Chapitre 3 Chapitre 3 : L'Ombre d'Alexandre

La pression exercée par la belle-famille n'était qu'une partie de la symphonie discordante qui commençait à déchirer la vie de Maïa. Le véritable prélude à la catastrophe venait de la personne qu'elle aimait le plus, l'homme qu'elle avait cru être son roc, son protecteur. Le glissement d'Alexandre fut insidieux, une lente dérive qui commença par de minuscules fissures dans leur union, avant de creuser un abîme infranchissable.

Au début, lorsque les remarques perfides d'Éliane et Jean-Pierre s'étaient faites plus acerbes, Alexandre avait joué son rôle de défenseur. Il la serrait contre lui après les dîners tendus, ses mains réconfortantes sur son dos, tandis qu'elle tremblait encore sous le poids des insultes voilées.

« Ne les écoute pas, mon amour, » murmurait-il, enfouissant son visage dans ses cheveux. « Ils sont vieux jeu, c'est tout. Ils veulent juste des petits-enfants, et ils ne comprennent pas que ce n'est pas si simple. »

Maïa se blottissait contre lui, cherchant refuge dans sa chaleur, dans la force de ses bras. « Mais Alexandre, ils m'ont traitée de stérile. Comment peux-tu laisser ta mère dire ça ? » Sa voix était un sanglot étouffé.

Il soupirait, caressant sa joue. « Je sais, Maïa. C'est inacceptable. Je lui ai parlé, mais tu connais Maman, elle est têtue. Elle finira par comprendre que tu es la femme parfaite pour moi, et que ça arrivera quand ça arrivera. » Il y avait une note de lassitude dans sa voix qu'elle avait ignorée, trop désespérée de se raccrocher à son soutien.

Ces moments de réconfort devinrent de plus en plus rares, comme des mirages dans le désert aride de leur quotidien. Le lent retrait d'Alexandre ne fut pas un interrupteur brutal, mais plutôt un gradateur qui diminuait progressivement l'intensité de leur connexion. Les mots doux se firent de plus en plus discrets, puis inexistants. Les « Je t'aime, Maïa » murmuraient avant de s'endormir furent remplacés par des silences lourds, uniquement brisés par sa respiration régulière.

Un soir, alors qu'elle rentrait du travail, épuisée par une journée où elle avait dû faire semblant d'être la Maïa joviale et efficace, elle trouva Alexandre avachi sur le canapé, le regard rivé sur la télévision. Elle posa son sac, s'approcha de lui, espérant un baiser, un signe d'affection.

« Ça a été ta journée, mon amour ? » demanda-t-elle, sa voix hésitante.

Il fit un léger mouvement de tête, sans quitter l'écran des yeux. « Normale. Fatigante. »

Elle s'assit à côté de lui, son cœur serré. Elle tenta de poser sa main sur sa cuisse, mais il se décala imperceptiblement. « Je me sens un peu seule ces temps-ci, Alexandre. Ta mère... ses mots... ça me ronge. »

Il soupira, un son agacé. « On en a déjà parlé, Maïa. Arrête de te focaliser là-dessus. Plus tu y penses, moins ça arrivera. C'est psychologique. » Son ton était froid, détaché, comme s'il parlait d'un problème abstrait, et non de sa propre souffrance.

« Psychologique ? Tu crois que c'est dans ma tête ? Que je ne veux pas assez de cet enfant ? » Le doute, insidieux, s'insinua en elle.

« Je n'ai pas dit ça. Juste... lâche prise. Tu es trop tendue. Ça se sent. » Il se leva, attrapant son téléphone. « Je vais passer quelques appels. Ne m'attends pas pour dîner. » Et il disparut dans son bureau, la laissant seule dans le vaste salon, le silence empli de son propre désarroi.

Les silences pesants devinrent la norme. À table, ils mangeaient sans un mot, le bruit des couverts sur la porcelaine résonnant étrangement. Maïa essayait parfois d'engager la conversation, de parler de son travail, de ses amis, d'un film qu'elle avait vu. Mais ses tentatives se heurtaient à des réponses monosyllabiques, ou pire, à une indifférence palpable.

« J'ai eu une excellente nouvelle aujourd'hui au bureau, » avait-elle tenté un soir, espérant susciter son intérêt. « Mon projet de restructuration a été validé par la direction ! »

Alexandre hocha la tête, les yeux sur son portable. « C'est bien, Maïa. Je suis content pour toi. » Il retourna à son écran, et Maïa sentit une larme perler au coin de son œil. C'était tout ? Pas de félicitations, pas de questions sur les détails, juste une reconnaissance distante.

L'attention physique, autrefois un pilier de leur relation, s'évaporait. Les caresses spontanées, les baisers volés, les étreintes prolongées devant un film, tout cela n'était plus qu'un lointain souvenir. Alexandre évitait le contact, même les plus anodins. Lorsqu'ils étaient au lit, il se tournait vers le mur, son dos formant une barrière infranchissable. Maïa se sentait de plus en plus invisible, sa peau frissonnant d'un manque qu'elle n'osait pas exprimer.

