"Alexandre, je suis en train de travailler," ai-je dit, ma voix toujours aussi neutre, bien que chaque syllabe soit pesée.
"Je sais, Clara, je suis désolé, mais... Léa voulait te rencontrer," a-t-il balbutié.
Léa a souri, un sourire qu'elle voulait sans doute radieux et désarmant. "Je pense qu'il est important que nous soyons honnêtes les unes envers les autres. L'amour d'Alexandre et moi est pur, c'est le destin. Je ne veux pas vous blesser, mais vous devez comprendre que vous ne pouvez pas lutter contre quelque chose d'aussi fort."
J'ai failli éclater de rire. Sa naïveté était presque comique. Elle croyait vraiment à ces balivernes ? À l'amour absolu, au coup de foudre qui balaie tout sur son passage ? Elle ignorait tout des enjeux, des contrats signés, des familles impliquées. Pour elle, ce n'était qu'une histoire de cœur. Pour moi, c'était une affaire de plusieurs milliards et l'avenir de ma carrière.
J'ai décidé de changer de tactique. La confrontation directe était ce qu'elle cherchait. Je ne lui donnerais pas cette satisfaction. Je me suis levée, j'ai contourné mon bureau et je lui ai tendu la main.
"Enchantée de vous rencontrer, Léa. Alexandre a eu raison de vous amener. Asseyez-vous, je vous en prie. Voulez-vous un café ?"
Alexandre a paru immensément soulagé par ma réaction. Léa, elle, a été décontenancée. Elle s'attendait à des cris, des larmes, une scène de jalousie. Ma froide courtoisie la désarmait. Elle s'est assise sur le bord d'un des fauteuils en cuir, l'air soudain moins assurée. J'ai préparé le café moi-même, prenant mon temps, la laissant mariner dans le silence opulent de mon bureau. Chaque objet ici criait le pouvoir et la réussite, un langage qu'elle ne comprenait visiblement pas.
Quelques jours plus tard, ma mère organisait un dîner de charité dans notre hôtel particulier. C'était un événement mondain de la plus haute importance. Tout le monde politique, financier et artistique de Paris était là. J'étais aux côtés de ma mère, parfaite dans mon rôle d'hôtesse, saluant les invités, échangeant des amabilités qui étaient en réalité des négociations déguisées. Alexandre était à mes côtés, mal à l'aise mais jouant son rôle.
Et puis, Léa a fait son entrée. Elle n'était pas invitée, bien sûr. Elle portait une robe rouge vif qui détonnait violemment avec l'élégance sobre de la soirée. Elle a traversé le grand salon comme si elle était chez elle, cherchant Alexandre du regard. Quand elle l'a trouvé, elle lui a fait un grand signe de la main, ignorant les regards scandalisés autour d'elle.
Elle a marché droit vers nous.
"Alexandre, mon amour, je m'ennuyais toute seule !" a-t-elle lancé, assez fort pour que tout le monde entende.
Ma mère l'a foudroyée du regard. Un silence glacial s'est abattu sur notre groupe. Alexandre est devenu blême.
"Léa, qu'est-ce que tu fais ici ?" a-t-il murmuré, horrifié.
"Je suis venue te voir. Je ne vois pas le problème," a-t-elle répondu, sincèrement perplexe face à l'hostilité ambiante. "Nous sommes tous des êtres humains, non ? Pourquoi toutes ces manières ?"
J'ai décidé de la laisser s'enferrer. Je n'ai rien dit, me contentant de siroter mon champagne, observant la scène avec un intérêt clinique. Je la laissais se pendre avec sa propre corde. Et elle le faisait admirablement. Elle a commencé à parler fort, à critiquer la décoration "bourgeoise", à essayer d'expliquer ses concepts artistiques à un sénateur qui la regardait comme une bête curieuse.
Plus tard dans la soirée, je l'ai vue essayer de discuter affaires avec le père d'Alexandre, un homme impitoyable qui l'a écoutée avec un mépris glacial avant de lui tourner le dos. C'était pathétique.
Le lendemain, j'ai appelé mon ami Marc Chevalier, journaliste d'investigation.
"Marc, j'ai un nom pour toi : Léa Martin. Je veux tout savoir. Son passé, sa famille, ses finances, ses ex, ses dettes. Absolument tout."
"Un nouveau dossier, Clara ? Ça sent le drame," a-t-il répondu, sa voix amusée au téléphone.
"Ça sent le nettoyage," ai-je corrigé.
Pendant que Marc creusait, Léa continuait son offensive. Elle a commencé à s'immiscer dans les affaires de la famille Leroy, persuadée qu'elle pouvait "aider" avec sa vision "nouvelle et fraîche". Elle s'est présentée à une réunion de designers de la maison Leroy, sans y être conviée, et a commencé à critiquer les nouvelles collections, parlant de "manque d'âme". Le chef designer, un homme au bord de la crise de nerfs, a appelé Alexandre pour se plaindre. L'incident a fait grand bruit en interne. Elle était en train de devenir non plus une simple nuisance, mais une menace pour l'image de la marque. Et ça, c'était une erreur qu'elle allait payer cher.