La porte s'est ouverte et il est entré, un grand sourire sur les lèvres, un sac en papier de notre boulangerie préférée à la main.
« J'ai pris des croissants pour fêter ça ! »
Il a posé le sac sur la table, juste à côté de mon téléphone. J'ai rapidement retourné l'appareil, l'écran contre le bois.
« Fêter quoi ? » ai-je demandé, essayant de garder une voix normale.
« Notre avenir, chérie. Ta décision. L'école de design de Lyon, c'est parfait. C'est une bonne école, et surtout, on ne sera pas séparés. Paris, c'est trop grand, trop cher, trop loin. Ici, on peut construire notre vie tranquillement. »
Il parlait avec cet enthousiasme que je connaissais si bien, cet enthousiasme qui m'avait toujours convaincue. Il a sorti un croissant, me l'a tendu. Ses yeux brillaient. Il semblait si sincère. Mais le message anonyme résonnait dans ma tête.
Il m'a prise dans ses bras, a embrassé mon front.
« Je sais que c'est un sacrifice pour toi, de renoncer à l'Institut Parisien des Arts. Mais tu comprends, n'est-ce pas ? Mes parents ont des difficultés en ce moment. On ne peut pas se permettre les folies de la capitale. »
Ses difficultés. C'était l'argument final, celui qui m'avait fait plier. La famille Chevalier, si riche, si puissante, traversant une mauvaise passe. Antoine me l'avait expliqué avec des larmes dans la voix, me faisant jurer de n'en parler à personne. C'était notre secret, le fardeau que nous portions ensemble.
« Bien sûr que je comprends, Antoine. »
Mais pour la première fois, une petite voix dans ma tête me disait que quelque chose clochait. L'Institut Parisien des Arts était mon rêve absolu, la meilleure école du pays. J'avais travaillé comme une folle pour préparer mon dossier, mes professeurs disaient que j'avais toutes mes chances. Et puis Antoine avait commencé à parler de Lyon. De nous. De l'avenir.
J'ai repensé à sa nouvelle voiture, offerte par son père pour ses vingt ans il y a deux mois. J'ai repensé à sa montre de luxe, son "petit cadeau personnel". Les "difficultés financières" ne collaient pas avec tout ça.
« Mais... tes parents, ils ne pourraient pas... juste un petit effort ? » ai-je tenté, la voix tremblante.
Son visage s'est fermé. La chaleur a disparu de ses yeux, remplacée par une lueur froide.
« Estelle, tu ne me fais pas confiance ? Tu penses que je te mens ? Après tout ce qu'on a vécu, tu doutes de moi ? Je fais ça pour nous. Pour notre couple. »
La culpabilité m'a envahie, chassant les doutes. Il avait raison. Comment pouvais-je penser ça de lui ? C'était Antoine. Mon roc, mon premier amour, mon meilleur ami.
« Non, non, pardon. Tu as raison. C'est juste le stress. »
Il a souri de nouveau, mais ce n'était plus le même sourire. Il y avait une pointe de triomphe dedans. Il s'est approché de mon ordinateur portable, ouvert sur la page d'inscription de l'école de Lyon.
« Alors, on finalise ? La date limite, c'est ce soir. »
Il n'a pas attendu ma réponse. Sa main s'est posée sur la mienne, sur la souris. Il a guidé mon doigt sur le bouton "Soumettre". Un clic. C'était fait. Mon rêve parisien venait de s'envoler.
« Voilà, a-t-il dit, satisfait. C'est la meilleure décision pour nous. »
Il m'a serré fort contre lui. Je me suis sentie vide. Ce soir-là, alors qu'il dormait paisiblement à côté de moi, je n'ai pas pu trouver le sommeil. J'ai pris mon téléphone et, machinalement, j'ai ouvert Instagram. Je suis tombée sur le profil de la mère d'Antoine. Elle postait rarement, mais sa dernière publication datait de la veille.
Une photo. Toute la famille Chevalier, souriante, sur le pont d'un yacht immense, en plein milieu de la Méditerranée. La légende disait : « On fête la signature du plus gros contrat de l'histoire de Chevalier & Fils ! À notre avenir radieux ! »
Le téléphone m'a glissé des mains. J'ai regardé Antoine, son visage d'ange endormi. Le message anonyme n'était pas une blague. C'était la vérité. Et la vérité, c'est qu'il m'avait menti, manipulée, et qu'il venait de saboter mon avenir. Pour lui.