme elle nous a tous mentis. »

Elle se dirigea vers l'arrière-boutique. Je la suivis, déterminée. Dans l'atelier, des presses à dorure luisaient sous des lampes pendantes. Sur un mur, une photo jaunie : Laurent souriant, bras autour des épaules d'une jeune Viviane, devant un pont en Provence.

« Il vous ressemblait », dis-je doucement.

Elle se retourna, les larmes aux yeux.

« Il ressemblait à vous. Cette fossette... » Sa main trembla en direction de ma joue. « Quand Élise est arrivée enceinte de vous, il a voulu tout quitter. La famille, l'argent, leur maudit empire. Mathilde ne pouvait pas tolérer ça. »

Je sortis la lettre d'Élise. Viviane la toucha comme une relique sacrée.

« Elle vous a prévenue ? » son chuchotement était empreint d'effroi. « Alors vous êtes déjà morte. Ils vous trouveront comme ils ont trouvé Laurent. Comme ils ont trouvé... »

Soudain, la vitrine explosa.

Un fracas de verre pulvérisé. Viviane poussa un cri étouffé. Une tache rouge s'élargissait sur son chemisier beige, juste au-dessus du cœur. Elle s'effondra contre moi, son souffle chaud sur mon cou.

« Le garçon... » elle haleta, du sang coulant de ses lèvres. « Cherchez... le garçon... »

Ses doigts agrippèrent mon bras avec une force surhumaine. « Mathilde... protège... son empire... »

Son corps devint lourd. Trop lourd. Dehors, des pas précipités s'éloignaient dans la ruelle pavée. Je la tenais serrée, sentant la vie s'échapper d'elle. Ses derniers mots furent un souffle :

« Gabriel... »

Puis plus rien. Que le grésillement des lampes et l'odeur métallique du sang.

            
            

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