"Je vais la faire interner," a-t-il finalement lâché, la voix blanche.
"Non," ai-je dit calmement. "Ce serait trop bruyant. Et cruel. Elle est juste... perdue."
Ma fausse clémence l'a achevée. C'était plus humiliant qu'une punition directe. Alexandre a pris sa décision.
"Tu resteras ici. Tu ne sortiras plus. Mes hommes surveilleront la porte. C'est terminé, Léa."
Il a lâché son bras et s'est détourné d'elle. Il a quitté l'appartement sans un regard en arrière. Léa est tombée à genoux, réalisant qu'elle avait perdu. Elle était prisonnière.
Je suis restée un instant, la regardant. Puis j'ai appelé ma propre assistante.
"Faites transférer toutes les affaires de Mademoiselle Martin dans la petite dépendance de la villa des Leroy à Marnes-la-Coquette. La 'maison d'amis' au fond du parc."
C'était une façon élégante de la bannir. Assez loin pour qu'elle ne puisse plus nuire, mais assez proche pour qu'Alexandre ne se sente pas trop coupable. Je la mettais sous la surveillance directe de la matriarche Leroy, une femme encore plus impitoyable que ma propre mère. Je savais qu'elle se chargerait de lui apprendre les "bonnes manières".
Les semaines qui ont suivi ont été calmes. Trop calmes. Léa était hors de vue, et les rumeurs à notre sujet se sont tues. Les fiançailles ont repris leur cours normal. Dîners de famille, essayages pour le mariage, discussions sur les clauses du contrat. Le monde retrouvait son ordre.
Je savais cependant que ce n'était qu'un répit. Une bête comme Léa ne reste pas longtemps en cage sans mordre les barreaux. J'ai utilisé ce temps pour consolider mes positions. J'ai aidé Sophie Bertrand, ma rivale au bureau, à obtenir un petit dossier qu'elle convoitait. Un geste de bonne volonté qui l'a déstabilisée. Elle ne savait pas comment l'interpréter, et cette incertitude la rendait moins dangereuse. Je me créais une alliée de circonstance, ou du moins, une ennemie neutralisée.
Et puis, un soir, lors d'une réception à l'ambassade, alors que je discutais avec un ministre, j'ai senti un regard insistant sur moi. J'ai tourné la tête. C'était Léa.
Elle avait réussi à sortir. Je ne sais comment, par quel subterfuge ou quelle pitié d'un garde. Elle était là, au milieu de l'élite parisienne, avec un air de défi. Elle portait une robe simple, mais elle avait fait un effort. Et elle tenait une coupe de champagne. Quand nos regards se sont croisés, elle a levé son verre vers moi avec un sourire triomphant. Puis, elle a posé sa main libre sur son ventre.
Un geste subtil, presque imperceptible pour les autres. Mais pour moi, c'était une déclaration de guerre nucléaire.
Elle était enceinte.
Elle s'est approchée de moi, profitant d'un moment où j'étais seule. Alexandre était de l'autre côté de la salle, absorbé dans une conversation.
"Alors, la grande avocate, vous n'aviez pas prévu ça, n'est-ce pas ?" a-t-elle murmuré, son sourire s'élargissant. "Un héritier. Le premier héritier de la famille Leroy. Ça change un peu la donne, non ?"
J'ai senti le sol se dérober sous mes pieds pendant une fraction de seconde. Un enfant. C'était le seul atout qui pouvait potentiellement tout renverser. Un enfant du sang Leroy.
Mais j'ai gardé mon masque impassible. J'ai même esquissé un sourire.
"Félicitations, Léa. C'est une merveilleuse nouvelle."
Mon calme l'a de nouveau déconcertée. Elle s'attendait à ce que je m'effondre.
"Vous devriez faire attention à vous, maintenant. Une grossesse est si fragile," ai-je ajouté, ma voix douce comme du velours. "Il serait dommage que quelque chose arrive au bébé. Je vais demander à ce qu'on vous exempte de toutes les corvées et de toutes les sorties. Vous devez vous reposer. Pour le bien de l'enfant."
Sur ces mots, je lui ai tourné le dos et je suis allée retrouver Alexandre. Je lui ai pris le bras avec une affection démonstrative.
"Chéri, Léa est là. Elle a une grande nouvelle. Mais elle a l'air si fatiguée. Je pense qu'elle devrait rentrer se reposer immédiatement. Nous ne voulons prendre aucun risque."
Alexandre, apprenant la nouvelle quelques instants plus tard par une Léa furieuse de voir sa bombe désamorcée, n'a su comment réagir. Il était piégé. L'idée d'un enfant le terrifiait et le flattait à la fois. Mais ma réaction, si "raisonnable" et "bienveillante", l'a rassuré. Je prenais les choses en main. J'étais la femme stable, la future mère par procuration qui gérait la situation.
Léa a été raccompagnée chez elle sur-le-champ, officiellement pour "protéger sa santé". En réalité, je venais de la remettre en cage, une cage dorée cette fois, mais une cage tout de même. Elle avait son atout, mais j'allais m'assurer qu'elle ne puisse jamais le jouer.
Ce soir-là, en rentrant, je me suis assise dans mon salon silencieux. L'adrénaline de la confrontation retombée, j'ai réfléchi. Un enfant. Cette crise était aussi une opportunité. Une opportunité de la détruire définitivement, et de discréditer Alexandre au passage. Je commençais à élaborer un nouveau plan, plus audacieux, plus risqué. Je ne voulais plus seulement gagner. Je voulais tout. Le pouvoir, le nom, la fortune. Et la liberté de me débarrasser d'un mari encombrant une fois mes objectifs atteints. Je me suis servi un verre de vin. La partie devenait vraiment intéressante.