Les noms de Pierre et Claire étaient en tendance sur tous les réseaux sociaux.
Les commentaires étaient un déferlement de haine et de moqueries.
La carrière d'influenceuse de Claire, construite sur une image de perfection et de "sincérité", était en train de s'effondrer.
Les marques avec lesquelles elle collaborait commençaient déjà à retirer leurs publications et à publier des communiqués pour se distancier d'elle.
Pour Pierre, c'était différent.
Plus grave.
La clé USB que Marc avait donnée à Monsieur Dupont avait fait son chemin.
Le propriétaire, homme d'affaires avisé et bien connecté, l'avait transmise à un journaliste d'investigation réputé, un de ceux que Pierre Laurent ne pouvait pas acheter.
Un article bien plus dévastateur était en préparation, un article sur des années de corruption, de chantage et d'abus de pouvoir.
Le téléphone de Marc sonna. C'était Isabelle.
"Alors, frérot. J'ai vu les infos. C'est le chaos. T'es sûr de toi ?"
Sa voix était un mélange d'admiration et d'inquiétude.
"Plus que jamais," répondit Marc. "Ce n'est que la première étape."
"Fais attention. Des bêtes blessées sont les plus dangereuses. Surtout des bêtes avec un ego comme le leur."
"Je sais. Mais ils sont prévisibles. C'est leur plus grande faiblesse."
Il avait à peine raccroché que son autre téléphone, un prépayé anonyme, sonna.
Il avait anticipé ce moment.
C'était Claire. Sa voix était méconnaissable, étranglée par la rage et la panique.
"MARC ! ESPÈCE DE SALAUD ! TU AS RUINÉ MA VIE ! MA CARRIÈRE EST FINIE ! JE VAIS TE DÉTRUIRE !"
Marc resta silencieux, la laissant vider sa fureur.
"Tu crois que tu as gagné ? Tu n'es qu'un petit cuistot minable ! Pierre va te faire la peau ! Il a des contacts, tu ne sais pas à qui tu t'es attaqué !"
"C'est fini, Claire," dit Marc d'une voix calme et froide.
"Fini ? Ça ne fait que commencer ! Je vais dire à tout le monde que tu m'as harcelée, que tu as tout inventé, que tu es un psychopathe !"
"Essaye," répondit Marc. "Mais pendant que tu feras ça, demande-toi comment tes milliers de followers vont réagir quand ils apprendront que la crème de beauté que tu vantais hier est en fait un produit testé sur les animaux, par une entreprise dont Pierre est actionnaire. Oh, et que tu le savais."
Il y eut un silence de mort à l'autre bout du fil.
C'était le deuxième coup, l'information qu'il avait gardée en réserve.
Une information qu'il avait découverte en fouillant dans les affaires de Pierre dans sa vie précédente.
"Comment... comment tu sais ça ?" murmura Claire, sa voix tremblante.
"J'en sais beaucoup, Claire. Beaucoup plus que tu ne l'imagines. Alors je te conseille de rester tranquille. Disparais. C'est la meilleure chose que tu puisses faire pour toi."
Il raccrocha, la laissant seule avec sa peur.
Il savait qu'elle n'allait pas rester tranquille.
Son narcissisme l'en empêcherait. Mais il venait de semer la graine de la méfiance entre elle et Pierre.
Claire allait commencer à se demander ce que Pierre lui cachait d'autre.
L'appel suivant fut celui de Pierre Laurent.
Contrairement à Claire, sa voix était faussement calme, menaçante.
"Dubois. Vous avez fait une très grave erreur."
"Je ne crois pas, non," répondit Marc.
"Vous jouez avec le feu. Je vais vous poursuivre pour diffamation, pour atteinte à la vie privée. Je vais vous prendre jusqu'à votre dernier centime."
"Faites donc. Mais pendant que vos avocats préparent la plainte, ils devraient peut-être jeter un œil à l'article qui sortira demain dans 'Le Monde'. Il paraît qu'il parle de corruption dans le milieu de la critique gastronomique. Votre nom est mentionné. Souvent."
Le silence de Pierre fut plus éloquent que n'importe quelle menace.
"Vous bluffez," dit-il, mais sa voix manquait d'assurance.
"Est-ce que j'avais l'air de bluffer hier soir ? Vous avez sous-estimé la mauvaise personne, Laurent. Vous pensiez que j'étais un agneau, mais vous avez réveillé autre chose."
Marc raccrocha de nouveau.
Il savait que la panique s'emparait de ses ennemis.
Ils allaient commettre des erreurs.
Et il serait là pour les exploiter.
La journée au restaurant fut étrange.
Le téléphone n'arrêtait pas de sonner pour des réservations.
Le scandale avait rendu Le Saphir célèbre.
Les clients venaient pour voir le "chef au cœur brisé", pour goûter la cuisine au centre du drame.
Monsieur Dupont observait tout cela avec un mélange de fascination et d'appréhension.
Il avait convoqué Marc dans son bureau en fin d'après-midi.
"L'article est confirmé pour demain," dit-il, l'air grave. "Ce sera une bombe. Laurent est fini."
"Je sais," dit Marc.
"Mais il ne tombera pas seul. Il va essayer de vous entraîner avec lui. Soyez sur vos gardes."
"Je le suis."
En sortant du bureau, Marc croisa le regard du personnel.
Il n'y avait plus de pitié, mais du respect, et un peu de crainte.
Il n'était plus le jeune chef talentueux et un peu naïf.
Il était devenu une force avec laquelle il fallait compter.
Alors qu'il se préparait pour le service du soir, il reçut un message d'un numéro inconnu.
"Fais attention. Il a engagé des gens. Pas des avocats."
Le message n'était pas signé.
Marc fronça les sourcils.
Isabelle ? Ou une des autres victimes de Pierre qui avait décidé de l'aider ?
Peu importe.
Cela confirmait ce qu'il pensait.
Pierre, acculé, allait redevenir violent.
Comme dans la ruelle sombre de son autre vie.
Mais cette fois, Marc était prêt.
Il n'était plus seul, ivre et désespéré.
Il était sobre, préparé, et il n'avait plus rien à perdre.
Au contraire, il avait tout à gagner.
La vengeance n'était pas seulement douce.
Elle était méticuleuse.
---