J'ai atteint un grand bâtiment sobre, le siège de la plus grande fondation caritative du pays. Une fondation financée discrètement par les revenus d'une branche oubliée de la famille Dubois. Une branche dirigée par Raphaël.
Raphaël Dubois. Le frère cadet d'Antoine. L'homme que tout le monde avait écarté. Trop discret, trop intègre, pas assez intéressé par les jeux de pouvoir et les paillettes du monde du luxe. Il s'était réfugié dans la philanthropie, utilisant sa fortune pour aider les autres.
Dans ma vie antérieure, je l'avais à peine remarqué. Il était une ombre, un fantôme dans les couloirs de nos vies flamboyantes. Une partie de moi, enfouie très profondément, savait maintenant que j'avais délibérément choisi de l'ignorer. Il était le véritable élu de l'aura. Et je ne pouvais pas l'accepter, car mon cœur appartenait à son monstre de frère.
Je suis entrée dans le bâtiment. L'atmosphère était calme, studieuse. Pas de serviteurs en livrée, mais des gens passionnés travaillant à leurs bureaux. On m'a indiqué son bureau, au dernier étage.
Je l'ai trouvé sur un balcon, surplombant un petit jardin intérieur. Il était de dos, vêtu simplement, et il arrosait des plantes. Il y avait une paix autour de lui, une tranquillité qui contrastait violemment avec l'ambition fiévreuse d'Antoine.
Il s'est retourné, sentant ma présence. Ses yeux, d'un bleu profond, se sont posés sur moi. Il y eut une seconde de surprise, puis un sourire doux et sincère éclaira son visage.
"Léa. Quelle surprise. Tu ne devrais pas être à la cérémonie ?"
Sa voix était chaude, posée. Il n'y avait aucune trace de jalousie ou de ressentiment. Juste une curiosité bienveillante.
Je me suis approchée. Mon plan, ma vengeance, tout semblait soudain secondaire. Seule comptait la vérité de cet instant.
"La cérémonie peut attendre," ai-je dit, ma propre voix plus douce que je ne l'aurais cru. "C'est toi que je suis venue voir, Raphaël."
Il a posé son arrosoir, son expression devenant plus sérieuse. Il a vu quelque chose dans mes yeux, quelque chose qui n'y était pas avant.
"Est-ce que tout va bien ?"
"Non," ai-je répondu honnêtement. "Rien ne va bien depuis longtemps. Mais ça va changer. Je suis venue te demander quelque chose."
"N'importe quoi, Léa. Tu le sais."
Les mots me sont venus naturellement, comme s'ils avaient attendu toute une vie pour être prononcés.
"Raphaël, je veux que ce soit toi. Je veux que tu sois mon Prince Héritier. Je veux t'épouser."
Il est resté silencieux, choqué. Il a scruté mon visage, cherchant un signe de moquerie ou de manipulation. Il n'en a trouvé aucun. Il a seulement vu la solitude et le regret infinis qui m'habitaient.
Lentement, il a tendu la main et a effleuré ma joue. Son contact était doux, hésitant.
"Léa... tu as toujours aimé Antoine."
"J'ai aimé une illusion," ai-je répondu, une larme roulant sur ma joue. C'était la première larme que je versais depuis ma renaissance. "L'homme que j'aimais n'a jamais existé. J'ai été aveugle. Tellement aveugle. L'aura... elle ne s'est jamais trompée. C'est moi qui l'ai forcée. Dans ma vie passée, je l'ai forcée à choisir Antoine."
Je savais que je parlais d'une manière étrange, énigmatique, mais il ne m'a pas interrompue. Il a juste écouté, son regard plein d'une compassion qui me brisait le cœur.
"Elle t'a toujours choisi toi, Raphaël. C'est toi, l'homme de cœur. C'est toi, mon destin."
Pendant ce temps, à des kilomètres de là, je savais ce qui se passait. Antoine, revenu dans la salle de cérémonie, devait être en train de fulminer devant la pierre noire, accusant le monde entier d'un complot contre lui. Il priait sans doute les dieux pour que je revienne et que je "répare" son erreur, convaincu que j'étais sa chose, son outil.
Il ne savait pas encore que son outil s'était brisé et avait été reforgé.
Raphaël n'a pas répondu tout de suite. Il a simplement continué à me regarder, puis son pouce a doucement essuyé ma larme.
"Si c'est ce que tu veux," a-t-il finalement murmuré, "alors j'accepte."
Son acceptation n'était pas celle d'un homme avide de pouvoir. C'était celle d'un homme qui voyait une âme en peine et qui voulait la guérir.
À cet instant, je savais que j'avais fait le bon choix. Ma vengeance contre Antoine ne serait pas une destruction sanglante. Ce serait de construire un avenir heureux avec l'homme qu'il avait toujours méprisé.
Mais alors que je me perdais dans la douceur de cet instant, une ombre est apparue à la porte du balcon.
C'était Antoine. Son visage était tordu par la fureur. Il avait dû me suivre.
"Léa ! Qu'est-ce que tu fais ici avec lui ? Tu es à moi ! Je te l'interdis !"
Il s'avança vers nous, les poings serrés, une lueur de folie dans les yeux. Le répit avait été de courte durée. Le cauchemar recommençait.
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