L'Amour Fou : Une Dette Mortelle
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Chapitre 3

Je suis là, Marc.

Je flotte juste au-dessus de toi, une volute de fumée invisible, un murmure que tu ne peux pas entendre. Je te regarde profaner la terre qui recouvre mes os, et une douleur plus profonde que la mort elle-même me transperce. Ce n'est pas la douleur de mes os brisés ou de ma chair déchirée. C'est la douleur de ton indifférence. La douleur de voir l'homme que j'ai aimé piétiner ma mémoire sans une once de remords.

Mon pauvre Jean-Luc. Je le vois, recroquevillé près de la grille, le visage en sang, pleurant pour moi. Il est le seul. Le seul qui se souvient. Je me rappelle les jours où je lui glissais des restes par la clôture, un morceau de pain, une soupe chaude. Il ne me demandait rien, mais ses yeux me remerciaient avec une gratitude que je n'ai jamais vue dans les tiens, Marc. Il est le seul gardien de ma tombe, le seul témoin de ma fin.

Et quelle fin ce fut.

Le souvenir remonte, aussi vif et brutal que le jour où c'est arrivé. Chloé. Elle était venue me voir sur le balcon de cette villa, où tu m'avais exilée. Elle était si belle, si fragile, avec son sourire doux et ses yeux suppliants.

"Isabelle," avait-elle dit, sa voix comme du miel empoisonné. "Marc ne m'aime plus. Il parle tout le temps de toi, de Louis. J'ai peur de le perdre."

J'avais eu pitié d'elle. Stupide, n'est-ce pas ? J'ai essayé de la rassurer. Et c'est là qu'elle a frappé. Son visage a changé, la douceur s'est évaporée, remplacée par une haine pure et glaciale.

"Il ne t'aimera plus jamais quand tu seras morte," a-t-elle sifflé.

Et elle m'a poussée.

La chute n'a pas été longue. Juste quelques mètres. Mais le bruit de ma colonne vertébrale qui se brise contre la margelle en pierre de la terrasse a été assourdissant. Je n'ai plus senti mes jambes. La douleur était une vague de feu blanc, puis plus rien. Juste la terre froide sous mon dos et le ciel qui tournait au-dessus de moi. Je pensais que c'était la fin. J'avais tort.

La mort n'est pas venue assez vite pour Chloé.

Elle est revenue plus tard, avec deux hommes aux visages durs. Des voyous. Je les ai entendus rire pendant qu'ils déchiraient mes vêtements. J'étais paralysée, incapable de bouger, de crier, de me défendre. Je n'étais qu'un objet pour leur cruauté. Ils m'ont violée, encore et encore, sous le regard satisfait de Chloé. Chaque seconde était une éternité de souillure et d'humiliation.

Quand ils ont eu fini, j'étais une chose brisée, couverte de sang, de terre et de larmes. Je priais pour la mort.

"Maintenant, enterrez-la," a ordonné Chloé, sa voix calme, presque joyeuse. "Je ne veux plus jamais voir son visage."

Ils m'ont traînée jusqu'au pied du grand chêne. Ils ont creusé un trou peu profond. Je pouvais sentir l'odeur de la terre humide, sentir les vers sur ma peau. J'étais vivante. J'étais vivante quand ils ont jeté la première pelletée de terre sur mon visage.

Je me suis débattue dans mon esprit, j'ai crié sans voix. J'ai pensé à mon fils, Louis. Mon petit garçon. Je ne pourrais plus jamais le serrer dans mes bras, sentir l'odeur de ses cheveux, entendre son rire.

C'est cette pensée, cette rage impuissante et cet amour brisé, qui m'a ancrée ici. Mon âme a refusé de partir. Mon ressentiment était trop lourd, ma peine trop profonde. Je suis devenue un fantôme, un esprit vengeur lié à cette terre maudite, attendant. Attendant que la vérité éclate.

Mon seul regret, ma seule prière silencieuse dans cette tombe de terre, était de ne pas avoir pu dire au revoir à Louis. De ne pas avoir pu lui dire une dernière fois combien je l'aimais. C'était mon seul souhait inachevé, le fil qui me retenait dans ce monde de ténèbres.

Et maintenant, tu es là, Marc. Pas pour me pleurer, pas pour chercher la justice. Tu es là pour prendre la dernière chose que je possède, un morceau de mon corps, pour la femme qui m'a tout pris. L'ironie est si cruelle qu'elle brûle plus que le feu de l'enfer.

            
            

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