« Marc et moi, nous allons redécorer. Ton style est un peu... dépassé. Froid. Sans âme. Comme toi. »
Je me suis arrêtée et je me suis retournée pour lui faire face. J'étais calme. Étonnamment calme.
« C'est drôle que tu parles d'âme, Chloé. Il faut en avoir une pour la reconnaître chez les autres. »
Son sourire s'est figé. Elle ne s'attendait pas à ce que je réponde.
« Qu'est-ce que tu essaies de dire ? », a-t-elle sifflé.
« Rien du tout. Je trouve juste amusant qu'une femme qui a dû se contenter d'être une option de seconde zone pendant des années se prenne soudain pour le premier choix. »
La couleur a quitté son visage. Elle était furieuse. « Tu n'es qu'une petite bourgeoise prétentieuse ! Tu penses que tu es meilleure que moi parce que tu as fait des études ? Parce que tes parents t'ont tout donné ? Moi, je me suis faite toute seule ! »
« Vraiment ? », ai-je demandé, un sourcil levé. « En couchant avec des hommes mariés ? C'est une façon intéressante de se construire une carrière. »
« Espèce de... », a-t-elle commencé, cherchant ses mots.
Je l'ai coupée. « Ne te fatigue pas. Je sais déjà ce que je suis. Je suis la femme qui a transformé un petit bistrot de quartier en une chaîne de restaurants à succès. Je suis la femme dont le travail a payé cette robe que tu portes et cet immeuble dans lequel tu te pavanes. Et toi, Chloé, tu es quoi ? L'amour de jeunesse ? Une nostalgie de passage. On verra combien de temps ça dure quand la nouveauté se sera estompée et qu'il ne restera plus que... toi. »
Elle était sans voix, le visage blanc de rage. Elle a ouvert la bouche, puis l'a refermée. Pour la première fois, je l'avais mise en difficulté. J'avais touché un point sensible.
Je lui ai tourné le dos et je suis entrée dans mon ancien bureau. J'ai pris la petite boîte en carton où j'avais mis mes quelques objets personnels : une photo de mes parents, un stylo fétiche, une petite plante verte.
En sortant, je l'ai vue, toujours plantée au même endroit, me fusillant du regard. Je n'ai rien dit. J'ai juste marché vers l'ascenseur. La confrontation m'avait laissée avec un goût amer. Ce n'était pas une victoire. C'était juste... triste.
J'ai appuyé sur le bouton, et en attendant, mon esprit a vagabondé. Je me suis souvenue du jour où j'avais rencontré Marc. J'étais une jeune architecte pleine d'ambition, il était un chef passionné avec un rêve. J'ai cru en lui. J'ai mis ma carrière en pause pour l'aider, pour dessiner ses restaurants, pour gérer les chantiers, pour négocier avec les fournisseurs. Je l'ai fait par amour. J'ai cru que nous construisions quelque chose ensemble, pour nous.
Pendant des années, j'avais été son pilier, son soutien, sa confidente. J'avais sacrifié mes propres projets pour les siens. Je m'étais convaincue que son bonheur était mon bonheur. Quelle idiote j'avais été. J'avais tout misé sur un seul homme, un seul amour, et j'avais tout perdu. La vérité était là, brutale et simple : j'avais échoué. Mon mariage était un échec. Mon jugement était un échec. Mon amour était un échec.
Les portes de l'ascenseur se sont ouvertes. Au même moment, Marc est sorti de son bureau. Il avait dû entendre notre altercation.
« Léa ! », a-t-il appelé.
Je ne me suis pas retournée. Je suis entrée dans l'ascenseur.
Il s'est précipité et a bloqué la porte avec sa main. « Qu'est-ce que tu as dit à Chloé ? Elle est en larmes ! Tu ne peux pas simplement partir en paix ? Tu dois toujours tout gâcher ? »
Je l'ai regardé, lui, l'homme qui me demandait d'être discrète après m'avoir trahie et humiliée. Une vague de dégoût m'a submergée.
« Laisse-moi tranquille, Marc. »
« Non. Je veux que tu présentes tes excuses à Chloé. »
J'ai ri. Un rire sec, sans joie. « Des excuses ? Tu veux que je m'excuse ? C'est le monde à l'envers. »
« Elle est fragile, Léa. Elle a beaucoup souffert. Tu ne peux pas comprendre. »
« Oh, je comprends très bien », ai-je dit, ma voix devenant glaciale. « Je comprends que tu es faible. Je comprends que tu as besoin de quelqu'un à sauver pour te sentir fort. Et je comprends que tu as choisi la mauvaise personne à qui t'en prendre. Maintenant, enlève ta main de cette porte avant que je ne te la brise. »
Il m'a regardée, choqué par mon ton. Il a lentement retiré sa main. Les portes se sont refermées sur son visage stupéfait. Alors que l'ascenseur descendait, je me suis appuyée contre la paroi froide. La colère était partie, laissant place à un vide immense. C'était vraiment la fin. Et une nouvelle pensée a commencé à prendre forme dans mon esprit. Une pensée sombre et déterminée. Ils ne s'en tireraient pas comme ça.