Le lendemain, le premier jour de la nouvelle année, la maison était toujours aussi silencieuse. Alexandre n'attendit pas. Il prit son téléphone et composa un numéro qu'il connaissait par cœur.
« Marc ? C'est Alexandre. »
La voix de son vieil ami et ancien associé éclata à l'autre bout du fil, chaleureuse et pleine d'énergie.
« Alex ! Bonne année ! Comment tu vas ? Je n'osais pas t'appeler, je sais que tu es... occupé. »
Le mot "occupé" était un euphémisme poli pour "emprisonné".
« J'ai besoin de te voir, Marc. »
« Dis-moi où et quand. Je suis là. »
Ils se donnèrent rendez-vous dans un petit café du Marais, un de leurs anciens repaires. Quand Marc vit Alexandre arriver, le bras en écharpe, le visage amaigri, il se leva d'un bond et le serra dans ses bras, prudemment.
« Merde, Alex... Qu'est-ce qui t'est arrivé ? »
Alexandre raconta tout, sans fard, sans se plaindre. L'accident, la main, le refus de Chloé pour les 3000 euros, la montre à 50 000 euros, le spectacle de drones.
Marc l'écouta en silence, son visage se durcissant de plus en plus. Quand Alexandre eut fini, Marc frappa doucement du poing sur la table.
« Cette femme... Je te l'avais dit, Alex. Je te l'avais dit dès le début. Elle ne t'a jamais mérité. »
Le serveur arriva. Marc commanda deux cafés et des croissants. Comme toujours, quand ils se voyaient, Marc payait, sachant pertinemment qu'Alexandre n'avait pas d'argent. Il ne le faisait jamais remarquer, c'était juste naturel, un geste d'amitié pure.
« Alors, qu'est-ce que tu vas faire ? » demanda Marc.
Alexandre le regarda droit dans les yeux.
« Je veux recommencer à travailler. Je veux mon indépendance. Je veux ma vie. »
Un immense sourire illumina le visage de Marc.
« Enfin ! J'attendais d'entendre ça depuis trois ans ! Tu ne peux pas savoir à quel point je suis heureux ! »
Il se pencha en avant, l'excitation brillant dans ses yeux.
« Tu te souviens du projet à Singapour ? Le concours qu'on voulait faire avant que tu... arrêtes tout ? Eh bien, ils relancent un projet similaire. Un complexe écologique, ultra-moderne. C'est exactement ton domaine. Le cabinet a besoin d'un chef de projet pour monter une équipe et partir là-bas. »
Alexandre sentit une étincelle s'allumer en lui, une sensation qu'il n'avait pas ressentie depuis des années. L'ambition.
Marc avait été son partenaire dans leur petit cabinet d'architecture. Ils étaient sur le point de percer quand Alexandre avait rencontré Chloé. Elle l'avait convaincu que son talent à elle était plus "bankable" et qu'il devait la soutenir. Il avait vendu ses parts à Marc et s'était effacé. Marc l'avait supplié de ne pas le faire. "Elle va te bouffer tout cru, Alex. Ton talent, ton âme. Ne fais pas ça." Il n'avait pas écouté.
« Singapour... » répéta Alexandre, le mot sonnant comme une promesse.
« C'est un nouveau départ, » dit Marc avec ferveur. « Loin d'elle, loin de tout ça. Tu auras une nouvelle équipe, un nouveau projet, une nouvelle vie. Dis oui, Alex. S'il te plaît, dis oui. »
Alexandre regarda sa main droite, celle qui était abîmée, puis il regarda son ami, son soutien indéfectible.
« J'ai besoin de me préparer. Je dois apprendre de nouveaux logiciels, me remettre à niveau. Et ma main... »
« On s'en fiche de ta main gauche ou droite ! C'est ton cerveau qu'on veut ! On te donnera tout ce dont tu as besoin. Un assistant, le meilleur matériel. On s'occupera de tout. »
Alexandre prit une profonde inspiration. C'était vertigineux, terrifiant, mais incroyablement excitant.
« D'accord, » dit-il, sa voix plus ferme qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. « J'accepte. »
Marc laissa échapper un cri de joie qui fit se retourner plusieurs clients. Il se leva et serra de nouveau Alexandre dans ses bras.
« C'est le meilleur jour de l'année ! »
En quittant le café, Alexandre se sentait plus léger. Pour la première fois, il avait un plan, une direction qui n'était pas dictée par Chloé. Un chemin qui le menait loin d'elle.
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