L'appel du vide, la voix de l'amour
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Chapitre 1

Le vent glacial de la nuit parisienne me giflait le visage, mais je ne sentais rien. Accoudée au parapet du pont de Bir-Hakeim, je regardais la Seine couler en contrebas, ses eaux sombres et indifférentes. Les lumières scintillantes de la Tour Eiffel, d'habitude si magiques, me paraissaient ce soir comme des yeux moqueurs.

Ma vie entière n'était qu'une vaste supercherie.

Il y a à peine quelques heures, j'étais Jeanne Dubois, une jeune femme que tout le monde enviait. Riche héritière, personnalité influente sur les réseaux, en couple avec Antoine Moreau, l'influenceur le plus en vogue du moment. Un conte de fées moderne.

Un mensonge.

Le téléphone a vibré dans ma poche. Je n'ai même pas eu besoin de regarder. C'était lui. Antoine.

Je l'avais appelé un peu plus tôt, pleine d'enthousiasme, pour lui annoncer une bonne nouvelle concernant un investissement. Mais ce n'est pas sa voix que j'ai entendue en premier. C'était celle de ma sœur adoptive, Sophie.

« Antoine, chéri, dépêche-toi, tu vas être en retard pour ton live. Laisse tomber Jeanne, elle peut bien attendre. »

Puis la voix mielleuse d'Antoine : « J'arrive, ma belle. Juste une seconde pour rassurer la poule aux œufs d'or. »

Le sol s'est dérobé sous mes pieds. La poule aux œufs d'or. C'est tout ce que j'étais pour lui. Pour eux.

Prise d'un doute horrible, j'ai fouillé dans le bureau de mes parents adoptifs, cherchant quelque chose, n'importe quoi. Et j'ai trouvé. Un dossier. Des documents légaux qui stipulaient clairement que si je venais à mourir avant mes vingt-cinq ans sans héritier direct, l'intégralité de ma fortune familiale reviendrait à mes tuteurs légaux. Mes parents.

Ceux qui m'avaient soi-disant recueillie par amour après la mort de mes parents biologiques dans un accident. Ils ne m'avaient jamais aimée. Ils n'avaient vu en moi qu'un ticket de loterie, un investissement à long terme. Mon petit ami, ma sœur, mes parents... tous complices. Mon monde s'est effondré.

Alors me voilà, sur ce pont. Le seul endroit où je pouvais trouver la paix. Le suicide n'était plus une idée abstraite, c'était une issue logique. Une délivrance.

J'ai enjambé la barrière. Le vide m'appelait.

« Mademoiselle ! Ne faites pas ça ! »

Une voix d'homme, forte et calme, a percé le brouillard de ma détresse. Je me suis retournée. Un jeune pompier se tenait à quelques mètres, les mains levées en signe d'apaisement. Il avançait lentement, pas à pas.

« Restez où vous êtes ! N'approchez pas ! » ai-je crié, ma voix brisée par les sanglots.

« D'accord, d'accord, je n'approche pas, » a-t-il dit doucement. « Je m'appelle Marc. Parlons un peu, d'accord ? Qu'est-ce qui ne va pas ? »

Le désespoir a reflué en une vague de colère.

« Ce qui ne va pas ? Tout ! Ma vie est un mensonge ! L'homme que j'aime m'a utilisée pour mon argent. Ma propre famille m'a élevée comme du bétail, en attendant de toucher mon héritage ! »

Je pleurais à chaudes larmes, déversant toute ma douleur sur cet inconnu. Il écoutait, son visage grave et empli d'une compassion sincère.

« Je sais que ça fait mal, » a-t-il murmuré. « Mais ce n'est pas une fin. Vous êtes forte. Vous pouvez surmonter ça. »

Forte ? J'étais brisée. Finie. J'ai secoué la tête, un rire amer m'échappant.

« Non. C'est fini. »

J'ai lâché prise. Le vent s'est engouffré sous moi. J'ai fermé les yeux, attendant l'impact, le froid, le néant.

Mais j'ai senti une main puissante agripper mon poignet. Le pompier, Marc, s'était jeté en avant. Son visage était crispé par l'effort.

« Tenez bon ! » a-t-il hurlé.

Mais mes doigts étaient glissants de larmes et de pluie fine. J'ai senti sa prise faiblir. Nos regards se sont croisés une dernière seconde. J'ai vu de la panique dans ses yeux. Puis plus rien.

Le noir complet.

...

Un son strident m'a tirée du vide. Une sonnerie de téléphone.

J'ai ouvert les yeux. J'étais... dans mon lit ? Dans mon appartement luxueux près des Champs-Élysées. La lumière du jour filtrait à travers les rideaux. J'ai regardé mes mains, mon corps. Aucune blessure. Pas de sensation de froid humide.

Le téléphone continuait de sonner sur la table de chevet. Le nom affiché m'a glacé le sang.

Antoine.

J'ai décroché, la main tremblante.

« Allo, mon amour ? » a-t-il dit de sa voix enjôleuse. « J'ai une super nouvelle pour l'investissement dont on a parlé ! Ça va nous rapporter gros ! »

Mon cerveau a mis quelques secondes à traiter l'information. C'était la conversation que j'étais censée avoir avec lui. Avant de surprendre sa discussion avec Sophie. Avant de trouver les papiers. Avant le pont.

J'ai regardé la date sur mon téléphone. C'était le matin. Le jour même de ma tentative de suicide.

J'étais revenue.

Le choc a laissé place à une froide résolution. Je n'étais plus la victime naïve et désespérée. J'avais vu la fin, et on m'avait donné une seconde chance.

Cette fois, je n'allais pas sauter. J'allais me battre. Et la première chose que je devais faire, c'était de retrouver cet homme. Ce pompier au regard compatissant.

Marc. Mon sauveur.

« Jeanne ? T'es là ? » a demandé Antoine, agacé par mon silence.

J'ai pris une grande inspiration, sentant une force nouvelle monter en moi.

« Oui, je suis là, Antoine, » ai-je répondu d'une voix que je ne me connaissais pas, dure et déterminée. « Et nous avons beaucoup de choses à nous dire. »

            
            

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