J'ai décidé de lui apporter les documents en personne. Non par nostalgie, mais pour voir son visage quand il comprendrait que ce n'était pas un caprice, mais une décision irrévocable.
Je l'ai trouvé dans son atelier, l'endroit même où il m'avait tuée. L'odeur de térébenthine et de peinture à l'huile m'a donné la nausée, mais j'ai refoulé le souvenir.
Il m'a vue entrer et un sourire suffisant s'est dessiné sur ses lèvres. Il était entouré de toiles, un verre à la main, déjà en mode artiste torturé.
« Ah, te voilà enfin. J'ai cru que tu allais bouder plus longtemps, » a-t-t-il lancé avec arrogance. « Tu as compris que tu ne pouvais pas te passer de moi, n'est-ce pas ? »
J'ai posé la liasse de papiers sur une table propre.
« Je suis venue vous rendre ceci et vous faire signer la résiliation de tous nos accords. »
Il a éclaté d'un rire méprisant.
« Ne sois pas ridicule, Élise. Arrête cette comédie. J'ai une excellente nouvelle pour toi. Camille est si gentille, tu sais. Elle s'inquiétait pour toi. Elle a suggéré que tu pourrais devenir sa demoiselle d'honneur. »
Je l'ai regardé, sans ciller. Mon esprit a repensé à toutes les fois où j'avais nettoyé ses pinceaux jusqu'à tard dans la nuit, où j'avais négocié avec des collectionneurs difficiles, où j'avais apaisé ses angoisses avant chaque exposition. J'avais été son manager, sa mère, sa psy, sa protectrice. Et maintenant, il m'offrait le rôle de servante de sa maîtresse.
Il a continué, savourant son propre discours.
« Bien sûr, tu ne peux plus être ma muse. Cette place est pour Camille. C'est évident. Mais tu as un excellent œil pour l'art. Tu pourrais devenir la consultante personnelle de Camille. L'aider à choisir ses tenues pour les galas, gérer son agenda... Tu es si douée pour ça. Ce serait une position honorable. »
Une position honorable. Il osait. La rage, froide et pure, a monté en moi, mais mon visage est resté impassible.
« Non, merci, » ai-je dit simplement.
Son sourire a vacillé.
« Quoi ? »
« J'ai dit non. Je ne serai pas la demoiselle d'honneur de Camille. Je ne serai pas sa consultante. Je ne serai rien pour vous deux. Je veux que vous signiez ces papiers pour que je puisse récupérer ma vie. »
Il a fixé les documents, puis m'a regardée, et j'ai vu dans ses yeux la lueur de la panique. Il commençait à comprendre.
« Tu es sérieuse ? »
« Je n'ai jamais été aussi sérieuse de ma vie. Notre relation est terminée. Définitivement. »
Sa panique s'est transformée en fureur. Il a attrapé la liasse de papiers et, dans un geste de rage impuissante, il les a déchirés en deux, puis en quatre, jetant les morceaux par terre.
« Rien n'est terminé tant que je ne l'ai pas décidé ! » a-t-il hurlé. « Tu m'appartiens, Élise ! Tu m'as tout donné ! Tu ne peux pas le reprendre ! »
Il s'est approché de moi, menaçant.
« Je vais me marier avec Camille, mais tu resteras là. Dans l'ombre. À ma disposition. C'est ta place. »
Je n'ai pas reculé. Je l'ai regardé comme on regarde un insecte pitoyable.
« Non, Jean-Luc. Ma place est ailleurs. Et vous allez l'apprendre bien assez tôt. »
Je me suis retournée et j'ai quitté l'atelier, le laissant seul au milieu de ses chefs-d'œuvre et des morceaux de papier déchirés, symbole de notre passé qu'il venait lui-même de détruire. La peur dans ses yeux était la première victoire de ma nouvelle vie.