Le lendemain matin, Marc a continué de jouer son rôle à la perfection. Il lui a apporté le petit-déjeuner au lit, une attention qu'il n'avait plus eue depuis des mois. Il parlait de l'avenir, de la chambre du bébé, de leurs projets de vacances après la naissance. Chaque mot était un mensonge, et Jeanne le savait. Elle le regardait parler, hochant la tête au bon moment, un sourire figé sur les lèvres.
Les textes continuaient d'apparaître, commentant la scène avec une précision cruelle.
Jeanne a senti un goût amer dans sa bouche. Elle a repoussé le plateau.
« Je n'ai pas très faim. »
L'inquiétude sur le visage de Marc semblait presque sincère. Presque.
Pour tester ce phénomène étrange, elle a demandé nonchalamment :
« Au fait, comment va ta nouvelle assistante ? Chloé, c'est ça ? Tu ne m'en parles jamais. »
Marc a eu un bref instant de flottement, à peine perceptible. Mais Jeanne, désormais aux aguets, l'a vu.
« Chloé ? Ah, oui. Elle est... efficace. Très travailleuse. Un peu jeune, peut-être, mais elle apprend vite », a-t-il répondu, un peu trop rapidement.
La confirmation était là, implacable. Ces messages, d'où qu'ils viennent, disaient la vérité. C'était comme si le voile de la réalité s'était déchiré, lui montrant les coulisses sordides de sa propre vie.
Elle se souvenait maintenant parfaitement du jour où elle avait rencontré Chloé pour la première fois. C'était il y a six mois, lors d'un dîner d'entreprise. Marc la lui avait présentée avec un enthousiasme professionnel. Chloé Martin était jeune, avec de grands yeux innocents et un sourire timide. Elle portait une robe simple, presque effacée, et regardait Jeanne avec une admiration qui semblait sincère.
« Madame Lambert, c'est un tel honneur. Marc me parle tellement de vous, de votre talent. Je suis une grande fan de votre travail. »
Jeanne, flattée et rassurée par cette apparente déférence, lui avait souri chaleureusement. Elle n'y avait vu qu'une jeune femme ambitieuse, peut-être un peu impressionnée.
Pourtant, avec le recul, certains détails lui revenaient en mémoire. Au cours de la soirée, elle avait surpris le regard de Chloé posé sur Marc. Ce n'était pas de l'admiration professionnelle. Il y avait une lueur de possession, une faim à peine dissimulée dans ses yeux. Et cette façon qu'elle avait de frôler le bras de Marc en passant près de lui, un contact anodin en apparence, mais chargé d'une intimité déplacée.
À l'époque, Jeanne avait chassé ces pensées, se traitant de paranoïaque. Marc avait même ri quand elle lui en avait touché un mot sur le chemin du retour.
« Ma chérie, tu te fais des films. C'est une gamine qui sort de l'école. Elle est juste impressionnée par le poste. Ne t'inquiète pas, il n'y a absolument rien entre nous. Tu es la seule femme pour moi, tu le sais bien. »
Il l'avait serrée dans ses bras, et elle s'était laissée convaincre, voulant croire à la solidité de leur amour, à la sincérité de son mari.
Aujourd'hui, ces paroles résonnaient comme une farce macabre. Il n'avait pas seulement menti. Il l'avait infantilisée, avait tourné ses intuitions en ridicule pour mieux la tromper. La jeune assistante timide et admirative n'était qu'un masque. Derrière se cachait une prédatrice sans scrupules. Et son mari était son complice.
Le doute n'était plus permis. La douleur initiale laissait place à une lucidité froide. Elle n'était pas folle. Elle n'était pas paranoïaque. Elle avait simplement été aveugle. Maintenant, ses yeux étaient grands ouverts. Et ce qu'elle voyait la dégoûtait profondément.