Renaissance d'un Mari Trompé
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Chapitre 1

Alexandre Dubois frottait le plan de travail en marbre avec une concentration presque maniaque, le parfum de citron et de thym du poulet rôtissant dans le four emplissait la cuisine spacieuse. C'était son domaine, un sanctuaire de verre et d'acier qu'il avait lui-même conçu avant de mettre sa carrière d'architecte entre parenthèses. Pour Chloé. Tout était toujours pour Chloé.

Il jeta un œil à sa montre, il serait bientôt vingt heures, et Chloé, sa femme, rentrerait bientôt de sa galerie d'art. Elle aimait que tout soit parfait, que la maison sente bon, que le dîner soit prêt, que son "homme au foyer" soit là pour l'accueillir. C'est le rôle qu'il avait accepté, abandonnant ses propres ambitions pour soutenir la sienne. Il était fou amoureux, ou du moins, il l'avait été.

Son téléphone vibra sur le comptoir, c'était un message de Chloé.

« N'oublie pas le vin que je t'ai demandé. Le Château Margaux 2015. Antoine passe dîner ce soir. »

Alexandre sentit une légère crispation dans son estomac. Antoine, l'ami d'enfance, l'artiste "branché" fraîchement revenu de New York, était une ombre constante dans leur vie. Il consulta rapidement le prix de la bouteille en ligne, plus de 800 euros. Cela dépassait de loin la règle absurde que Chloé lui avait imposée : toute dépense supérieure à 100 euros devait être soumise à son approbation.

Cette règle était née de sa paranoïa, une peur panique héritée de sa famille d'artistes renommés mais fauchée. Elle était obsédée par l'idée que les hommes, y compris lui, ne s'intéressaient qu'à sa fortune potentielle, à l'argent qu'elle n'avait pas encore mais qu'elle était déterminée à gagner.

Il lui envoya un message.

« Chloé, la bouteille coûte plus de 800 euros. C'est bien au-dessus de la limite. »

La réponse fut instantanée et glaciale.

« C'est pour Antoine. C'est une dépense professionnelle. Achète-la. »

Pas de s'il te plaît, pas de merci. Juste un ordre. Alexandre soupira, enfila sa veste et se dirigea vers son scooter. Il n'avait même plus de voiture, Chloé avait jugé que c'était une dépense inutile pour un homme qui restait à la maison.

La pluie commençait à tomber, une bruine fine et pénétrante qui rendait les pavés parisiens glissants. Il acheta le vin, le rangea soigneusement dans le coffre de son scooter et prit le chemin du retour. À un carrefour, une voiture brûla un feu rouge, le conducteur distrait par son téléphone. Alexandre freina brusquement, le scooter dérapa sur les pavés mouillés.

Le monde bascula. Il sentit un choc violent, puis une douleur fulgurante dans sa main droite, celle avec laquelle il dessinait, celle qui avait autrefois esquissé des plans de bâtiments magnifiques. Puis, plus rien.

Quand il se réveilla, l'odeur aseptisée de l'hôpital avait remplacé celle du thym et du citron. Un médecin se tenait à son chevet, le visage grave.

« Monsieur Dubois, vous avez une fracture complexe du poignet et de plusieurs métacarpiens. Votre main droite. Il faut opérer d'urgence pour éviter des séquelles permanentes. »

« Combien ça coûte ? » demanda Alexandre, la voix pâteuse.

« L'intervention, avec les frais d'hospitalisation, s'élèvera à environ 3000 euros, après la prise en charge de la mutuelle. »

3000 euros. La somme lui parut astronomique. Il n'avait pas un centime à lui, son compte en banque était un simple compte de passage pour les dépenses du foyer, contrôlé par Chloé. Il prit son téléphone de sa main gauche valide et appela sa femme.

« Chloé, j'ai eu un accident de scooter. »

Il y eut un silence, puis elle demanda, d'un ton agacé.

« Le vin ? Il n'est pas cassé, j'espère ? »

Alexandre ferma les yeux.

« Non, le vin va bien. Mais ma main est cassée. J'ai besoin d'une opération urgente, ça coûte 3000 euros. »

Le ton de Chloé devint immédiatement hostile, tranchant comme du verre brisé.

« 3000 euros ? Tu plaisantes ? Sais-tu que 3000 euros représentent le salaire d'un mois pour beaucoup de gens ? Je ne gagne pas de l'argent pour que tu me siphonne ! »

« Chloé, c'est ma main... le médecin dit que c'est urgent. »

« Il y a toujours des solutions moins chères. Vois avec l'hôpital public, attends. Je ne vais pas sortir 3000 euros comme ça pour une simple chute. Fais attention la prochaine fois. Antoine arrive, je ne peux pas te parler. »

Elle raccrocha.

