Le souvenir est revenu avec une clarté brutale.
C'était il y a six mois. Antoine avait eu une altercation violente dans un bar. Un type l'avait bousculé, Antoine, qui avait bu plus que de raison, l'avait frappé. Il avait passé la nuit en garde à vue.
Je me souviens être allée le chercher au petit matin. J'étais fatiguée, inquiète et en colère.
Quand je suis arrivée, il était assis sur un banc dans le hall du commissariat, l'air sombre, une égratignure sur la pommette. Il n'avait pas l'air désolé, juste furieux. Une colère froide et contenue que je commençais à lui connaître.
« On peut y aller ? » avait-il grommelé sans même me regarder.
Alors que nous nous dirigions vers la sortie, une jeune fille nous a barré le chemin. C'était elle, Léa. Elle avait l'air perdue, les yeux rougis. Elle portait une jupe trop courte et un maquillage qui avait coulé.
« Monsieur Leclerc ? » a-t-elle dit d'une petite voix. « Je voulais juste vous remercier. Pour hier soir. Vous m'avez vraiment aidée. »
Je me souviens l'avoir regardée, surprise. Je ne comprenais pas de quoi elle parlait.
Antoine, lui, a eu une réaction violente.
« Fous-moi la paix, » a-t-il lancé, la repoussant presque. Il m'a attrapé le bras et m'a entraînée dehors.
Dans la voiture, je lui avais demandé qui c'était.
« Personne, » avait-il répondu sèchement. « Une fille qui se faisait harceler par un mec lourd dans le bar. J'ai juste dit au type de la laisser tranquille, c'est comme ça que la bagarre a commencé. Une emmerdeuse, voilà ce que c'est. »
Sur le moment, je l'avais cru. J'avais même ressenti une pointe de fierté. Mon Antoine, le chevalier servant.
À côté de moi, il y avait ma meilleure amie, Sophie. C'est elle que j'avais appelée en panique au milieu de la nuit. En tant qu'avocate, elle m'avait rassurée et était venue avec moi.
C'est elle qui avait dit la phrase qui, aujourd'hui, résonnait dans ma tête avec une ironie cruelle.
Alors que nous nous éloignions, elle avait jeté un œil dans le rétroviseur vers la silhouette de Léa, qui nous regardait partir.
« C'est étrange, » avait-elle dit. « Elle a un air de toi. Quand tu étais plus jeune. »
Je me souviens avoir ri.
« N'importe quoi. Je n'ai jamais porté de jupe aussi courte. »
« Non, pas le style, » avait insisté Sophie. « Le visage. Les cheveux. Une version un peu plus... brouillonne de toi. »
À ce moment-là, je n'y avais pas prêté attention. Mais maintenant, en regardant ses photos sur Instagram, je comprenais.
Les mêmes cheveux bruns et longs. Les mêmes yeux en amande. La même forme de visage.
Ce n'était pas une coïncidence.
Antoine n'avait pas juste pris une maîtresse. Il avait trouvé mon double. Une version plus jeune, plus naïve, plus malléable. Une version de moi qui n'était pas encore devenue une femme de trente-trois ans, une galeriste respectée qui pouvait lui tenir tête.
Une version « pas encore fanée », comme il le dirait plus tard.
La prise de conscience a été comme un coup de poing dans l'estomac. La trahison n'était pas seulement charnelle. Elle était existentielle. Il ne voulait pas juste une autre femme. Il voulait me remplacer. Effacer la femme que j'étais devenue pour retrouver celle que j'avais été.
C'était la pire des humiliations.