Le lendemain, alors que Jeanne changeait l'eau des fleurs fanées sur la table de chevet, une nouvelle visiteuse inattendue se présenta. C'était Sophie, une jeune artiste qui avait été l'amie la plus proche d'Antoine à l'école des beaux-arts, et qui travaillait maintenant pour la galerie Fournier. Elle portait un tailleur élégant qui semblait inconfortable sur elle, et son visage était pâle.
« Jeanne... comment va-t-il ? » demanda-t-elle en évitant de regarder le lit.
« Comment veux-tu qu'il aille, Sophie ? Ils l'ont détruit. »
Sophie tordait nerveusement les sangles de son sac à main.
« Écoute, Jeanne... les Fournier sont... puissants. Ils m'ont demandé de venir te parler. Ils disent que si vous faites profil bas, si vous oubliez cette histoire, ils pourraient même aider Antoine. Lui trouver un petit travail, quand il sera guéri... »
Jeanne la regarda, incrédule. La colère monta en elle, brûlante et pure.
« Un petit travail ? Après ce qu'ils lui ont fait ? Et toi, Sophie ? Toi, tu viens me dire ça ? Tu te souviens de ce que vous vous disiez avec Antoine ? Que l'art devait être pur, qu'il ne fallait jamais se compromettre ? Tu te souviens quand il partageait son maigre repas avec toi parce que tu n'avais pas de quoi manger ? Et maintenant tu es leur chienne de garde ? »
Le visage de Sophie se décomposa. Des larmes brillèrent dans ses yeux.
« Tu ne comprends pas, Jeanne. On n'a pas le choix... »
« Si, on a toujours le choix ! »
La porte s'ouvrit de nouveau. Charles Fournier se tenait sur le seuil, un sourire mauvais aux lèvres. Sophie sursauta, comme prise en faute.
« Je vois que la persuasion douce ne fonctionne pas. »
Il entra dans la chambre, s'approcha de Jeanne et, sans un mot d'avertissement, la saisit par les cheveux, la forçant à se pencher en arrière.
« Tu es dure d'oreille, ma petite. Il va falloir que je te le fasse rentrer dans le crâne. »
Dans le mouvement, un petit objet tomba de la poche de la veste de Jeanne et glissa sur le sol avec un tintement métallique. C'était la médaille de son père. Elle l'avait prise avec elle, comme un talisman.
Charles la remarqua. Il lâcha Jeanne, qui s'effondra presque, et ramassa la médaille. Il l'examina avec un dédain exagéré.
« Qu'est-ce que c'est que ce bout de ferraille ? La récompense pour le meilleur toutou de la nation ? »
Il la jeta par terre et posa le talon de sa chaussure en cuir italien dessus, l'écrasant contre le linoléum froid. Il tourna son pied, rayant le métal gravé. Le son strident fut une torture pour Jeanne. C'était plus qu'une agression physique, c'était une profanation. Il souillait la seule chose sacrée qui leur restait.
Il retira son pied, sortit son portefeuille et jeta un billet de 500 euros sur la médaille abîmée.
« Tiens. Pour le dédommagement. Achète-en une autre sur internet si ça te chante. »
Son regard se fit plus dur, plus cruel. Il se pencha vers elle, son haleine sentant l'alcool cher.
« Fais bien attention à ce que tu vas faire. Tu vois, l'année dernière, j'ai renversé un cycliste qui n'avait pas traversé au bon endroit. Un accident malheureux. L'affaire a été classée sans suite. Personne n'a posé de questions. Tu comprends ce que je veux dire ? Des accidents, ça arrive si vite. Surtout aux gens qui posent trop de problèmes. »
Il se redressa, jeta un dernier regard de mépris à Antoine, immobile sur son lit, et fit un signe de tête à Sophie, qui le suivit comme une automate, le visage baigné de larmes silencieuses.