Dans le flux de commentaires qui défilait sous la vidéo d'Antoine, le scepticisme l'emportait.
« N'importe quoi, il fait du cinéma pour les vues. »
« "Une énergie bizarre", ouais, c'est ça. C'est juste un mur sale. »
« Ce mec est un arnaqueur. Je me désabonne. »
« Léa Dubois était une menteuse, son fantôme doit l'être aussi. Il essaie de nous manipuler depuis l'au-delà. »
Je les ai regardés, ces juges anonymes, et une tristesse froide m'a envahie. Ils préféraient croire au mensonge le plus simple plutôt qu'à la vérité la plus complexe. Mon sang sur le mur ? Juste de la peinture. Ma souffrance ? Une mise en scène. C'était plus facile comme ça.
Alors que le cynisme gagnait le chat, une chose étrange s'est produite. Un courant d'air soudain, venu de nulle part, a balayé l'atelier pourtant clos. Il a soulevé des tourbillons de poussière et fait claquer des lambeaux de tissu.
Le courant d'air a semblé se concentrer sur un coin de la pièce, près d'une vieille commode. Une des lattes du plancher, légèrement déchaussée par le temps, a été soulevée de quelques millimètres.
Antoine, attiré par le bruit, a tourné sa caméra vers la latte.
« Vous avez vu ça ? Le vent... mais toutes les fenêtres sont fermées. »
Il s'est approché, intrigué. Il a posé sa lampe torche et, avec un peu d'effort, a réussi à soulever complètement la latte de bois.
En dessous, dans l'interstice sombre et poussiéreux, il y avait un objet. Un petit carnet relié en cuir noir, usé par le temps.
Mon journal intime.
La seule chose que j'avais réussi à cacher avant que tout ne bascule.
Le cœur d'Antoine a semblé s'arrêter. Le chat en direct est devenu silencieux pendant une fraction de seconde, avant d'exploser de nouveau.
« C'est quoi ça ? »
« Le journal de la diablesse ! »
« Lis-le ! Lis-le ! »
Antoine a ramassé le carnet avec une sorte de révérence. Il a soufflé sur la couverture pour en chasser la poussière. Puis, il l'a ouvert à la première page. Sa voix était basse, presque un murmure.
« Ok... je vais lire. La première entrée... date d'il y a sept ans. »
Il a éclairci sa gorge et a commencé à lire.
« 12 septembre. Aujourd'hui, c'est le plus beau jour de ma vie. Papa est venu me chercher à l'orphelinat. Après toutes ces années, j'ai enfin une famille. J'ai une demi-sœur, Chloé. Elle est si belle et si gentille. Elle m'a prise dans ses bras et m'a dit qu'elle avait toujours rêvé d'avoir une grande sœur pour la protéger. J'ai aussi rencontré son ami, Marc. Il a un sourire si chaleureux. Il m'a dit que j'avais de jolis yeux. Je crois que je vais être très heureuse ici. Enfin. »
La voix d'Antoine flottait dans l'atelier silencieux. Cette vieille joie innocente, ces espoirs naïfs... ça faisait si mal de les entendre.
Dans le salon des Dubois, l'ambiance, déjà tendue, est devenue glaciale. En entendant mes mots, Marc s'est figé. Son visage s'est décomposé. Je pouvais presque voir le souvenir traverser son esprit : ce jour-là, dans le grand hall d'entrée, ma gêne, son sourire charmeur, les premiers battements de mon cœur stupide.
Son expression était devenue... compliquée. Un mélange de nostalgie et de quelque chose d'autre. Quelque chose qui ressemblait à du regret.
Le premier domino venait de tomber.