Je me souviens encore de l'expression d'Antoine. Lui, d'ordinaire si calme, si maître de lui, avait perdu toute contenance. Il a couru après ma voiture, a frappé à la vitre. Il pleurait, ses yeux étaient rouges, il me suppliait de rester.
Il s'est même agenouillé sur le sol mouillé par la pluie.
Je n'ai ressenti aucune pitié. J'ai baissé la vitre, juste assez pour lui jeter un autre dossier au visage. Un dossier médical.
"J'ai avorté."
Ma voix était froide, sans aucune émotion.
"Ne me dérange plus."
Puis, j'ai demandé au chauffeur de démarrer, le laissant là, à genoux sous la pluie, un homme brisé.
Voilà ce que j'ai fait. J'ai joué mon rôle de méchante à la perfection.
Cinq ans plus tard.
Je suis allongée sur un transat, sur une plage privée d'une île magnifique. Le soleil me chauffe la peau. À côté de moi, un jeune homme musclé me masse les épaules avec de l'huile de monoï. La vie est belle.
Je n'ai plus jamais pensé à Antoine. J'ai profité de l'argent, j'ai voyagé, j'ai vécu sans contraintes. J'étais enfin libre.
C'est alors qu'un écran bleu, translucide, est apparu devant mes yeux. Personne d'autre ne semblait le voir.
[Hôte, la relation des protagonistes est instable.]
Une voix mécanique, sans âme, a résonné directement dans ma tête.
[Veuillez la réparer dans un délai d'un mois, sinon vous serez immédiatement éliminée.]
Je me suis redressée d'un coup, faisant sursauter mon compagnon du moment.
Le "Système". J'avais presque oublié son existence. C'est lui qui m'avait forcée à jouer la méchante, à détruire Antoine, pour accomplir une "mission". Une fois la mission terminée, il m'avait laissée tranquille, avec une belle fortune en récompense. Je pensais en avoir fini avec lui.
Apparemment, non.
Les protagonistes ? Il ne pouvait s'agir que d'Antoine Lefevre et de l'héroïne "officielle" de l'histoire, une jeune artiste nommée Chloé Martin.
Je me suis laissée retomber sur le transat en soupirant.
"Réparer leur relation ?" ai-je murmuré pour moi-même, un sourire sarcastique aux lèvres. "Après tout ce que je lui ai fait, tu veux que je retourne le voir pour jouer les entremetteuses ? C'est une blague ? Je dois aller me faire tuer ?"
Le Système n'a pas répondu. L'écran bleu a simplement clignoté, affichant un compte à rebours : 30 jours, 00 heures, 00 minutes.
L'élimination. Je savais ce que ça voulait dire. Ce n'était pas une menace en l'air. Le Système avait le pouvoir de me faire disparaître, purement et simplement.
Je n'avais pas le choix.
Je me suis levée, j'ai laissé un baiser d'adieu sur la joue du jeune homme et je suis partie faire mes valises. Mon corps tremblait légèrement, pas de peur, mais de rage. Cinq ans de paix, balayés en un instant.
Je devais retourner à Paris.
Je devais revoir Antoine Lefevre.
L'homme que j'avais détruit. L'homme qui, si j'en croyais les magazines people, me haïssait plus que tout au monde. En y pensant, une image m'est revenue en tête : son visage dévasté, ses yeux rougis par les larmes à travers la vitre de la voiture.
Cette fois, s'il me voyait, il ne se mettrait probablement pas à genoux.
Il me tuerait, sans aucun doute.
Quelques jours plus tard, j'étais dans une galerie d'art à Paris. C'était le vernissage d'une exposition très attendue. Le champagne coulait à flots, les gens du monde de l'art discutaient avec animation.
Je l'ai vu de l'autre côté de la salle.
Antoine.
Cinq ans avaient passé, mais il était toujours aussi impressionnant. Plus encore, peut-être. Il portait un costume sombre, parfaitement coupé, qui mettait en valeur sa carrure. Mais son visage avait changé. Il n'y avait plus cette douceur, cette chaleur que je lui connaissais. Ses traits étaient plus durs, sa mâchoire plus serrée.
Et son regard... Il était devenu froid. Glacial.
Il n'était plus le même homme. J'avais brisé quelque chose en lui, et ça se voyait.