Elle se tourna vers son frère. Il avait tout entendu. Deux larmes coulaient de ses yeux et traçaient des chemins sur ses joues meurtries.
« Jeanne... partons, » murmura-t-il, sa voix un souffle rauque. « S'il te plaît. Il ne nous reste plus rien. Partons. »
« Non, Antoine, » répondit-elle, sa propre voix tremblante mais ferme. « Non. Je ne les laisserai pas gagner. Je te le promets. Je trouverai un moyen. Justice sera faite. »
Le lendemain, laissant Antoine sous la surveillance d'une infirmière compatissante, Jeanne entama un parcours du combattant kafkaïen. Elle se rendit d'abord au bureau du procureur. Après trois heures d'attente, une greffière lasse la reçut.
« Une agression ? Mais je vois dans le dossier que vous avez signé une lettre de conciliation. L'affaire est donc close, madame. Nous ne pouvons rien faire. »
Elle essaya ensuite l'inspection générale de la police, la fameuse "police des polices". Un inspecteur en civil l'écouta d'une oreille distraite, tout en tapotant sur son clavier.
« Des accusations de corruption contre le commissariat du 16ème ? C'est grave, ce que vous dites. Avez-vous des preuves ? Des enregistrements ? Des témoins ? Non ? Alors ce sont des allégations. Votre parole contre celle d'un officier de police. »
Elle tenta même de contacter des associations d'aide aux victimes. On lui offrit un soutien psychologique, une aide pour remplir des formulaires administratifs, mais personne ne semblait pouvoir ou vouloir s'attaquer à la forteresse des Fournier. Partout, elle se heurtait à des murs de bureaucratie, d'indifférence ou de peur.
Son dernier espoir fut un service spécialisé dans les violences. Elle fut reçue par un fonctionnaire grisonnant à l'air fatigué. Elle raconta tout, en détail, les larmes aux yeux : l'agression, le visage de son frère, la signature forcée au commissariat, les menaces à l'hôpital, la médaille de son père piétinée.
Le fonctionnaire l'écouta patiemment. Quand elle eut fini, il soupira.
« Madame Dubois, je comprends votre douleur. Vraiment. Mais il faut être réaliste. C'est une histoire compliquée. Une dispute qui a mal tourné, une sorte de... conflit familial ou de voisinage, si on peut dire. Votre frère a refusé de céder une œuvre, ils se sont emportés. C'est regrettable, mais ça arrive. »
« Un conflit familial ? Ils ont défiguré mon frère ! Ils nous menacent de mort ! » s'écria Jeanne, sa voix se brisant. « Mon père a donné sa vie pour ce pays, et voilà comment on traite ses enfants ? Est-ce que c'est ça, la justice ? »
Le fonctionnaire sembla sincèrement peiné. Il se pencha vers elle, baissant la voix.
« Écoutez, je vais être franc avec vous. La famille Fournier est très influente. Très. Poursuivre cette affaire, c'est comme essayer de renverser une montagne avec une petite cuillère. Vous allez vous épuiser, et vous risquez de vous faire très mal. Ils vous ont offert de l'argent. Prenez-le. C'est peut-être injuste, mais c'est la solution la plus sage. Partez, reconstruisez votre vie ailleurs. Ce serait une fin heureuse pour tout le monde, non ? »
Une fin heureuse. Les mots résonnèrent dans la tête de Jeanne comme la plus cruelle des moqueries. Elle se leva, le corps vidé de toute force, mais l'esprit habité par une froide résolution. Si le système était conçu pour protéger les forts et écraser les faibles, alors elle n'avait plus rien à perdre.