Mon histoire, c'est celle d'un sacrifice total pour un homme, Marc Lambert. Quand je l'ai rencontré, son entreprise, Lambert Tech, était au bord du gouffre, un navire en perdition prêt à sombrer. Ses concurrents le dévoraient vivant, ses investisseurs le fuyaient. J'étais la seule à posséder les compétences uniques pour "ressusciter" son code source, pour réparer la faille béante qui menaçait de tout anéantir.
J'y ai cru. J'ai cru en lui, en son charisme, en ses promesses d'un avenir brillant que nous construirions ensemble. J'ai abandonné mes propres projets, mes rêves de créer ma propre start-up. J'ai travaillé jour et nuit, nourrie de café et d'espoir, pour remettre son entreprise sur pied. Je l'ai fait. J'ai transformé son échec imminent en un succès naissant. Il m'a demandé de l'épouser au milieu de nos nuits blanches, et j'ai dit oui, pensant que notre amour était aussi solide que l'empire que nous bâtissions.
Puis, la crise est arrivée. Une crise bien plus grave que la première. Nos plus grands concurrents ont lancé une OPA hostile, utilisant des méthodes illégales pour nous déstabiliser de l'intérieur. Ils nous ont piégés, Marc et moi, lors d'une fausse négociation. Quand la situation a tourné au vinaigre, quand les menaces sont devenues physiques, Marc a fait un choix. Il m'a regardée, les yeux froids et calculateurs, et m'a dit :
« Adèle, gagne du temps pour moi. Je dois sauver l'entreprise. »
Il m'a laissée derrière. Lui, l'homme pour qui j'avais tout donné, m'a lâchement abandonnée, moi et notre fils Léo qui était avec nous, aux mains de nos ennemis pour sauver sa propre peau.
Ce qui a suivi a été un cauchemar de trois jours et trois nuits. J'ai subi des humiliations que je ne peux décrire, des interrogatoires incessants, des menaces psychologiques qui ont failli me briser. Léo, mon petit garçon de cinq ans, a tout vu, tout entendu. Le stress, la peur, le spectacle de sa mère terrorisée l'ont brisé. Quand j'ai enfin réussi à m'échapper, profitant d'un instant d'inattention de mes geôliers, j'ai retrouvé mon fils changé à jamais. Il ne parlait plus, ne me regardait plus dans les yeux. Le traumatisme l'avait enfermé dans son propre monde. Les médecins ont posé un diagnostic : autisme sévère.
Pendant ce temps, Marc avait utilisé le temps que je lui avais "gagné" pour retourner la situation. Il avait dénoncé les méthodes de ses concurrents, s'était posé en victime et avait consolidé son pouvoir. Quand je l'ai retrouvé, il était au sommet de sa gloire, célébré par les médias comme un génie des affaires résilient.
Il s'est excusé, bien sûr. Il a pleuré, m'a prise dans ses bras en répétant que c'était pour le "bien de l'entreprise", que sans ce sacrifice, nous aurions tout perdu. Et moi, épuisée, brisée, folle d'inquiétude pour mon fils, je l'ai pardonné.
C'est là que ma vie de fantôme a commencé. Je suis devenue sa "femme de l'ombre". Il m'a expliqué que Léo, avec son autisme, ne devait pas être exposé publiquement.
« Pour sa sécurité, Adèle. Et pour l'image de l'entreprise. Un enfant comme lui... ce serait une distraction, une faiblesse que nos ennemis exploiteraient. »
J'ai accepté. Nous avons emménagé dans une villa isolée, loin des projecteurs, loin du monde. Pendant des années, j'ai vécu cachée, me consacrant entièrement à Léo, tandis que Marc construisait son empire, devenant un magnat de la technologie richissime et respecté. Il venait nous voir de temps en temps, jouant le rôle du père et du mari aimant pendant quelques heures avant de repartir vers sa vraie vie, celle où j'étais un secret honteux. Une vie où il avait une maîtresse, Chloé, une femme qui, elle, pouvait s'afficher à son bras.
La fin de mon monde est arrivée un mardi après-midi. Léo a été accusé d'avoir volé une tablette. Pas n'importe quelle tablette. Celle de Théo, le fils de Chloé, la maîtresse de Marc. Théo était venu passer la journée à la villa, un enfant gâté et arrogant qui n'avait cessé de provoquer Léo.
L'accusation était absurde, mais les gardes du corps de Marc, loyaux à leur maître et à sa nouvelle famille, n'ont pas cherché à comprendre. Ils ont vu mon fils, silencieux et différent, et l'ont jugé coupable. Ils l'ont attrapé. J'ai crié, j'ai supplié, j'ai tenté de m'interposer. Ils m'ont repoussée violemment. Et sous mes yeux, ils ont battu mon fils à mort.
Les quelques employés de la villa qui ont tenté de nous défendre, de dire la vérité, ont été licenciés sur-le-champ, leurs vies ruinées, menacés pour qu'ils gardent le silence.
J'ai appelé Marc, hurlant, hystérique. Il m'a répondu d'un ton las, depuis un aéroport. Il partait en vacances aux Maldives avec Chloé et Théo. Il a dit qu'il s'occuperait de ce "regrettable incident" à son retour.
Ce soir-là, alors que je veillais le corps froid de mon enfant, j'ai entendu les gardes du corps parler dans le couloir. Ils riaient. L'un d'eux a dit, en imitant la voix de Marc :
« Ce gamin était une honte de toute façon. Je suis presque soulagé que ce soit terminé. »
À cet instant, tout a volé en éclats. L'amour, le pardon, les sacrifices. Tout était un mensonge. Il ne m'avait jamais aimée. Il s'était servi de moi, de mon talent pour construire sa fortune, puis de mon silence pour la protéger. Mon fils n'était qu'un dommage collatéral, un "fardeau" dont il était enfin débarrassé.
Une rage froide, pure et dévastatrice, a remplacé mon chagrin. J'ai regardé le visage paisible de mon fils et j'ai fait une promesse. Marc Lambert m'avait tout pris. Mon amour, mes rêves, ma dignité, et maintenant mon enfant.
Très bien. Alors j'allais lui reprendre la seule chose qui comptait pour lui. J'allais reprendre ce que je lui avais donné : son succès, son empire, sa vie.
Je vais le détruire.
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