Le lendemain, il y avait un cocktail organisé par le département de design pour rencontrer des professionnels de l'industrie. Ma mère m'avait poussée à y aller.
« Tu dois y aller pour toi, Estelle. Montre-leur ton travail. Oublie ce garçon. »
J'y suis allée à contrecœur. Je me suis installée dans un coin, mon portfolio posé sur une petite table, espérant passer inaperçue. Mais bien sûr, ils sont arrivés. Antoine et Chloé. Main dans la main.
Antoine m'a vue. Il a murmuré quelque chose à l'oreille de Chloé, puis ils se sont dirigés vers moi. Un mauvais pressentiment m'a envahi l'estomac.
« Estelle, » a commencé Antoine d'un ton faussement enjoué. « Je te présente officiellement Chloé. Chloé, voici Estelle, une vieille amie. »
Vieille amie. Le mot m'a fait l'effet d'une claque. Chloé m'a souri, un sourire de prédatrice.
« Enchantée. Antoine m'a beaucoup parlé de toi. Il m'a dit que tu étais... très douée pour la couture. »
Le mot "couture" était prononcé avec une pointe de mépris, comme si elle parlait d'un passe-temps de grand-mère.
« Je suis designer de mode », ai-je corrigé, la voix sèche.
Antoine a posé sa main sur mon portfolio.
« Justement, Chloé cherche quelqu'un pour faire quelques retouches sur ses robes. Elle a tellement de partenariats, tu sais. Ce serait une bonne expérience pour toi. Tu pourrais lui faire ça gratuitement, pour te faire la main ? »
J'étais sidérée. Il n'avait aucune honte. Me demander de devenir la petite couturière gratuite de sa nouvelle copine, après tout ce qu'il m'avait fait.
« Non, merci. Je ne suis pas disponible », ai-je répondu, essayant de rester polie. Je voulais juste qu'ils partent.
Le sourire de Chloé s'est effacé.
« Oh. C'est dommage. Je pensais qu'on pourrait s'entraider. »
Elle a attrapé une coupe de champagne sur le plateau d'un serveur qui passait. Puis, avec un mouvement qui semblait parfaitement accidentel, elle a trébuché contre la table. La coupe de champagne s'est renversée, vidant son contenu glacé et collant sur tout mon portfolio. Mes dessins, mes croquis, des mois de travail, se sont mis à baver, les couleurs se mélangeant en une bouillie informe.
« Oh mon Dieu ! Je suis tellement désolée ! » s'est-elle exclamée, la main devant la bouche, mais ses yeux pétillaient de malice. « Je suis si maladroite ! »
J'ai regardé mes œuvres détruites, le cœur serré. Je n'ai même pas eu le temps de réagir qu'Antoine s'est tourné vers moi, le visage déformé par la colère.
« Mais enfin, Estelle, regarde ce que tu as fait ! Tu ne pouvais pas faire attention ? Tu as mis ta table en plein milieu du passage ! Maintenant, la robe de Chloé est tachée ! »
Il n'a même pas jeté un regard à mon portfolio ruiné. Il s'est précipité sur Chloé, tamponnant sa robe avec une serviette, comme si elle était la seule victime.
« Ça va, mon amour ? Cette fille est d'une négligence... »
C'en était trop. La politesse, la retenue, tout a volé en éclats. Je me suis levée d'un bond, mes mains tremblaient de rage.
« Moi ? C'est de ma faute ? » ma voix est sortie plus forte que prévu, attirant l'attention des gens autour de nous. « Tu es aveugle ou tu es juste stupide, Antoine ? Elle l'a fait exprès ! Et toi, tu ne vois rien d'autre que ta petite princesse parfaite ! Mon travail, des mois de travail, tu t'en fiches complètement ! »
Le silence s'est fait autour de nous. Antoine m'a regardée, choqué que j'ose lui répondre. Son visage est devenu rouge de fureur.
« Baisse d'un ton, Estelle. Tu te donnes en spectacle. »
« Non, Antoine. C'est toi qui donnes un spectacle depuis des mois. Et j'en ai assez d'être ta spectatrice silencieuse. »
Pour la première fois, je ne voyais plus en lui l'amour de ma vie. Je voyais un étranger. Un monstre égoïste et cruel. Et je n'avais plus peur de lui.