Une nuit, incapable de dormir, elle avait tenté de se blottir contre lui. Il s'était raidi.

« Qu'est-ce qu'il y a ? » avait-il demandé d'une voix rauque, teintée d'agacement.

« Rien... je voulais juste te faire un câlin. »

« Il faut que je dorme, Maïa. J'ai une grosse journée demain. » Il s'était éloigné, son corps rigide, et Maïa s'était sentie rejetée, humiliée.

Elle sentait cette déconnexion grandir entre eux. C'était comme si un voile invisible était tombé, les séparant. La Maïa qui avait toujours été d'un optimisme inébranlable commençait à douter. Elle essayait de comprendre. Était-ce elle ? Avait-elle fait quelque chose de mal ? Était-elle devenue moins désirable à ses yeux parce qu'elle ne pouvait pas lui donner cet enfant tant désiré ?

Elle tentait de réparer ce qui se brisait. Elle cuisinait ses plats préférés, organisait des soirées en tête-à-tête, lui envoyait des messages doux pendant la journée. Mais chaque tentative semblait se heurter à un mur d'indifférence.

« Alexandre, on pourrait peut-être aller dîner dehors ce week-end, juste tous les deux ? » avait-elle proposé avec une pointe d'espoir.

« Je ne sais pas, Maïa. J'ai beaucoup de travail. Et puis, tes parents ont demandé à ce qu'on vienne dimanche. » Il ne proposait jamais, ne prenait plus aucune initiative.

Les attaques verbales devinrent plus fréquentes, plus ciblées. Ce n'était plus seulement sa famille qui la rabaissait sur son incapacité à concevoir, c'était Alexandre lui-même. La subtilité des premiers jours avait disparu, remplacée par une brutalité blessante.

Un soir, après une énième discussion houleuse avec sa mère au téléphone, Alexandre était revenu dans le salon, le visage sombre.

« Encore un appel pour ça, » avait-il grommelé en jetant son téléphone sur la table basse. « Ils sont exaspérés, Maïa. Tu ne te rends pas compte de la pression qu'ils me mettent. Ils attendent un héritier, un nom. »

Maïa, les larmes aux yeux, avait osé le confronter. « Et moi, Alexandre ? Tu ne vois pas la pression que je ressens ? Je suis celle qui porte le poids de leurs regards, de leurs mots ! Tu ne me soutiens plus ! Tu es devenu froid, distant... »

Il s'était levé brusquement, ses yeux bleus acier remplis d'une colère froide qu'elle n'avait jamais vue. « Tu veux que je te soutienne pour quoi, Maïa ? Pour ton incapacité à me donner un enfant ? C'est ça que tu attends ? Je suis fatigué, tu entends ? Fatigué de cette situation, fatigué de cette obsession ! »

Le mot, incapacité, claqua dans l'air comme un fouet. Son souffle se coupa. « Mon incapacité ? C'est aussi notre problème, Alexandre ! Et les médecins ont dit... »

« Les médecins ne comprennent rien ! » il l'avait coupée, sa voix montant d'un cran. « Ce n'est pas normal à ton âge de ne pas pouvoir concevoir. Peut-être que tu as un problème que tu me caches, hein ? »

Les accusations étaient insupportables. Maïa recula, le cœur battant à tout rompre. « Comment oses-tu dire ça ? Je t'ai tout dit, je n'ai rien caché ! »

« Alors quoi ? Explique-moi pourquoi toutes mes cousines, toutes mes amies de bureau tombent enceintes du premier coup, et toi, après trois ans, rien ? C'est toi le problème, Maïa ! C'est clair ! » Il avait pointé un doigt accusateur vers elle, son visage déformé par la rage.

Cette scène, un tournant brutal, marqua le début des violences verbales ouvertes. Chaque désaccord, chaque discussion sur leur désir d'enfant, se transformait en un champ de mines où Maïa était bombardée de reproches et d'insultes voilées sur sa "stérilité". Le désir de communiquer devenait une épreuve, car chaque tentative de Maïa de rétablir un lien, d'expliquer sa douleur, était perçue comme une provocation. Il la rabaissait sur son incapacité à concevoir, utilisant des mots qui l'atteignaient au plus profond d'elle-même, lui faisant douter de sa valeur en tant que femme.

La situation dégénérait rapidement, et le pont entre eux brûlait à chaque mot cruel. La tendresse avait cédé la place à la froideur, l'amour à l'indifférence, et les murmures doux aux cris rageurs. Maïa, autrefois pétillante de vie, était devenue une ombre d'elle-même, piégée dans une relation toxique où le silence et les paroles blessantes étaient devenus ses bourreaux quotidiens.

            
            

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