Chapitre 1

Ma tête a heurté le volant avec une force terrible, et la dernière chose que j'ai vue était le pare-brise se fissurer en une toile d'araignée. Puis, le noir complet. Un silence de mort.

Je me suis souvenue de ma vie passée, une longue et misérable blague. J'étais Claire Dubois, une architecte pleine d'avenir, fiancée à Marc Bernard, un urbaniste tout aussi prometteur. Nous étions le couple parfait aux yeux de tous.

Ce jour-là, une voiture folle a surgi de nulle part. Sans une seconde de réflexion, je me suis jetée devant Marc. Je l'ai poussé, et la voiture m'a percutée de plein fouet. Le son de mes os se brisant est un souvenir qui ne me quittera jamais.

Je me suis réveillée à l'hôpital, le corps en miettes. Ma main droite, ma main dominante, celle avec laquelle je dessinais des plans et donnais vie à mes idées, était devenue inutile. Marc, lui, s'en était sorti avec quelques égratignures. Un miracle, disaient les gens.

Il est devenu un héros malgré lui, l'homme pour qui sa fiancée avait tout sacrifié. La pression sociale était immense. Les journaux locaux parlaient de mon "acte héroïque", de notre "amour indestructible". Comment pouvait-il me quitter après ça ? Il ne le pouvait pas.

Alors, il m'a épousée.

Ce mariage a été le début de ma descente aux enfers. L'amour n'a jamais fait partie de notre contrat. Il était contraint, piégé par les circonstances et l'opinion publique.

Un soir, des années plus tard, je l'ai entendu au téléphone avec un ami, complètement ivre. Sa voix était pleine d'un venin que je ne lui connaissais pas en public.

"Si j'avais su que je serais lié à Claire pour toujours, j'aurais préféré mourir dans cet accident ! Ma vie est foutue à cause d'elle."

Chaque mot était une confirmation de ce que mon cœur savait déjà. Il ne m'avait jamais aimée. Son cœur appartenait, et a toujours appartenu, à son amour de jeunesse, Sophie Duval.

Il a même eu le culot de raconter leur histoire d'amour à nos propres enfants, la présentant comme une tragédie romantique dont j'étais la méchante. Il leur a fait croire que j'avais profité de l'accident pour le piéger, pour détruire sa seule chance de vrai bonheur avec sa "flamme jumelle".

Mes enfants, influencés par ses mensonges constants, ont fini par me mépriser. Pour eux, j'étais l'opportuniste qui avait brisé la vie de leur père. J'ai vu le rejet dans leurs yeux chaque jour.

J'ai fini mes jours seule, oubliée dans une maison de retraite isolée, regardant par la fenêtre la pluie tomber. La solitude était mon unique compagne. Mon seul regret était d'avoir été si stupide, si naïve.

Puis, une lumière aveuglante. Le bruit assourdissant d'un klaxon. L'odeur de pneus brûlés.

J'ai ouvert les yeux.

J'étais assise dans ma voiture, la main sur le volant. À côté de moi, Marc criait.

"Claire, fais attention !"

J'ai regardé devant. La même voiture folle fonçait droit sur nous. C'était le même carrefour, le même instant.

Le temps semblait ralentir. Dans ma vie passée, à ce moment précis, j'avais détaché ma ceinture et me jetais sur lui.

Cette fois, je suis restée assise. Mon corps n'a pas bougé d'un centimètre.

J'ai tourné la tête et j'ai regardé Marc. Son visage était déformé par la peur. Il me regardait, attendant que je le sauve, comme si c'était mon devoir.

Un sourire froid s'est dessiné sur mes lèvres.

Je l'ai regardé droit dans les yeux et j'ai dit un seul mot, calmement, presque comme un murmure.

"Non."

Puis, j'ai ouvert ma portière et je suis sortie de la voiture, m'éloignant sans un regard en arrière. Je l'ai laissé seul face à son destin.

Cette fois, j'allais vivre pour moi.