Quelques jours après l'incident en cours d'histoire, j'étais au tableau, en train de résoudre une équation de maths complexe. Le professeur, M. Martin, n'était pas connu pour sa patience. Je bloquais. Les chiffres dansaient devant mes yeux, le silence de la classe me pesait, et je sentais le regard impatient du prof sur moi.
« Alors, Mademoiselle Lambert ? On sèche ? Ce n'est pourtant pas si compliqué. »
Mon esprit était vide. La panique commençait à monter. J'allais me prendre une humiliation publique.
Soudain, une voix claire s'est élevée du fond de la classe.
« Il faut utiliser la dérivation en chaîne sur la deuxième partie de la fonction. Chloé a oublié une parenthèse. »
C'était Manon.
Tout le monde s'est retourné vers elle, surpris. Elle n'intervenait jamais en classe. M. Martin a plissé les yeux.
« Montrez-nous, Mademoiselle Dubois. »
Elle s'est levée, s'est approchée du tableau avec une assurance que je ne lui connaissais pas, a pris la craie et, en quelques secondes, a corrigé mon erreur et terminé l'équation avec une facilité déconcertante.
« Voilà », a-t-elle dit simplement en retournant à sa place.
M. Martin était stupéfait. Moi aussi. Elle venait de me sauver la mise, sans aucune vantardise, juste avec son intelligence.
À la fin du cours, je l'ai rattrapée.
« Manon... merci. Vraiment. »
Elle a haussé les épaules, l'air presque gênée.
« Ce n'est rien. »
« Non, vraiment. Tu m'as sauvée. »
Un petit sourire a flotté sur ses lèvres. C'était la première fois que je la voyais sourire sincèrement.
« On dirait que je ne suis pas seulement bonne à obtenir des faveurs », a-t-elle dit avec une pointe d'ironie.
La semaine suivante, le proviseur a fait une annonce dans la cour pendant la récréation. L'école avait reçu une subvention spéciale pour aider les élèves méritants en difficulté financière à financer un voyage linguistique en Angleterre prévu pour l'été.
« Après étude des dossiers », a déclaré le proviseur dans son micro grésillant, « le comité a décidé d'attribuer l'une des bourses à... Manon Dubois. »
Un murmure a parcouru la foule d'élèves. C'était une bombe.
Marc, le même qui l'avait confrontée la première fois, a été le premier à réagir. Il a levé la main, furieux.
« Pardon, Monsieur le Proviseur, mais c'est une blague ? »
Le proviseur a froncé les sourcils.
« Pardon, Monsieur Valois ? »
« Manon Dubois ? Elle n'a pas besoin d'aide ! Demandez-lui ! Ses parents sont diplomates, ils sont riches ! Elle nous le répète tous les jours ! »
Des voix se sont élevées pour l'appuyer.
« C'est vrai ! »
« Il y a des gens qui en ont vraiment besoin ! »
« C'est du favoritisme ! »
La situation était en train de dégénérer. Les élèves se servaient des propres mensonges de Manon pour la clouer au pilori. C'était d'une ironie cruelle.
Manon était au milieu de la foule, livide. Elle était piégée. Si elle acceptait la bourse, elle avouait sa pauvreté. Si elle la refusait, elle confirmait les soupçons de favoritisme.
Le proviseur a tenté de calmer la situation.
« La décision du comité est basée sur des informations confidentielles et ne peut être discutée en public. »
Sa réponse n'a fait qu'enflammer les esprits.
« Quelles informations confidentielles ? », a crié Marc. « Celles que son père ambassadeur vous a données ? »
Le proviseur a regardé Manon, puis la foule en colère. Il semblait savoir quelque chose, mais il était coincé par le secret professionnel. Il a juste répété, plus fermement :
« La décision est finale. »
Mais le mal était fait. La meute était lâchée. Et Manon était seule au milieu.