Les silences de Maman
img img Les silences de Maman img Chapitre 2 L'ENCRE DES OMBRES
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Chapitre 6 LE FRÈRE DE L'OMBRE img
Chapitre 7 LES PAGES INTERDITES img
Chapitre 8 L'ÉTREINTE DU PASSÉ img
Chapitre 9 LE REFLET BRISÉ img
Chapitre 10 LE PACTE DU SILENCE img
Chapitre 11 LA NUIT DU RHÔNE img
Chapitre 12 LE MASQUE DE MATHILDE img
Chapitre 13 L'HERBE EMPOISONNÉE img
Chapitre 14 LA CHAMBRE ROUGE img
Chapitre 15 LE PIÈGE DE VELOURS img
Chapitre 16 L'HEURE DES AVEUX img
Chapitre 17 LE SANG DES INNOCENTS img
Chapitre 18 LES LARMES DE L'AUBE img
Chapitre 19 LE DERNIER ACCORD img
Chapitre 20 LES SILENCES BRISÉS img
Chapitre 21 LA CLÉ DANS LA MESURE img
Chapitre 22 LE KIOSQUE ET LA BANDE img
Chapitre 23 LA BOÎTE QUI SAIGNE img
Chapitre 24 L'ÉCHANGE img
Chapitre 25 LA BOÎTE INTERDITE img
Chapitre 26 LA CONFESSION img
Chapitre 27 L'ÂME, L'ANTIDOTE img
Chapitre 28 LA DERNIÈRE MESSE img
Chapitre 29 LES MAINS D'ENCRE ET LA CHUTE img
Chapitre 30 BRUME img
Chapitre 31 ÉPILOGUE - LA TROISIÈME GARDÉE img
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Chapitre 2 L'ENCRE DES OMBRES

À 6h17, les premiers rayons gris filtraient par la lucarne du grenier. J'écartai les toiles d'araignée, mes doigts encore tremblants de la veille. L'air sentait la poussière et la naphtaline – et cette lavande persistante qu'Élise glissait partout comme un talisman. Les trois malles en chêne alignées contre le mur ressemblaient à des cercueils oubliés.

La troisième, capitonnée de tissu fleuri, recelait son adolescence : carnets de poésie, rubans fanés, et une liasse de lettres nouées d'un velours bleu. « Mon Élise étoilée... » La première enveloppe, écrite d'une encre sépia, portait cette suscription enroulée. Mon souffle se bloqua. L'écriture masculine, vigoureuse et passionnée, contrastait avec celle de ma mère.

*17 juin 1987*

Hier, sous les ponts de la Saône, j'ai cru que le monde s'arrêtait. Quand tu as posé ta tête sur mon épaule, les feux d'artifice ont explosé en moi. Ton père et Mathilde nous cherchent des époux "convenables", mais nous sommes l'inconvenance même, ma love. Leur argent n'étouffera pas ce feu. Je te jure que tu m'appartiendras, loin des Desmarais et de leurs mensonges dorés.

Ton Laurent, qui brûle.

Les mots dansaient, chargés d'une urgence désespérée. Feuilletant fébrilement les lettres, je tombai sur une photo glissée comme un marque-page. Le choc me fit vaciller.

Il était debout près d'un kiosque à musique, veste en tweed déboutonnée, une mèche noire tombant sur des yeux rieurs. Laurent. Mon sang cogna à mes tempes. Ce sourire... je le connaissais. Cet angle de la mâchoire, cette fossette à gauche. Je courus à ma chambre, attrapai le vieux miroir coquillage d'Élise. Mon reflet me renvoya son visage – son menton, son arcade sourcilière légèrement busquée. Robert avait les traits doux, arrondis. Rien à voir avec cette sauvagerie charmante.

« Il est mort à cause de moi. À cause de toi. » La voix d'Élise chuchotait dans ma mémoire.

Soudain, un grincement sec déchira le silence en bas. La troisième marche de l'escalier. Celle qui pleurait toujours quand enfant, je tentais de descendre en cachette. Mon cœur se serra. Pas de vent cette fois. Les fenêtres sont closes.

Je rampai jusqu'à la trappe du grenier, l'entrouvris d'un millimètre. Rien. Que le salon baigné de lumière grise. Puis... un froissement. Près du piano. Le couvercle était entrouvert. Je l'avais pourtant fermé. À ses pieds, un morceau de papier plié en quatre traînait, comme tombé du ciel.

Je dévalai les marches, saisissant la feuille d'une main tremblante. C'était une page arrachée à un registre municipal, jaunie aux bords. Un acte de décès.

« Dubois, Laurent. Décédé le 3 novembre 1989. Lieu : Pont de la Mulatière, Lyon. Cause : Chute accidentelle. »

Accidentelle. Le mot vibrait de mensonge. Dans la marge, quelqu'un avait griffonné au stylo rouge : « Pas d'autopsie. Affaire classée. Pression Desmarais ? »

Un froid glacial m'envahit. Je retournai la photo de Laurent, celle du kiosque à musique. Et je vis l'inscription.

Elle gisait là, tracée d'une encre brune presque noire, épaisse comme du sang séché : « Il est mort parce qu'il t'a voulue. »

Le sol se déroba. Je m'agrippai au piano, les doigts enfonçant un accord dissonant. T'a voulue. Moi. Anaïs. L'enfant qu'Élise portait quand il était mort...

Un claquement net me fit sursauter. La porte d'entrée. Quelqu'un venait de la fermer. De l'intérieur.

Je me figai, écoutant les battements affolés de mon cœur. Un pas étouffé glissait dans le couloir. Lent. Calculé. Puis le grincement du parquet devant la cuisine. L'intrus était encore là.

En silence, je rampai jusqu'à l'escalier de service - celui qu'Élise appelait "le passage des fantômes". La porte grinça trop fort en s'ouvrant. Je courus dans la ruelle pavée, la

pluie glacée collant mes cheveux au visage, et me réfugiai au Café des Anges. Derrière la vitre embuée, j'appelai Robert d'une voix brisée :

« Café des Anges. Viens. Il y a quelqu'un... »

            
            

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