La nausée monte en moi comme une marée noire. Le mélange de chicorée amère et de moutarde brûlante tapisse l'intérieur de ma bouche, une torture chimique. J'ai l'impression d'avoir mâché du poison. Chaque parcelle de mon corps veut expulser cette horreur.
Mais je ne lui donnerai pas cette satisfaction.
Je déglutis.
C'est l'une des choses les plus difficiles que j'aie jamais faites. Le mélange infâme glisse dans ma gorge, laissant une traînée de feu et d'amertume. Mes yeux larmoient, mais je force un sourire.
« Mmmh... C'est... surprenant. »
Ma voix est un peu étranglée, mais je la contrôle. Dans ma tête, une seule pensée, froide et claire : elle va me le payer. Maintenant.
Je me tourne vers mon mari, Antoine, qui me regarde avec une curiosité innocente. Je lui tends le deuxième croissant empoisonné. Mon visage exprime une joie extatique.
« Antoine, mon amour, il faut que tu goûtes ça ! C'est la recette secrète de ta mère. C'est... indescriptible ! »
Il hésite une seconde. « Mais elle a dit que c'était pour toi... »
« Ne sois pas bête, on partage tout maintenant, non ? Allez, une bouchée. Pour me faire plaisir. »
Poussé par mon insistance et la pression des regards de la famille qui nous observe à l'écran, il prend le croissant. Il sourit, heureux de partager ce premier moment de complicité culinaire avec moi.
Il prend une grosse bouchée.
Son visage se fige. Ses yeux s'écarquillent. La couleur quitte ses joues. Il commence à mâcher, puis s'arrête net. Une expression de confusion, puis de dégoût pur, se peint sur ses traits. Il essaie de parler, mais seul un son étranglé sort de sa bouche.
Je me tourne alors vers mon beau-père, qui est toujours plongé dans son journal, essayant d'ignorer le monde. Je prends le croissant des mains d'Antoine, qui est maintenant en train de tousser violemment, le visage rouge.
« Papa ! Il faut absolument que vous goûtiez aussi ! C'est une merveille ! »
Je ne lui laisse pas le temps de refuser. Je lui enfourne presque le croissant dans la bouche. Surpris, il croque dedans par réflexe.
Sa réaction est encore plus spectaculaire. Il crache tout sur son journal, se lève d'un bond, le visage cramoisi.
« Mais c'est quoi cette saloperie ?! » hurle-t-il, en courant vers la cuisine pour chercher de l'eau.
Antoine, lui, a réussi à avaler, et il me regarde avec des yeux pleins de larmes et d'incompréhension. Il halète, sa gorge le brûle.
Je regarde le chaos que je viens de créer. Les deux hommes les plus importants de la vie de Madame Martin sont en train de souffrir de son propre poison. Une satisfaction glaciale m'envahit. C'est délicieux. Bien plus délicieux que ce croissant. Je me sens incroyablement bien. C'est le début de ma vengeance, et elle est aussi douce que sa farce était amère.