J'ai lu la phrase plusieurs fois, laissant les mots s'imprégner. J'avais gagné. Non seulement j'avais gagné, mais la lettre mentionnait aussi une bourse d'études complète pour un master spécialisé à l'École Nationale Supérieure d'Architecture de Paris-Belleville, l'une des meilleures du pays.
C'était le rêve que l'accident m'avait volé. Et je l'avais récupéré.
Un cri de joie m'a échappé. Mes parents, qui étaient dans le salon, sont accourus. Quand je leur ai montré la lettre, ma mère a fondu en larmes et mon père m'a soulevée de terre dans une étreinte joyeuse.
"Je suis si fier de toi, ma chérie ! Si fier !"
"On va fêter ça ce soir ! J'appelle tout le monde !" s'est exclamée ma mère, déjà au téléphone.
La soirée a été merveilleuse. La maison était remplie d'amis et de famille, tous venus me féliciter. Le champagne coulait à flots, les rires fusaient. Je me sentais légère, heureuse, comme je ne l'avais pas été depuis... eh bien, depuis une éternité.
Pourtant, une petite question me taraudait. Dans ma vie passée, j'avais été finaliste de ce même concours. Marc m'avait toujours dit que j'avais perdu de justesse face à un projet "plus mature". Ce projet, c'était celui de Sophie Duval. Étrange coïncidence. À l'époque, j'avais mis ça sur le compte de la malchance. Aujourd'hui, un doute commençait à naître.
La sonnette a retenti, coupant court à mes pensées. Mon père est allé ouvrir.
Marc Bernard se tenait sur le pas de la porte, un grand sourire hypocrite sur le visage et un bouquet de fleurs à la main.
Le silence est tombé dans la pièce. Tous les regards se sont tournés vers lui.
"Bonsoir tout le monde. Je suis venu féliciter Claire pour son immense succès", a-t-il dit d'une voix charmeuse, comme si de rien n'était.
Il s'est approché de moi. Je n'ai pas bougé.
"Félicitations, Claire. Je savais que tu avais ce talent en toi."
"Que fais-tu ici, Marc ?" ai-je demandé, ma voix glaciale.
Il a ignoré ma question et s'est tourné vers mes parents.
"C'est une opportunité incroyable pour elle. Paris... C'est fantastique. Cependant, j'ai une petite proposition à faire, quelque chose qui pourrait bénéficier à tout le monde."
Mon estomac s'est noué. Je savais ce qui allait arriver.
"Sophie Duval, une architecte incroyablement douée, a été classée deuxième", a-t-il commencé. "Elle a une famille à charge, des difficultés financières... Ce serait un geste d'une générosité immense si Claire lui cédait sa place pour la bourse. Claire est jeune, elle aura d'autres opportunités. Pour Sophie, c'est peut-être sa seule chance."
Un silence de mort a accueilli sa proposition. Mes parents le regardaient comme s'il avait perdu la tête.
Et soudain, tout est devenu clair. C'était comme si un voile se levait.
Dans ma vie passée. Il m'avait fait le même coup. Après l'accident, alors que j'étais clouée sur un lit d'hôpital, il était venu me voir. Il m'avait dit que Sophie, la "pauvre" Sophie, méritait plus que moi une reconnaissance que j'avais déjà obtenue par mon "héroïsme". J'étais faible, confuse, et j'avais accepté. J'avais cru faire une bonne action.
La vérité, c'est qu'il m'avait volé mon avenir pour le donner à sa maîtresse. Et il essayait de recommencer.
"Tu as fait exactement la même chose la dernière fois", ai-je dit, ma voix vibrant de rage contenue.
Marc a tressailli. Son sourire s'est effacé.
"De quoi tu parles ?"
"La dernière fois, tu m'as manipulée pour que je renonce. Tu m'as dit que j'étais une héroïne et que je n'avais plus besoin de ça. Tu as utilisé ma faiblesse pour me dépouiller de mon avenir et l'offrir à Sophie. Tu as volé mon travail, Marc."
Il est devenu blanc comme un linge.
"Je ne vois pas de quoi tu parles. J'essaie juste d'être magnanime."
"Magnanime ? Ou manipulateur ?" ai-je rétorqué, haussant la voix. "Tu oses venir chez mes parents, le soir de ma victoire, pour me demander de tout donner à ta chère Sophie ? Tu n'as donc aucune honte ?"
Mes parents, comprenant enfin la situation, se sont interposés.
"Marc, je crois qu'il est temps pour toi de partir", a dit mon père, sa voix dure comme de la pierre.
"Mais... je pensais juste..."
"Sors d'ici", ai-je coupé. "Sors de ma vie. Cette bourse est à moi. Cet avenir est à moi. Et ni toi, ni Sophie, ne me le volerez une seconde fois."
Il m'a regardée, un mélange de choc et de fureur dans les yeux, avant de faire demi-tour et de partir sans un mot de plus, laissant le bouquet de fleurs tomber sur le sol.
La porte s'est refermée derrière lui. J'ai pris une profonde inspiration. C'était une autre victoire. Une victoire amère, mais une victoire quand même. Je protégeais mon avenir, pièce par pièce.