L'atelier de couture hérité de sa grand-mère, au cœur du Marais, n'était plus seulement un lieu de travail, c'était le futur berceau de son héritage familial.
Ce soir-là, l'air était doux. Marc est rentré tard, comme souvent ces derniers temps. Il s'est approché d'elle, a déposé un baiser sur son front et a posé une main sur son ventre encore plat.
« Désolé pour le retard, ma chérie. Réunion interminable. »
Sa voix était chaleureuse, son sourire charismatique, celui qui l'avait séduite des années plus tôt. Jeanne s'est blottie contre lui, inhalant son odeur familière. Mais quelque chose clochait. Une note inhabituelle dans son parfum, une tension subtile dans ses épaules.
Et puis, c'est arrivé.
Alors que son regard se posait sur le visage de Marc, une ligne de texte est apparue dans son champ de vision, flottant dans l'air comme une anomalie numérique. C'était net, blanc sur la réalité.
Jeanne a cligné des yeux, secouant la tête. Une hallucination. Le stress, les hormones de la grossesse, sans doute. Elle a fermé les yeux, puis les a rouverts. Le texte était toujours là, imperturbable. Elle a reculé d'un pas, le cœur battant à tout rompre. Marc l'a regardée, l'air inquiet.
« Ça ne va pas, Jeanne ? Tu es toute pâle. »
Une autre ligne de texte est apparue juste en dessous de la première.
La pièce a commencé à tourner. Qu'est-ce que c'était que ce délire ? Était-elle en train de devenir folle ? Elle s'est assise lourdement sur le canapé, sa respiration saccadée. Marc s'est agenouillé devant elle, son visage une parfaite imitation de l'inquiétude.
Puis une troisième, une quatrième ligne de texte se sont superposées, construisant une réalité qu'elle refusait de voir.
Le souffle de Jeanne s'est coupé dans sa gorge. Les mots étaient froids, impersonnels, comme le commentaire d'un spectateur cruel. Un outil. Un accessoire. Son enfant, la chair de sa chair, réduit à un élément de scénario. Une vague de nausée, bien plus violente que les nausées matinales, l'a submergée. Ce n'était pas la folie. C'était une vérité insupportable qui s'imposait à elle.
Soudain, la chaleur et la douceur ont disparu, remplacées par un froid glacial. Elle a regardé Marc, vraiment regardé. Derrière le masque du mari aimant, elle a vu l'opportuniste, l'homme aveuglé par l'ambition que décrivaient ces mots flottants. La trahison n'était plus une vague suspicion, c'était un fait, gravé devant ses yeux.
Une rage froide a commencé à monter en elle. Non. Elle ne serait pas une victime. Elle ne serait pas un "outil". Et son enfant ne serait jamais un "accessoire". Si c'était une histoire, alors elle en changerait la fin.
« Je suis juste un peu fatiguée », a-t-elle murmuré, forçant un sourire qui ne trompait qu'elle-même.
Marc a semblé soulagé. Il s'est levé et est parti vers la cuisine.
« Je te prépare une tisane. Tu dois te reposer. Pour le bébé. »
Le bébé. Le mot résonnait amèrement. Jeanne a sorti son téléphone. D'un geste mécanique, elle a ouvert l'application de leur compte joint. Elle n'avait pas besoin de chercher longtemps. Des dépenses régulières dans des restaurants de luxe où ils n'allaient jamais ensemble. Des achats dans des boutiques de lingerie qui n'étaient pas à son goût. Et un virement mensuel, important, vers un compte inconnu. Le nom du bénéficiaire n'était pas mentionné, mais elle n'avait aucun doute. Chloé Martin. La jeune assistante que Marc avait engagée il y a six mois.
Elle a verrouillé son téléphone, le posant silencieusement sur la table. Le froid en elle s'est transformé en une détermination de glace. La guerre venait de commencer.