J'ai jeté un coup d'œil discret à son sac à dos. La fermeture éclair était cassée et réparée avec une épingle à nourrice. Ses chaussures, autrefois blanches, étaient grises et craquelées sur les côtés. Genève. Bien sûr.
Personne ne la croyait, mais personne ne disait rien. C'était plus simple de l'ignorer. Manon vivait dans son propre monde, un monde rempli de dîners de gala, d'ambassades et de privilèges inaccessibles pour nous, simples lycéens d'une banlieue parisienne ordinaire.
Le problème, c'est que ses mensonges devenaient de plus en plus gros. Elle ne se contentait plus de voyages imaginaires. Elle a commencé à parler de son avenir.
« L'université ? Oh, je n'ai pas à m'en faire pour les concours. Mon père a déjà tout arrangé avec le doyen de la Sorbonne. C'est juste une formalité. »
Cette fois, un silence glacial est tombé sur le groupe. C'était une insulte directe à nous tous, qui passions nos nuits à réviser, angoissés par Parcoursup et les examens.
Marc, qui était le premier de la classe et le plus stressé de tous, a perdu patience.
« Tu te fiches de nous, Manon ? »
Elle a haussé les épaules, l'air offensé.
« Pourquoi je ferais ça ? C'est juste la vérité. Quand tes parents ont des relations, les portes s'ouvrent. »
Son arrogance était insupportable. Je n'ai pas pu me retenir.
« Arrête tes bêtises, Manon. Tout le monde sait que tu mens. »
Son visage a changé. Le masque de supériorité s'est fissuré, laissant apparaître une lueur de panique. Mais ça n'a duré qu'une seconde. La colère a pris le dessus.
« Tu es juste jalouse, Chloé. Jalouse parce que ta vie est banale et que la mienne est exceptionnelle. »
La tension était palpable. Les autres élèves nous regardaient, mi-amusés, mi-gênés.
J'ai senti la colère monter en moi.
« Ma vie est peut-être banale, mais au moins, elle est réelle. Et mes parents ne sont peut-être pas diplomates, mais au moins, ils existent. »
Je ne sais pas pourquoi j'ai dit ça. C'était méchant, gratuit. J'ai vu la douleur traverser son regard. Une douleur si vive et si profonde qu'elle m'a fait regretter mes mots instantanément.
Puis, la douleur a laissé place à une fureur blanche.
Clac.
Le son a résonné dans la salle de classe silencieuse. Sa main venait de s'abattre sur ma joue. La surprise a été si totale que je n'ai même pas senti la douleur tout de suite. J'ai juste vu sa main trembler, ses yeux remplis de larmes de rage.
Elle a reculé d'un pas, horrifiée par son propre geste, puis elle a attrapé son sac rapiécé et s'est enfuie en courant hors de la salle, nous laissant tous dans un silence stupéfait.
Je suis restée là, la joue en feu, le cœur battant à tout rompre. J'avais provoqué ça. J'avais franchi une ligne. J'avais touché un point sensible, sans même savoir lequel.
Le soir, dans ma chambre, je n'arrivais pas à chasser son image de mon esprit. Cette fille si seule, si perdue, qui se cachait derrière une armure de mensonges si fragiles. Elle continuait de parler de ses parents riches et influents, comme si répéter le mensonge pouvait le rendre vrai. C'était sa routine, son mantra. Et aujourd'hui, j'avais brisé ce mantra.