Le mot "siphonner" résonna dans le silence de la chambre. C'était son mot préféré, celui qu'elle utilisait pour le rabaisser, pour lui rappeler sa dépendance. L'opération fut retardée. Quand elle eut finalement lieu, des jours plus tard, grâce à un arrangement avec l'hôpital, le chirurgien fut clair : il garderait des séquelles. Une raideur, une perte de sensibilité. Sa main d'architecte ne serait plus jamais la même.

Quelques jours plus tard, en sortant de l'hôpital, le bras en écharpe, il ouvrit Instagram par réflexe. La première publication qui apparut sur son fil le figea sur place. C'était une photo postée par Antoine. On y voyait son poignet, orné d'une montre de luxe, une Patek Philippe rutilante. Alexandre, qui avait un jour rêvé de s'en offrir une avec son premier gros contrat, en connaissait la valeur : 50 000 euros.

La légende sous la photo était écrite en lettres joyeuses.

« Ma petite Chloé est toujours aussi généreuse, offrant le meilleur à son Antoine préféré ! Merci pour ce cadeau de retour incroyable ! »

Alexandre fixa l'écran. 50 000 euros pour un cadeau. 3000 euros refusés pour sauver sa main. Le calcul était simple, brutal, définitif. Il ne sentit pas la colère habituelle, cette rage impuissante qui le rongeait chaque fois qu'Antoine était dans le tableau. Il ne sentit rien. Juste un vide immense, un silence assourdissant dans son cœur.

Son pouce, mû par une volonté nouvelle et étrangère, se déplaça sur l'écran. Il cliqua sur le petit cœur sous la photo. Le "like" apparut. Puis, il tapa un commentaire, lentement, de sa main gauche.

« C'est super, restez ensemble pour toujours. »

Il envoya le message, rangea son téléphone et se mit à marcher, sans but, dans les rues froides de Paris. Pour la première fois depuis des années, il ne se demandait pas où était Chloé, ni ce qu'elle faisait. Il se demandait seulement où lui, Alexandre Dubois, allait aller.

Quand Chloé rentra tard cette nuit-là, elle le trouva assis dans le salon obscur.

« Tu as vu le commentaire que tu as laissé ? » demanda-t-elle, une pointe d'agressivité dans la voix, déçue de ne pas avoir provoqué la crise de jalousie escomptée. « C'est quoi ce sarcasme ? Tu essayes de me faire passer pour quoi ? »

Alexandre tourna la tête vers elle, son visage était calme, presque serein.

« Ce n'est pas du sarcasme, Chloé. Je le pense vraiment. Vous allez très bien ensemble. »

Elle le dévisagea, déconcertée par ce calme inattendu. Elle était habituée à ses explosions, à ses supplications, à sa jalousie qui, au fond, la rassurait. Ce détachement était nouveau, et il l'effrayait.

« Tu es bizarre depuis ton accident, » dit-elle en guise de reproche.

« Je vais bien, » répondit-il. « Je suis juste fatigué. »

Il se leva et se dirigea vers la chambre d'amis, où il dormait depuis sa sortie de l'hôpital. Il repensait à toutes les fois où il s'était battu pour elle, pour leur couple, pour une miette d'attention. Il avait supporté les humiliations, le contrôle, la présence constante d'Antoine. Il avait cru que c'était de l'amour. Maintenant, il voyait la vérité. Ce n'était que de la dépendance. Et il était guéri.

Chloé l'appela depuis le couloir, sa voix mêlée d'impatience et d'une pointe d'inquiétude feinte.

« Le médecin a dit que tu devais faire de la rééducation. Je t'ai pris un rendez-vous pour demain matin. Je dois aller à un vernissage avec Antoine, mais je t'enverrai un VTC. »

Elle ne lui demandait même pas comment il se sentait. Elle organisait sa convalescence comme elle organisait le reste de sa vie : de loin, et en fonction de son propre emploi du temps.

« D'accord, » dit-il simplement.

Plus tard dans la nuit, il l'entendit rire au téléphone dans le salon. Un rire cristallin et joyeux, le rire qu'elle réservait à Antoine. Elle lui disait qu'elle avait hâte d'être au lendemain, qu'elle avait préparé une surprise pour lui.

Alexandre resta allongé dans le noir, le bras douloureux posé sur sa poitrine. Il attendit les larmes, celles qui venaient si facilement avant. Mais rien ne vint. Il était comme un puits asséché, vidé de toute émotion. Il n'y avait plus de tristesse, plus de colère. Juste le froid et le silence.

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