Le lendemain matin, le chaos s'est transformé en action. Marc n'a pas dormi de la nuit. Je l'ai entendu marcher, téléphoner, taper sur son ordinateur. Quand le soleil s'est levé, il est entré dans notre chambre. Il avait déjà sorti une valise.
« Léa, je dois y aller. »
Sa voix était plate, sans émotion. Il ne me regardait pas dans les yeux. Il pliait des t-shirts avec une précision mécanique, comme s'il partait pour un séminaire de cuisine.
Je me suis assise sur le bord du lit, la lourdeur de mon ventre rendant chaque mouvement difficile.
« Y aller où, Marc ? En Syrie ? Tu es fou ? »
« Il y a des gens sur place. Des contacts. Je peux aider. Je ne peux pas rester ici à ne rien faire. »
Il a dit ça comme si c'était une évidence. Comme si abandonner sa femme enceinte à une semaine de l'accouchement était la chose la plus normale du monde.
« Et nous ? Et le bébé ? J'accouche la semaine prochaine, Marc. Tu te souviens ? »
J'ai posé ma main sur mon ventre, un geste instinctif. C'était la seule arme que j'avais, la seule réalité que je pouvais lui opposer.
Il a eu un instant d'hésitation. Un éclair de culpabilité a traversé son regard.
« Je serai revenu. Je te le promets. Dès que je l'aurai retrouvée, je prends le premier avion. »
« La retrouver ? Tu n'es pas un soldat, Marc. Tu es un chef cuisinier. Qu'est-ce que tu crois que tu vas faire là-bas ? »
« Je dois le faire. Pour elle. »
Pour elle. Pas pour nous. Pas pour moi. La phrase a résonné dans le silence de la chambre. C'était un aveu. La fin de notre histoire.
Je me suis levée, lentement. Je me suis plantée devant lui, le forçant à me regarder.
« Marc, écoute-moi bien. Si tu passes cette porte, c'est fini. Tu comprends ? Il n'y aura pas de retour en arrière. Quand tu reviendras, si tu reviens, tu ne nous trouveras plus. Ni moi, ni ta fille. »
Ma voix était basse, mais ferme. Ce n'était pas une menace hystérique. C'était un contrat. Une clause de rupture.
Il m'a regardée, et pour la première fois, j'ai vu ce qu'il y avait derrière le masque du mari aimant. J'ai vu un égoïsme pur, un homme prêt à tout sacrifier pour un fantasme.
« Tu ne comprends pas, Léa. C'est Élodie. »
Comme si ce nom excusait tout.
Il a attrapé sa valise. Il s'est dirigé vers la porte. Il ne s'est pas retourné.
J'ai entendu ses pas dans le couloir, puis la porte d'entrée qui s'ouvrait.
J'ai attendu. Une partie de moi espérait encore qu'il s'arrête, qu'il réalise la folie de son geste.
Puis, la porte s'est refermée. Un claquement sec et définitif.
Le silence est tombé sur l'appartement. Un silence lourd, pesant. Je suis restée debout au milieu de la chambre, seule.
Et puis, une douleur aiguë m'a transpercé le bas du dos. Une contraction. Forte, intense. Le bébé avait décidé que c'était le moment. Comme si elle aussi avait compris qu'il n'y avait plus rien à attendre.
Je n'ai pas paniqué. Je n'ai pas pleuré. La femme pragmatique a repris le dessus. J'ai respiré profondément, comme on nous l'apprend dans les cours de préparation à l'accouchement. J'ai attrapé mon téléphone. Je n'ai pas appelé les parents de Marc. Je n'ai pas appelé les miens.
J'ai appelé Clara, ma meilleure amie.
« Clara ? C'est le moment. Tu peux venir me chercher ? Marc est parti. »
Ma voix était stable. Trop stable, peut-être. Il y a eu un silence à l'autre bout du fil, puis juste un :
« J'arrive. »
En attendant Clara, j'ai pris le sac de maternité que j'avais préparé des semaines plus tôt. J'ai vérifié une dernière fois qu'il y avait tout. Les petits pyjamas, les couches, les documents. Ma vie se résumait maintenant à ce sac et à ce qui grandissait en moi. Tout le reste n'était que du décor. Un décor qui venait de s'effondrer.
En quittant l'appartement, je n'ai pas jeté un regard en arrière. J'ai fermé la porte, comme Marc l'avait fait. Mais pour moi, ce n'était pas la fin d'une conversation. C'était le début de ma nouvelle vie.