Il était passionné par sa cuisine, et j'étais passionnée par la stratégie. Nous formions une bonne équipe. Il créait, je vendais. Nos soirées se passaient à discuter de menus, de plans de communication, de marges bénéficiaires. C'était notre langage d'amour.
Sa demande en mariage a été à l'image de notre relation : pragmatique. Un soir, dans notre cuisine, alors que nous dégustions un plat qu'il venait de créer, il a dit :
« On devrait se marier. Ce serait plus simple pour les impôts et pour acheter l'appartement. »
Je n'ai pas eu de papillons dans le ventre. Je n'ai pas pleuré de joie. J'ai hoché la tête.
« Tu as raison. C'est une bonne idée. »
Mes parents avaient eu un mariage passionnel, fait de cris, de larmes, de réconciliations enflammées et d'une séparation dévastatrice. J'avais grandi au milieu de ce chaos émotionnel, et je m'étais juré de ne jamais vivre ça. Je voulais du calme, de la prévisibilité, de la sécurité. Marc m'offrait tout ça. Je pensais que c'était ça, l'amour adulte. Un partenariat, un contrat basé sur la confiance et le respect mutuel.
Je ne croyais pas aux grands amours romantiques, à ces histoires qui vous consument et vous détruisent. Pour moi, l'amour, le vrai, c'était la constance. C'était le café du matin préparé par l'autre, c'était savoir que quelqu'un serait là à la fin de la journée. C'était une routine rassurante.
Nos premières années de mariage ont été exactement comme je l'avais imaginé. Paisibles. Nous avons acheté notre grand appartement avec vue sur la Seine. Son restaurant a obtenu sa deuxième étoile. Ma carrière a décollé. Nous étions le couple parfait, celui que tout le monde nous enviait. Un couple solide, sans drame, sans histoire.
Et puis, il y a eu ce dîner. Ce commentaire anodin d'un ami ivre. « Tu te souviens, Marc, de tes folies pour Élodie ? »
Cette nuit-là, après sa réponse évasive, je n'ai pas insisté. Mais une petite fissure était apparue dans la façade lisse de notre vie. J'ai commencé à remarquer des choses. La façon dont il parlait parfois d'un « passé plein d'aventures », son regard qui devenait vague quand il voyait un reportage sur une zone de conflit.
Une fois, j'ai trouvé une vieille boîte à chaussures au fond de son armoire. À l'intérieur, des photos. Des photos de lui, plus jeune, l'air insouciant, aux côtés d'une femme blonde au regard intense. Élodie. Ils étaient dans des paysages désertiques, sur des marchés bondés, l'air heureux et libre. Une vie d'aventure que je ne connaissais pas. Une vie qui n'avait rien à voir avec nos soirées calmes et nos discussions sur les plans de carrière.
Je n'ai rien dit. J'ai refermé la boîte et l'ai remise à sa place. Le nier était plus facile.
Mais quelques semaines avant qu'elle ne disparaisse, j'ai senti que quelque chose changeait. Marc devenait distant, absorbé. Je pensais que c'était la pression du restaurant ou l'approche de la naissance.
Un soir, alors que nous étions au lit, je l'ai senti se raidir à côté de moi. Il regardait son téléphone dans le noir. Je me suis penchée. Il regardait le profil Instagram d'Élodie Moreau. Des photos de Syrie. Des enfants au milieu des ruines, des soldats, la poussière et le soleil.
Je lui ai touché le bras.
« Marc. »
Il a sursauté et a éteint son téléphone.
« Quoi ? »
« Le passé doit rester dans le passé, Marc. Surtout maintenant. »
J'ai posé sa main sur mon ventre.
« Notre avenir est ici. »
Il a murmuré un « oui, bien sûr » sans conviction. Mais dans l'ombre de notre chambre, j'ai senti que je l'avais déjà perdu. Il n'était plus avec moi. Il était là-bas, dans ses souvenirs, avec elle. Et j'ai compris que notre mariage n'était pas un refuge pour lui. C'était une cage dorée. Et il cherchait la clé pour en sortir.
La nouvelle de sa disparition ne lui a pas donné la clé. Elle a fait voler la porte en éclats.