Le reste de la répétition fut une torture. Amélie donnait ses instructions d'une voix mécanique, son esprit ailleurs. Chaque fois que son regard croisait celui de Marc, debout près de l'autel avec Chloé, la douleur dans sa poitrine se ravivait.
Après la fin, alors que les invités commençaient à partir, Chloé s'approcha d'elle, le visage empreint d'une fausse tristesse.
"Amélie, je suis vraiment désolée," dit-elle, sa voix douce et calculée. "Je ne voulais pas causer de problèmes. Marc m'a dit que ce projet était important pour vous."
Elle avait l'air si sincère, si vulnérable. Mais Amélie voyait clair dans son jeu. C'était une performance.
Marc arriva juste derrière elle, posant une main protectrice sur son bras.
"Laisse, Chloé. Ce n'est pas ta faute."
Il se tourna vers Amélie, un air de reproche dans les yeux.
"Tu pourrais être un peu plus compréhensive. Chloé traverse une période difficile."
Amélie eut un rire sans joie.
"Une période difficile ? Laquelle ? Celle où elle s'approprie les rêves des autres ?"
Chloé fit un pas en arrière, comme si elle avait été frappée. Ses yeux s'emplirent de larmes.
"Je... je ne voulais pas," sanglota-t-elle. "C'est juste que... c'est si beau. Tout ce que vous avez imaginé. C'est le mariage dont j'ai toujours rêvé. Vous avez tellement de talent."
C'était habile. Le compliment glissé au milieu des larmes, conçu pour désarmer, pour la faire passer pour la méchante. Amélie sentit la nausée monter. Cette femme était une manipulatrice de première classe. Et Marc, aveugle, tombait droit dans le panneau.
"Ce n'est pas juste 'un projet', Chloé," dit Amélie, sa voix glaciale. "C'est ma vie. Mes espoirs."
"Je sais, je sais," murmura Chloé en s'essuyant une larme inexistante. "Marc m'a dit que vous étiez une grande romantique."
Marc regarda Chloé avec une tendresse qui tordit les entrailles d'Amélie. Il y avait quelque chose dans son regard, une familiarité, une complicité qui n'avait rien à voir avec une simple amitié. C'était un regard qu'il ne lui avait pas adressé à elle depuis des années.
"Chloé et moi, on se connaît depuis longtemps," dit Marc, comme pour s'excuser. "On a partagé beaucoup de choses. C'est une vieille flamme, si tu veux."
Vieille flamme. Les mots résonnèrent dans la tête d'Amélie. Tout s'éclairait d'un coup. La facilité avec laquelle il avait accepté, la façon dont il la défendait, la demande indécente. Ce n'était pas un service rendu à une amie. C'était autre chose.
"Je dois y aller," dit Amélie, incapable d'en supporter plus.
Elle se tourna pour partir, mais Leila l'intercepta, le visage inquiet.
"Amélie, les parents de la mariée veulent revoir le plan de table."
Le devoir professionnel. Amélie ferma les yeux un instant, rassemblant ses forces. Elle se retourna et força un sourire.
"Bien sûr. Montrez-moi."
Pendant les vingt minutes qui suivirent, elle discuta des placements, des allergies alimentaires, des tensions familiales à éviter. Elle le fit avec le même professionnalisme impeccable que toujours, mais chaque mot était un effort surhumain. Elle sentait le regard de Marc et Chloé sur son dos. Elle répétait les noms, déplaçait les cartons sur le plan, encore et encore, tandis que la douleur dans sa poitrine devenait une présence constante et lancinante.
Quand elle eut enfin terminé, elle se dirigea vers la sortie sans un mot pour Marc. Il ne la retint pas. Il ne semblait même pas avoir remarqué à quel point elle était pâle, ni la façon dont elle pressait discrètement sa main contre son sternum. Il était trop occupé à raccompagner Chloé à sa voiture, écoutant attentivement ses plaintes sur le traiteur qu'elle n'aimait pas.
Amélie sortit de l'église et respira l'air frais du soir. L'illusion était brisée. Sept ans de sa vie venaient de s'évaporer devant un autel qui n'était pas le sien, avec un homme qui n'était peut-être plus le sien, et une femme qui venait de lui voler bien plus qu'un simple dossier sur un ordinateur. Elle se sentait seule, complètement et irrémédiablement seule. Et la douleur, cette satanée douleur dans sa poitrine, ne la quittait pas.